Stewart Lemon reçoit la visite de Donald Hereford, qui arrive de Washington tôt le matin après le saccage commis par Jim. Hereford descend de l’hélicoptère qui l’a amené depuis John Wayne, et s’avance sous les pales tournoyantes sans la moindre ébauche de courbette ou de précipitation. Il lève les yeux vers les installations que Lemon et lui ont inspectées ensemble pas plus tard que deux semaines auparavant.
— Oue s’est-il passé ? demande-t-il à Lemon.
Lemon se racle la gorge.
— Il y a eu un attentat, je crois, mais quelque chose a mal tourné. Personne ne sait pourquoi. Ils ont démoli le panneau à l’entrée du parking. Et… et nous en avons attrapé deux dans un bateau au large, mais ils n’avaient rien sur eux, alors…
Avec l’impression d’être idiot, Lemon accompagne Hereford de l’héliport jusqu’à l’accès automobile du complexe en contournant les installations. Là, six tiges de métal rondes se dressent sur deux flaques de plastique bleu durcies. Ce sont les lettres qui auparavant signalaient LAGUNA SPACE RESEARCH aux voitures qui passaient devant. Risible.
Deux techniciens du F.B.I. sont à l’œuvre sur les lieux, et ils s’interrompent pour discuter brièvement avec Hereford et Lemon.
— Semble bien qu’il s’agisse de deux de ces Mosquitos qu’on a utilisés ces derniers temps. Fabriqués par Harris, avec des charges de Styx-90.
Hereford fait claquer sa langue contre son palais, s’agenouille pour toucher le plastique déformé. Il entraîne Lemon à l’écart des agents du F.B.I., lui fait contourner le bâtiment et l’emmène en plein air à proximité de l’héliport.
— Bon. (Ses lèvres dessinent une ligne mince, sévère.) Alors c’est comme ça.
— Peut-être essaieront-ils de nouveau ?
Brusque dénégation de la tête.
Lemon sent comme une sorte de picotement de peur dans ses doigts.
— Ne pourrions-nous pas… simuler un autre attentat, d’une manière ou d’une autre ?
Hereford le dévisage.
— Stimuler ? Ou simuler ? (Il pousse un rire bref.) Non. Ce qu’il faut comprendre, c’est que nous avons reçu un avertissement. Il nous incombe donc désormais de veiller à ce que ça ne se reproduise plus. Sinon, nous donnerons l’impression d’avoir laissé faire. Alors voilà.
Lemon déglutit.
— Qu’est-ce qui se passe maintenant, alors ?
— C’est déjà en train de se faire. J’ai donné des ordres pour qu’on transfère le programme Foudre en Boule dans notre usine de Floride et qu’on le confie à une nouvelle équipe. L’Air Force va nous tomber dessus le mois prochain quoi que nous fassions, mais j’espère que nous pourrons leur signaler que nous avons déjà pris conscience du problème du programme de fabrication et que nous avons pris des mesures pour y remédier.
Lemon espère ne pas avoir le visage aussi enflammé qu’il le sent.
— Ce n’est pas simplement un problème de délais de fabrication…
— Je sais.
— L’Air Force le saura aussi.
— J’en suis conscient. (Le regard de Hereford est très, très froid.) A ce stade, je n’ai plus tellement le choix, vous ne croyez pas ? Votre équipe nous a fourni un programme qui pourrait très facilement nous attirer un gros gros revers. En fait, je serais prêt à parier tout de suite que c’est ce qui va arriver, quoi que je fasse. Mais je dois encore essayer de tirer mes dernières cartouches. Il est possible que les problèmes de missiles de défense balistiques que tous les autres rencontrent nous fassent paravent. On ne sait jamais.
— Alors qu’est-ce que je fais de mon équipe ici ? demande Lemon.
— Vous la virez. (Hereford le regarde avec calme.) Licenciez l’unité de production. Expédiez les meilleurs ingénieurs quelque part ailleurs, s’il y a de la place pour eux.
— Et les cadres ?
Hereford ne cille pas.
— Virez-les. On fait le ménage, vous vous rappelez ? Nous devons faire en sorte que l’Air Force voie que nous sommes sérieux. Faites les trucs habituels, mises à la retraite anticipée, licenciements, tout ce qui est nécessaire. Mais faites-le.
— D’accord. D’accord. (Lemon réfléchit à toute vitesse.) McPherson est parti… Il était chargé de l’aspect technique de Foudre en Boule depuis quelques mois, et, de toute façon, après le fiasco d’Abeille-Tempête, nos amis d’Andrews seront ravis de le voir s’en aller. Mais en ce qui concerne Dan Houston… Houston est un type utile…
Devant le regard sinistre de Hereford, Lemon est incapable de poursuivre. Il commence à comprendre comment Lemon s’est élevé si haut si vite. Il y a là quelque chose d’impitoyable dont Lemon ne s’est même jamais simplement approché…
Finalement, Hereford déclare :
— Houston aussi. Tous. Et faites vite.
Et ensuite, alors qu’il se détourne pour se diriger vers l’hélicoptère qui attend :
— Vous avez de la chance de ne pas partir avec eux.