39

Sandy parvient à convaincre Tash de venir avec lui sur le bateau qui doit l’emmener à son rendez-vous avec le transporteur de la cargaison de Rhinocéros. Comme d’habitude, c’est la supplique personnelle plutôt que l’argument financier qui persuade Tash.

Peu après, Sandy reçoit la visite de Bob Tompkins, qui lui fournit les dernières informations au sujet des contrebandiers, ainsi que les clés du bateau amarré dans le port de Newport. Quand le boulot est fini, ils se retirent sur le balcon de Sandy et Angela pour boire un verre. Angela sort et se joint à eux.

— Et comment va Raymond ? demande Sandy sur le ton de la conversation lorsqu’ils sont convenablement détendus.

— Oh, au poil.

— Il est toujours embringué dans ce truc dans le C. d’O., la vendetta contre les usines d’armement ?

— Ouais, ouais. Plus que jamais.

— Alors il est avec des gens qu’il a recrutés, non ?

— Engagés, plus exactement. Bien sûr. Tu ne crois pas qu’Arthur aurait pu ne pas s’occuper de ça lui-même ?

Sandy hésite, cherchant une discrète entrée en matière ; Angela opte pour l’approche directe.

— Nous pensons que certains de nos amis pourraient travailler avec lui, et nous avons peur qu’ils ne s’attirent des ennuis.

Bob fronce les sourcils.

— Eh bien… Je ne sais pas quoi dire, Angela. Raymond prend ses mesures de sécurité habituelles, toutefois. Il jure que tout se passe très tranquillement.

— Il y a des rumeurs qui circulent, par ici, dit Sandy.

— Ah oui ? (Bob fronce de nouveau les sourcils.) Eh bien, je vais en parler à Raymond. Je pense que ça serait bien qu’il arrête, moi aussi, mais je ne sais pas s’il le fera.

Sandy regarde Angela, et ils laissent la conversation dériver vers d’autres sujets. Après, en y réfléchissant, Sandy conclut qu’il n’a pas appris grand-chose. Mais peut-être a-t-il lancé quelques informations utiles qui remonteront jusqu’à Raymond.

Le lendemain après-midi, Sandy descend avec Tash jusqu’à la haute baie. Ils ont toutes les clés qu’il leur faut : une pour le parking de la marina, une pour la marina, une pour la cage qui entoure la place de garage du bateau, une pour débrancher le système d’alarme de celui-ci, trois pour pénétrer dans le bateau et une pour déverrouiller le barrot et les gréements.

C’est un catamaran de dix mètres, ventru et lent comme un chat, baptisé la Fierté de Topeka. Boiseries en teck massif, coques et pont bleu foncé, voiles arc-en-ciel, petits moteurs auxiliaires dans chaque coque. Ils quittent leur point d’amarrage et empruntent sans se presser les voies maritimes du port de Newport.

Dépassent cinq mille petits bateaux.

Dépassent le Balboa Pavilion, et le ferry laissé en activité pour les touristes.

Dépassent la maison coupée en deux par des frères ennemis. C’est historique.

Dépassent la bouée de signalisation où John Wayne faisait mouiller son yacht.

Dépassent le poste de la Côte Dorée (l’air innocent).

Dépassent les palmiers courbés au-dessus de l’Anse du Pirate. C’est ton enfance.

Et sortent entre les jetées. Ils sont pris dans l’embouteillage à cinq milles marins à l’heure de la rade la plus industrieuse de la planète. Pourrait aussi bien s’agir de l’autoroute. Sur leur gauche, derrière la jetée, se trouve Corona del Mar, où Duke Kahanamoto a introduit le surf en Californie. Sur leur droite, derrière l’autre jetée, plus longue, il y a le Biseau, barre célèbre pour le body-surf.

— Je me demande où ils ont pris les rochers des jetées, dit Sandy. Ils ne sont sûrement pas de par ici.

— Demande à Jim.

— Tu te rappelles quand on était gosses et qu’on courait jusqu’au bout ?

— Oui. (Ils regardent la tourelle métallique à l’extrémité de la jetée de Corona del Mar, la lumière verte qui clignote au sommet. Autrefois, c’était l’une de leurs destinations magiques.) On était cinglés de courir sur ces rochers.

— Je sais ! (Sandy rit.) Un seul pas de travers et tout est fini ! Je ne le referais pas maintenant.

— Non. Nous sommes devenus beaucoup plus délicats.

Ahhh, hahaha. À propos, c’est l’heure d’un compte-gouttes, non ?

— Hissons d’abord les voiles avant d’oublier comment on fait.

Ils hissent la grand-voile, le bateau donne de la bande, ils barrent au sud.

Moteurs coupés. Blanc sillage derrière eux.

Soleil sur l’eau. Vent poussant du large.

La voile s’enfle,

Pleine.

Sandy inspire profondément, expire.

— Oui, oui, oui. Enfin libres. Fêtons ça avec ce compte-gouttes.

— Ça change vraiment du train-train.

Après quelques clignements de cils, Sandy soupire.

— C’est la seule vraie manière de voyager. On devrait immerger les rues, donner à tout le monde un bébé hors-bord.

— Bonne idée.

Ils ont mis le cap sur l’arrière de l’île San Clemente, à une centaine de kilomètres au nord de la côte de San Diego. C’est une propriété du gouvernement, uniquement peuplée de chèvres, et utilisée par la Navy et les Marines pour s’entraîner aux atterrissages amphibies, aux attaques en hélicoptère, au parachutisme, aux bombardements de précision, ce genre de trucs. Il est prévu que Sandy et Tash arrivent à leur rendez-vous avec le bateau en provenance d’Hawaii le lendemain dans la journée ou dans la nuit, au large de la partie ouest de l’île.

Ils naviguent dans un silence confortable, rompu de temps à autre seulement par quelques bribes de conversation. C’est une vieille amitié, rien n’oblige à discuter.

C’est le genre de camaraderie qui pousse les gens à se livrer ; même les silencieux parlent, dans ce type de silence. Et tout à coup Tash parle d’Erica. Il se tracasse. À mesure qu’Erica s’élève dans la hiérarchie des cadres du Mail Hewes, ses récriminations au sujet de son feignant de compagnon et de son mode de vie excentrique se font de plus en plus dures. Et personne ne peut se montrer plus dure qu’Erica Palme quand elle en a envie.

Sandy interroge Tash à ce sujet. Qu’est-ce qu’elle veut ? Un partenaire homme d’affaires, des gosses, une liaison respectable dans le condomundo du C. d’O. sud ?

Tash ne parvient qu’à ciller un compte-gouttes et à dire : « Je ne sais pas. »

Sandy en doute : il soupçonne Tash de savoir mais de ne pas avoir envie de savoir. Si ce que suppose Sandy est correct, Tash devra opérer des changements qu’il n’a pas envie de faire afin de conserver l’amie qu’il a envie de conserver. Problème classique.

En Angela, Sandy a trouvé la plus fiable des compagnes ; elle est biochimiquement optimiste, comme il l’a dit plus d’une fois en plaisantant, on dirait qu’elle a d’égales quantités de Drôle d’Os, d’Appréhension de la Beauté, de Bourdon et de California Mello qui lui coulent dans les veines. S’il était capable d’amener ses clients à l’état mental ordinaire et quotidien d’Angela, il serait riche. Sandy la chérit, à vrai dire ils sont vraiment vieux jeu de ce point de vue ; ils s’aiment, ils sont ensemble depuis presque dix ans. Un genre de miracle, ça oui. Et plus Sandy entend des nouvelles de ses amis, plus il voit leurs vies de couple branlantes, rafistolées, provisoires, plus il se sent heureux.

Aussi ne peut-il que sympathiser avec Tash à propos de son problème : il ne peut pas vraiment lui proposer une aide quelconque à partir de sa propre expérience. C’est une situation difficile, pas de doute ; en fait, c’est un dilemme. Le choix de l’une ou de l’autre ligne d’action implique des conséquences désagréables. Changer pour convenir à Erica, rester le même et la perdre ; que va faire Tash ?

À mesure que la nuit tombe, ils parlent de moins en moins. Événements de leur enfance, événements des infos internationales. Parmi les étoiles embrumées dans le ciel, les satellites rapides et les grands miroirs se déplacent lentement, au nord, au sud, à l’est, à l’ouest, comme des étoiles libérées et tournoyant sur de folles trajectoires bien à elles. « La Mort Venue des Etoiles. » « Sans blague. » Sandy frissonne sous la brise en les contemplant. Il sort des sandwiches togolais mal cuits et ils mangent. Après, Sandy a légèrement envie de vomir.

— La marijuana soulage le mal au cœur, non ?

— C’est ce qu’on dit.

— C’est le moment de vérifier.

Ça ne marche que très modérément.

Sur leur gauche le C. d’O. fait des bonds.

La côte, barre continue de lumière.

Les collines derrière, masses bosselées de lumière.

Des lumières stationnaires, des lumières qui sinuent.

Une ruche de lumière étale, écrase entre le noir de la mer et le noir du ciel

Le vivant corps de lumière.

Une galaxie vue du bord.

Sandy se retire dans la cabine de la coque de gauche, laissant le premier quart à Tashi. Quand il se réveille, il trouve Tashi assoupi à la barre dans la grisaille des premières lueurs de l’aube.

— Pourquoi tu m’as pas réveillé ?

— M’suis endormi.

— J’en déduis qu’ils ne se sont pas montrés.

— C’est exact.

— Ce soir, alors. Espérons.

Tashi passe dans sa cabine, dans la coque de droite.

Sandy dispose de l’aube pour lui tout seul. Douce brise soufflant du littoral. Tash a parfaitement orienté la barre et la voile, même dans son sommeil. Sandy aperçoit Catalina au nord, derrière lui, et l’île San Clemente qui pointe sur l’horizon au sud, peut-être quinze ou vingt kilomètres devant.

Les étoiles et les satellites clignotent. La couleur gagne la mer et le ciel. Le soleil se lève au-dessus des montagnes derrière San Diego. Matin en mer. Sandy songe à son emploi du temps habituel et se sent heureux. Chuintement et clapotis de l’eau sous les coques. Quelle paix. Peut-être que c’est vrai, ce que Jim dit toujours : qu’il existait un meilleur mode de vie, autrefois, un mode de vie plus calme. Pas dans le C. d’O., bien sûr. Le C. d’O. est né comme Athéna, a jailli du front de Zeus/Los Angeles. Mais quelque part, quelque part…

Au milieu de la matinée, Tash remonte, ils mangent des oranges et confectionnent des sandwiches au fromage. Ils font le tour de l’île San Clemente histoire de passer la journée. Elle est étrange : couverte de broussailles, sauf là où l’érosion a arraché des lignes de partage des eaux de terre brute, les collines sont semées de carcasses inutilisables de véhicules amphibies, de tanks, d’hélicoptères, de transports de troupe. Et la face ouest, celle qui ne fait pas face au continent, est lourdement grêlée de cratères de bombes. Sommet d’une colline envolé. Un autre recouvert de béton d’où jaillissent des vingtaines de mâts de radars et autres protubérances.

— C’est vraiment une bonne idée de venir prendre soixante litres d’aphrodisiaque illégal juste sous le nez de la Navy ? s’enquiert Tashi.

— Le principe de la lettre volée. Ils ne s’y attendront jamais.

— Ils n’auront pas à le faire ! Les dispositifs de surveillance qui sont là-haut vont probablement analyser le produit en mesurant son poids moléculaire. Et capter les conversations.

— Alors n’en parlons pas.

Les instructions sont de mettre en panne, à six kilomètres à l’ouest précis de la pointe la plus méridionale de l’île. Ils jouent un peu du compas et établissent des repères qui leur permettront de rester à proximité de l’endroit désigné après la tombée de la nuit.

L’extrémité sud-ouest de l’île est taillée en une série de plages naturelles qui grimpent en escalier sur les collines jusqu’à une trentaine de mètres de hauteur ou plus. Ils distinguent des chèvres sur l’une des terrasses.

— Ces chèvres doivent être les plus paranoïaques du monde, remarque Tash. Tu imagines leur vie ? Juste là, à brouter tranquillement la sauge, et puis d’un seul coup, bam ! boum ! on se remet à les mitrailler et à les bombarder.

Sandy ne peut s’empêcher de rire.

— Horrible ! Tu imagines leur vision du monde ? Je veux dire, comment est-ce qu’elles s’expliquent ça entre elles ?

— Avec difficulté.

— Ce que les mouches sont aux petits garçons, nous le sommes aux dieux, ou quelque chose comme ça.

— Je me demande si elles ont un programme de défense civile.

— Un aussi bon que le nôtre, je suppose. Hé, les voilà ! Planquez-vous vite ! (Ils rient.) « Ce que les mouches sont aux petits garçons… » Qu’est-ce que ça vaut ?

— Faudrait que Jim soit là.

Sandy hoche la tête.

— Il aimerait ça, les terrasses et tout.

— C’est lui que tu aurais dû emmener à ma place.

— Il a cours, ce soir.

— Moi aussi !

— Ouais, mais ce n’est pas toi le professeur.

— Pas tous les soirs, en tout cas. (Ils s’esclaffent.) Hé, tu sais qu’il voit une femme qui est prof juste de l’autre côté du couloir de notre classe ?

— C’est bien pour lui. Mieux que d’en baver avec Virginia.

— Je dirai pas le contraire… Je me demande ce qui s’est passé avec Sheila. Je l’aimais bien.

— Moi aussi. Mais Jim est…

— Un idiot ?

Ah, hahahahaha. Non, non, tu sais bien ce que je veux dire. Enfin, peut-être qu’avec cette prof…

— Ouais.

Après la tombée de la nuit, l’île devient plus active. Pendant qu’ils mangent d’autres sandwiches, ils entendent des vrombissements, des sons métalliques, des grincements, le doux bruissement duveteux d’hélicoptères de combat. Le tout sans la moindre lumière, à l’exception d’une lampe rouge qui s’allume et qui s’éteint pour signaler le point culminant de l’île. Une ou deux fois, Tash repère la masse d’un hélicoptère sur le fond d’étoiles. Et puis swii BAM, BOUM, et l’île est un instant éclairée par une boule de feu orange assombrie par la terre soulevée par l’explosion. Tous deux sursautent convulsivement. « Merde ! »

Tash rit.

— Espérons qu’aucun de ces trucs n’a un détecteur de chaleur braqué sur nous.

— Dis pas ça, Tash.

— C’est comme des cordes à linge tendues entre la plate-forme de feu et la cible, qui est localisée par sa chaleur. Système infrarouges. On n’a plus qu’à accrocher une bombe à la corde à linge, et elle file vers le bas.

L’île entre dans le détail : whooush BOUM.

— Heureusement qu’on n’a pas de sources de chaleur à bord.

— À part nous.

— Hé ! On ferait peut-être mieux d’aller dans les cabines ?

— Nan. C’est les plus beaux feux d’artifice qu’on verra jamais, à moins qu’on nous appelle sous les drapeaux. Chaque explosion doit coûter dans les cent mille dollars.

— Putain, ça fait un paquet de fric !

— Tu l’as dit.

Les manœuvres se poursuivent durant une heure, jusqu’à ce que les oreilles commencent à leur faire mal. Quand c’est fini, Sandy se retire de nouveau.

— Réveille-moi, cette fois.

Tash le fait, à 3 heures du matin. Ils semblent se trouver au même emplacement par rapport à l’île. Tout est sombre et calme, à peine s’il y a un souffle de brise. Montée, descente à cheval sur une puissante lame de fond. L’air salé remplit Sandy ; il se sent heureux, tout à coup.

Tash n’est pas pressé de battre en retraite.

— Ça t’est déjà arrivé de penser à quitter le C. d’O. ? demande-t-il.

— Ah, oui, je suppose que oui, des fois. (En fait, ça ne lui est jamais venu à l’esprit ; il n’a jamais le temps de réfléchir à ce genre de choses.) Pour Santa Cruz, peut-être.

— C’est juste au nord du C. d’O.

— Qu’est-ce qui ne l’est pas ?

— Je songeais à l’Alaska.

— Waow. Je sais pas, mon vieux. Les hivers qu’ils ont. Les gens de là-bas que j’ai connus disaient que c’est une vie maniaco-dépressive, maniaque en été et dépressive en hiver, avec un hiver deux fois plus long. J’ai pas l’impression que ce soit un bon plan.

— Oui, je sais. Mais ça serait un défi. Et ça restera toujours désert, à cause de ces hivers. Et ça veut dire que je pourrais sortir dans le monde réel tous les jours, tu comprends ?

Il y a une tension dans la voix de Tashi, une sorte de désir poignant que Sandy n’a jamais entendu. Il songe : « Quand on est pris dans un dilemme, on fait ce qu’on peut pour trouver une troisième issue. » Mais il ne le dit pas.

— Ça serait quelque chose, hein ? Mais pourrait y avoir des problèmes côté surf.

Tash rit.

— Pas plus qu’ici. Les scènes de foule, c’est trop.

— Même la nuit ?

— Nan, mais regarde autour de toi… Tu peux voir les vagues ? C’est mieux que de faire la guerre aux nazis, mais quand même, c’est pas pareil.

— L’Alaska, alors. Hmm. Ça semble jouable. Peut-être que tu pourrais me cultiver de l’herbe.

— Peut-être.

— Ce qui me fait penser…

L’eau les berce. Tash s’endort. Sandy garde la barre en main, inquiet pour son ami. Peut-être en touchera-t-il deux mots à Jim. Peut-être Jim trouvera-t-il quelque chose à dire à Tashi. Tellement de problèmes, ces derniers temps… Couples qui se dégradent à droite et à gauche… Choses qui se déglinguent. Quoi faire, quoi faire ?

Juste avant l’aube, il est réveillé, puis il s’assoupit. Il est à demi réveillé, maintenant, et regarde la houle grise monter et descendre au bout de ses doigts, monter et descendre, monter et descendre, monter et descendre. Une légère brume couronne les vagues, liquide se transformant en gaz. La surface des eaux a un ravissant poli de verre, c’est si doux, si doux. Peut-être rêve-t-il. Les plages en terrasses de l’île sont voilées par le brouillard, dont les collines grises émergent comme au premier jour, irréelle solidité qui fait intrusion dans un monde liquide. Tout semble surréel, comme rêvé, hypnotique.

Un craquement retentit soudain, et un yacht de douze mètres s’est mis en panne le long de leur bateau. Trois hommes bondissent sur le pont du catamaran, effrayant Sandy. Les bruits sourds et la subite inclinaison du pont réveillent Tash, qui surgit de sa cabine et rejoint Sandy. Sandy a toujours l’impression de vivre dans un rêve, il est trop sonné pour bouger. Les trois étrangers font la chaîne et de petits bidons de métal sont soulevés par-dessus l’eau et balancés sur le pont, derrière le mât.

Pendant qu’ils s’affairent, au beau milieu de l’opération, un brraoom sourd leur parvient de l’île, suivi d’un gigantesque bruit d’explosion. BOOOOUM !!!! Waow !

Ça réveille. Tash scrute la mer.

— Regardez là-bas, vite, les presse-t-il en tendant l’index.

Sandy regarde. Une tache noire, juste au-dessus de l’eau sur l’horizon, qui file au ras des embruns dans leur direction… Elle se déplace rapidement et feinte d’un côté et de l’autre en se rapprochant, fait zzzooou en dépassant les deux bateaux trop vite pour que Sandy ait le temps de tourner la tête, et brrraoom en frappant l’île. BOOOUM ! Un épouvantable bruit supersonique, comme si le tissu du monde avait été déchiré. Et une autre tache vient d’apparaître au loin…

Bizarrement, les étrangers venus du yacht ont continué de se jeter les bidons jusque sur leur pont, sans rater un seul lancer, ignorant complètement les missiles qui hurlent au-dessus de leurs têtes. Quand il y a douze bidons à bord, ils s’arrêtent. Un des hommes vient vers eux. « Tenez. » L’homme lui met une carte dans la main, saute sur le pont du yacht. Qui commence à s’éloigner, toutes ses voiles d’un blanc d’ailes d’ange au-dessus de la brume. Contourne la pointe méridionale de l’île, et disparaît.

Sandy et Tash se dévisagent toujours, muets, les yeux troubles. Et voilà une autre tache noire qui rase l’eau, un autre brraoom, un autre grondement ravageur.

— Qu’est-ce que c’est que ces trucs-là ? crie Sandy.

— Missiles de croisière. Regarde comme ils volent vite et bas ! En voilà un autre…

Tache noire à fleur de vagues. Une toutes les deux minutes. Chaque explosion supersonique leur agace les nerfs, les fait sursauter. Finalement, Tash cesse d’attendre que ça s’arrête. Il vérifie les bidons sur le pont médian, revient.

— Je suppose que nous sommes les heureux propriétaires de douze bidons d’aphrodisiaque, dit-il.

BOOUM ! Le mât frémit sous les rafales d’air.

— Tirons-nous d’ici, bordel.

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