Plus tard dans l’après-midi, ils approchent la rade de Dana Point, sous sa belle falaise accidentée. C’est là que Bob Tompkins leur a demandé de conduire le bateau. Mais Tash aperçoit deux vedettes des gardes-côtes, près de la jetée. Dans les jumelles, il semble qu’elles arraisonnent les bateaux et envoient des hommes à bord.
— Sandy, je ne crois pas que nous devrions essayer d’entrer en passant devant ces deux-là, pas avec notre cargaison.
— Je suis d’accord. Changeons de cap tout de suite, avant qu’il soit trop évident que nous les évitons.
Ils tirent un bord et entament une longue approche au noroît sur Newport, recourant aux moteurs auxiliaires pour gagner de la vitesse. Sandy n’aura qu’à appeler Tompkins pour lui dire que la marchandise est ailleurs. Tompkins ne sera pas ravi, mais c’est la vie. Pas question de courir le risque de se faire fouiller par les gardes-côtes, et on dirait bien que c’est à ça qu’ils s’exposent. Se peut-il qu’ils soient à la recherche de la cargaison de Sandy et Tash ? Sandy n’aime pas avoir des idées aussi manifestement paranoïdes, mais il est difficile d’éviter ça avec ce qu’ils ont à bord.
Une heure plus tard, Tashi escalade la drisse du mât de misaine, non sans difficulté, pour jeter un coup d’œil vers le nord à l’aide des jumelles.
— Merde, fait-il. Ecoute, Sandy, repartons vers Reef Point.
— Pourquoi ?
— Il y aussi des gardes-côtes au large de Newport ! Et ils arrêtent les bateaux.
— Tu déconnes.
— Je déconnerais pas avec un truc comme ça. Il y en a un paquet, en fait, et je crois – je crois, oui – qu’il y en a deux qui se dirigent vers nous. Peut-être qu’ils ratissent la côte.
— Alors quoi ? T’as envie de balancer la camelote par-dessus bord ?
— Tout juste. Et vaudrait mieux faire vite – j’ai l’impression qu’ils arrêtent que les catamarans qui sont à peu près de la taille du nôtre.
— Putain ! Je me demande si on les a rencardés.
— Peut-être. Remontons les barils sur le pont.
Tashi descend et ils sortent en vitesse les barils métalliques des cabines. Le catamaran est plus lent avec les fûts à bord, mais l’effet est moindre quand ils sont entassés derrière le mât, aussi est-ce là qu’ils les mettent.
Tashi prend la barre et leur fait passer les récifs de Reef Point, un cap sans plage, falaise escarpée et continue de quinze mètres de haut qui constitue la « côte d’Irvine », entre Corona del Mar et Laguna. Dans ce coin, le sommet de la falaise est occupé par un gros complexe industriel ; juste sur sa gauche se trouvent les coprops de Muddy Canyon.
Tash les conduit au moteur plus loin vers l’intérieur, hors de vue des bâtiments sur la falaise au-dessus d’eux.
— C’est là que bosse le vieux de Jim, dit Tashi en lofant pour les immobiliser dans des eaux où l’on a pied jusqu’à la taille, juste dans une brèche du littoral. (Heureusement, c’est un jour sans déferlantes.) C’est la Laguna Space Research, juste en dessus. (Il balance la petite ancre du bateau par-dessus bord.) Grouille-toi, Sandy, les vedettes se dirigeaient vers le sud, et plutôt vite.
D’un bond, il saute du bateau, et Sandy empoigne les barils et les lui passe. Tous deux tiennent les bidons comme si ceux-ci étaient vides ; l’adrénaline est sur le point de leur remplacer complètement le sang. Tash prend les barils sur une épaule et les remonte à fond de train vers les rochers incrustés de moules et d’algues au pied de la falaise de grès. Il les dispose dans des interstices, farfouille de tous côtés comme un chien fou à la recherche de petites pierres branlantes pour les recouvrir. Sandy saute dans l’eau et se précipite du bateau vers le rivage avec les bidons, soufflant et grognant, pataugeant dans le faible ressac, dérapant sur le fond de cailloux glissants à la recherche d’une meilleure assise pour les pieds. Ils sont tous deux hors d’haleine, pantelants, hoquetants, épuisés par leurs efforts pour lutter contre le courant.
Et tous les bidons sont à l’abri, et ils sont remontés à bord du bateau et repartis vers le large aux moteurs. Pas d’autre bateau en vue. Dix minutes, peut-être, pour l’ensemble de l’opération, même si ça a semblé durer une heure. Pfff.
Ils mettent le cap à l’ouest jusqu’à ce qu’ils puissent virer de bord et se rapprocher de nouveau de Newport. Comme de bien entendu, quand ils arrivent près du port, ils se font intercepter par une vedette des gardes-côtes, et subissent une fouille vraiment serrée. C’est une première pour eux deux, même si ça ressemble aux ratissages de leurs voitures qu’effectue la police à terre. Sandy a balancé tous les compte-gouttes à la baille, et il se montre poli et coopératif avec les gardes-côtes. Tash est grincheux et grossier ; ils assument les rôles du tandem bon suspect/mauvais suspect, juste par habitude.
La fouille effectuée, les gardes-côtes les laissent aller sans s’émouvoir. Ils rentrent dans la rade sur les moteurs, bien sages jusqu’à ce qu’ils se glissent dans leur emplacement d’amarrage et quittent le bateau pour monter sur le ponton étrangement stable et solide. Retour au parking et à la voiture de Sandy, loin du théâtre du crime, pour ainsi dire. Peu importe désormais ce qu’il advient du Rhinocéros, ils sont en sécurité.
— Plutôt éprouvant pour les nerfs, dit doucement Tash.
— Ouais. (Malgré son soulagement, Sandy est toujours préoccupé.) Je ne sais pas ce que Bob va dire de ça.
À vrai dire, il le sait ; Bob va être furieux. Pendant un moment, du moins.
— Ouais, eh bien moi je crois qu’il y a eu une sacrée fuite de leur côté.
— Peut-être. Quand même, mettre la camelote juste en dessous de la L.S.R. Ils ont des dispositifs de sécurité, forcément. J’ai idée que je ne vais pas m’en tirer comme ça avec les gars de San Diego.
— Qu’ils aillent se faire foutre.
— Facile à dire, pour toi.
Et il n’y aura pas de paiement si la marchandise n’est pas livrée. Soupir.
— Bon. On ferait mieux d’aller se défoncer et d’y réfléchir.
— Tu l’as dit.