Dennis McPherson entre dans son bureau un matin, simple saut pour passer prendre le courrier avant de foncer à White Sands, Nouveau-Mexique, pour superviser un essai du V.P.D., désormais baptisé Abeille-Tempête. Il trouve une note lui enjoignant de monter voir Lemon.
Son pouls s’accélère à mesure que l’ascenseur s’élève. Il ne s’est passé qu’une semaine depuis que Lemon a piqué une de ses crises, martelant son bureau et devenant tout rouge et hurlant en s’adressant directement à McPherson.
— Vous faites votre boulot trop lentement ! Vous êtes un putain de pinailleur de perfectionniste, et je ne le tolérerai pas ! Je ne veux pas de traînards dans mon équipe ! Il s’agit d’une guerre comme toutes les autres ! On passe à l’offensive quand l’occasion se présente, et on y va jusqu’au bout ! Je voulais voir cette proposition pour Abeille-Tempête hier !
Et ainsi de suite. Lemon aime faire sauter les verrous de temps à autre, tous ceux qui travaillent pour lui sont d’accord là-dessus. Ce n’est pas pour ça que McPherson apprécie davantage la chose. Lemon n’est plus ingénieur depuis si longtemps que des petits problèmes comme le poids ou le voltage ou la fiabilité exécutive ne signifient plus rien pour lui. Ce sont là des choses dont il laisse aux autres le soin de s’occuper. En ce qui le concerne, c’est rentabilité, calendriers, élan de l’équipe, look de celle-ci. C’est l’intrépide dirigeant de l’équipe, le petit Führer de son petit Reich en conserve. Si le projet était le mouvement perpétuel, il continuerait de beugler à propos de délais, de prix de revient, de relations publiques…
Ce matin, c’est de nouveau le charme en personne, qui fait entrer McPherson, l’appelle « Mac », s’assied avec désinvolture sur le bord de son bureau. Ne réalise-t-il pas que le numéro de charme ne veut rien dire quand il est associé aux crises de colère ? Pire encore – le fait d’avoir deux visages fait de lui un obséquieux hypocrite, un maniaco-dépressif, un acteur. Les choses seraient plus faciles à avaler s’il se contentait en permanence du rôle du tyran tonitruant, vraiment ça serait plus facile.
— Alors, comment ça se passe avec Abeille-Tempête, Mac ?
— Nous avons fabriqué un prototype de nacelle qui correspond aux spécifications de Feldkirk. Les essais en labo se sont très bien passés et nous avons prévu de le tester sur l’un des V.P.D. de Northtrop cet après-midi à White Sands. Si ça se passe bien, nous aurons le choix entre le soumettre à quelques tests d’enveloppe ou le donner à l’Air Force et les laisser s’en charger.
— Nous le donnerons à l’Air Force. Le plus tôt sera le mieux. (Bien sûr.) Ils le testeront, de toute façon.
C’est vrai, mais il serait beaucoup plus sûr pour la L.S.R. de voir s’il y a des problèmes de fonctionnement avant de laisser l’Air Force jeter un œil dessus. McPherson ne le dit pas, et pourtant il le devrait. Cette façon de le dégager de ses responsabilités vis-à-vis du programme l’irrite, mais il est las des crises de colère.
Lemon continue comme si c’était une affaire réglée.
C’est le problème avec les projets super-noirs ; l’entrepreneur a tendance à faire moins d’essais qu’il ne pourrait se le permettre dans le cas d’une compétition autour d’un programme blanc. Et il n’y a pourtant aucune raison à cela : ils n’ont pas de date limite. Feldkirk a juste dit qu’ils devaient retourner le voir le plus tôt possible. La précipitation n’est donc due qu’à une obsession de Lemon ; il amoindrit la force de leur proposition avec sa conviction complètement irrationnelle qu’il leur faut se hâter.
— Nous faisons aussi vite que possible, se permet de dire McPherson.
C’est risquer une nouvelle explosion de colère, mais tant pis.
— Oh, je sais bien que c’est le cas, je le sais.
Une lueur dangereuse apparaît dans l’œil de Lemon, il s’apprête à enfoncer le clou et à rappeler comment il se fait qu’il le sait – parce que c’est lui le patron, ici, c’est lui le responsable, il sait tout. Mais McPherson reste de marbre pendant l’orage, s’en sort indemne. Lemon débite encore quelques-uns de ses encouragements de Führer, puis déclare :
— Bon, partez pour White Sands, avec une très bonne imitation de sourire, que McPherson n’essaie pas de lui retourner.
Il trace jusqu’à San Clemente puis prend le train à très grande vitesse jusqu’à El Paso. Propulsé comme une balle dans un pistolet électromagnétique.
Les deux mois passés à préparer cet essai ont été durs. Chaque jour de la semaine, il est passé à son bureau dès 6 heures du matin, a rédigé une liste des activités de la journée comportant parfois quarante points et s’y est tenu jusqu’en début de soirée, et même plus tard que ça. D’abord, il a dû s’occuper de tous les aspects relatifs à la conception du système Abeille-Tempête : discuter avec les ingénieurs et les programmeurs, faire des suggestions, donner des ordres, coordonner leurs efforts, prendre des décisions…
A ce stade, c’est un bon boulot, on relève les défis techniques et on résout les difficultés qu’ils présentent. Et son équipe de concepteurs forme un bon groupe, plein de ressources, dur à l’ouvrage, astucieux ; il doit jouer de la baguette pour canaliser les efforts de cette bande disparate, et c’est intéressant.
Puis ils sont passés à la phase de production et d’essai des composants, et à chercher les bugs de la programmation. Ça a été frustrant, comme toujours ; apporter une quelconque contribution sur les points de détail à ce stade dépassait ses compétences techniques et il devait se contenter d’orchestrer les essais et de veiller à ce que tout le monde y travaille. Ça évoque un peu trop le rôle de Lemon, même s’il est hors de question qu’il le remplisse jamais en adoptant le même style.
Est ensuite venu le moment de tester les gros composants. Et maintenant, le moment de tester pour la première fois le système entier.
Le train arrive à destination en moins d’une heure et, depuis la gare d’El Paso, l’hélicoptère de la L.S.R. le lofte jusqu’au champ de tir de missiles de White Sands, le terrain d’essais qu’un consortium de compagnies d’armement loue au gouvernement.
En sortant de l’hélicoptère, McPherson cherche dans la poche de son veston les lunettes de soleil qu’il a apportées. Il est vraiment troublant de voir combien le sable est blanc dans cette région : étrange particularité géologique, en vérité. Mais personne ne visite le petit parc national qui jouxte le terrain d’essais, à vrai dire.
McPherson est véhiculé jusqu’au building de la L.S.R. sur le champ de tir, et plusieurs des ingénieurs présents le saluent.
— Il est prêt à partir, dit Will Hamilton, le chef des essais sur le terrain. Nous avons le feu vert de décollage pour midi une, et le V.P.D. est ravitaillé et préparé.
— Magnifique, dit McPherson, qui regarde sa montre. Ça fait dans une demi-heure ?
— Exact.
Ils prennent du café et des croissants au bar, puis montent six étages en ascenseur jusqu’à la terrasse d’observation sur le toit. Des caméras et des ordinateurs enregistreront l’essai sous toutes les coutures, mais tout le monde continue de vouloir voir la chose se dérouler réellement. Ils se tiennent à présent sur une vaste plate-forme de béton, les yeux tournés vers les vagues que sont les dunes d’un blanc immaculé, qui s’étendent d’un horizon à l’autre comme un océan que l’on aurait gelé et dont l’on aurait ensuite tout extrait à l’exception du sel pur. Singulier paysage ! McPherson en apprécie immensément la vue.
Au nord se trouvent les pistes que se partagent toutes les compagnies, et qui se croisent les unes les autres en dessinant comme un X et un H superposés, leur béton maculé paraissant minable au milieu de la pureté environnante. Des enclos appartenant à Aerodyne, Hughes, la S.D.R., Lockheed, Williams, Ford Aerospace, Raytheon, Parnel et la R.W.D. sont éparpillés parmi les dunes, comme des cubes lâchés par un gigantesque enfant. Il y a un grand panache de fumée loin à l’est, qui ondule jusqu’à un kilomètre environ d’altitude dans le ciel ; les essais de quelqu’un ont réussi – ou échoué, car le panache a un côté huileux qui suggère un échec.
— La R.W.D. essayait le nouveau système de guidage en rase-mottes pour bombardiers.
Hamilton informe McPherson.
— Ils disent qu’il n’a pas vu une petite colline par là-bas.
— Quel dommage.
— Le pilote a été éjecté automatiquement une seconde à peine avant l’impact, et il s’en est tiré. Juste les jambes et les côtes cassées.
— Ça c’est bien.
— Les V.P.D., voilà l’avenir, ça ne fait aucun doute. Tout se déplace trop vite pour qu’un pilote serve à quelque chose ! Ils ne font que courir des risques en allant là-haut, et ça revient dix fois plus cher de fabriquer un avion capable de les accueillir, alors même qu’ils ne sont plus en mesure de faire quoi que ce soit.
McPherson lui jette un coup d’œil.
— Pour autant que les systèmes automatiques fonctionnent.
Hamilton rit.
— Comme les nôtres, vous voulez dire. Eh bien, nous allons voir ça d’ici peu, maintenant. (Il fait un geste vers l’ouest.) Les tanks qui servent de cibles sont là-bas, sur l’horizon. Nous avons suivi vos instructions, et ils sont donc équipés des systèmes de D.C.A. soviétiques Badger, et entourés de lanceurs de missiles sol-air Armadillo. Avec ça, l’avion ne part pas gagnant d’avance.
McPherson hoche la tête. Les six tanks à l’ouest sur la ligne d’horizon, téléguidés eux aussi, évoquent de petites grenouilles sombres qui avancent lourdement en diagonale vers le sud, soulevant de vaporeux nuages de sable.
— C’est un test honnête.
Ils attendent, et pour passer le temps bavardent encore à propos de l’essai, disant des choses qu’ils savent déjà tous les deux. Mais pas de problème. Chacun devient un peu nerveux quand arrive le moment de vérifier si ses efforts ont servi à quelque chose. Les nombres se traduiront-ils avec succès en réalités ? Parler rassure.
L’intercom de la terrasse crachote et on les met en contact avec le contrôleur aérien qui s’occupe des pistes. Un hangar s’ouvre au nord de la piste d’envol ; en sort en roulant un long jet noir au fuselage étroit.
Sous le fuselage se trouvent deux nacelles.
Elles sont aussi grosses que le fuselage lui-même : l’une noire, l’autre blanche.
Des senseurs. On peut fermer les yeux, ça n’a pas d’importance.
Sous chaque aile en delta, flanquant les turbines : des rangées de petits missiles empennés.
L’avant du fuselage se termine en une longue pointe, pareille à celle d’un narval.
L’arrière se déploie en deux stabilisateurs presque aussi grands que les ailes.
Sous le fuselage, un petit réacteur cylindrique.
Comprenez bien : ça ne ressemble plus à un avion.
Et ces feux de stop, qui clignotent dans les axones…
Somme toute, c’est un truc affreux, l’air aveugle comme une taupe et pas du tout aérodynamique. Il y a quelque chose de sinistre dans la manière dont il roule jusqu’au bout de la piste, tourne, met ses réacteurs en marche et file sur la piste avant de grimper vers le ciel bleu foncé. Qui pense encore boutique ? Hamilton sourit largement du spectacle, et McPherson sent que c’est aussi son cas. Vraiment, c’est un putain d’engin.
L’intercom a retransmis par le menu les instructions de décollage et autres données de ce genre ; maintenant, alors que le réacteur du V.P.D. entre en action et qu’il diminue jusqu’à se réduire à une tache enflammée dans le ciel, ils tendent l’oreille.
— Véhicule d’essais trois trois cinq se rapprochant maintenant des deux mille mètres. Programme d’essais trois trois cinq commençant à T moins dix secondes. Programme d’essais, début maintenant.
Dix des douze hommes présents sur la terrasse mettent en route les chronomètres de leurs montres-bracelets. Certains d’entre eux portent des jumelles autour du cou, mais ils n’auront pas l’occasion de s’en servir avant que l’attaque-test n’ait eu lieu ; il n’y a rien à voir dans le ciel, il est d’un bleu sombre, net, plus foncé que n’importe quel ciel visible dans le C. d’O. Rien dedans. McPherson s’aperçoit qu’il ne respire pas régulièrement et se concentre pour parvenir à un rythme constant. Balayer le ciel du regard, la zone où le V.P.D. a été vu pour la dernière fois, probablement pas celle où il va réapparaître, scruter encore… Il a la vue remarquablement perçante et, lorsqu’il cesse de focaliser son attention pour observer la totalité de l’étendue bleue au-dessus de lui, il remarque un minuscule défaut, loin au nord.
— Là-haut, dit-il rapidement, et il pointe l’index.
L’éclat de lumière se déplace dans les airs puis, trop vite pour qu’aucun d’entre eux puisse vraiment le suivre, l’objet décoche deux éclairs vers les boum dunes blanches en dessous et les tanks se transforment en fleurs de feu orange tandis que la chose se redresse et repart vers la stratosphère comme une fusée. Mach 7, vraiment trop rapide pour que l’œil suive : le passage a pris moins de trois secondes en tout. Les tanks sont des nuages de fumée noire, BoumBoum, B-B-B-B-Boooum ! Le son finit par les atteindre. Ciel bleu et vide, dunes blanches défigurées par six colonnes de flammes grasses, là-bas sur l’horizon. Tous les tanks envolés.
Ils criaient lorsque le bruit de l’explosion a éclaté. Maintenant ils se serrent la main et rient, parlent tous en même temps. Peu importe le nombre de séances d’essais dont ils ont déjà été témoins, l’extrême rapidité de cet engin et la fantastique puissance sonore et matérielle des explosions les impressionnent inévitablement. D’une part, c’est un choc physique, sensoriel, et de l’autre il est intellectuellement grisant de songer que leurs calculs, leur travail, peuvent aboutir à un déploiement aussi imposant. Hamilton arbore un grand sourire.
— Tous ces Badgers et Armadillos n’ont même pas eu le temps d’enregistrer l’intrusion, je parie ! Les données montreront jusqu’où ils sont allés.
— Et toutes les nacelles ont fonctionné, dit McPherson.
La vérification des fonctions de désignation et de pistage des cibles constituait le test essentiel. Tous ces trucs marchent ; ils ont rempli leur contrat. Le fait que le meilleur lance-missiles sol-air tactiques soviétique ne soit pas assez rapide pour stopper Abeille-Tempête est vraiment tout bénef, ça confirme que l’Air Force a vu juste dans ses demandes. Le principal, c’est qu’ils disposent d’un système qui fonctionne.
Ils passent les quelques heures suivantes à examiner les données issues des essais. Tout semble vraiment au poil. Ils font sauter le bouchon d’une bouteille de champagne et trinquent avec leurs gobelets en plastique avant que McPherson monte dans l’hélicoptère avec les données et reparte vers El Paso et le C. d’O.
Tandis qu’il file sur les aimants dans le calme à l’abri des bruits et des vibrations qu’offre le train à très grande vitesse, McPherson ne peut s’empêcher d’éprouver le sentiment fugitif du devoir accompli. Il dédaigne les listages sur ses genoux et examine le luxueux wagon. Les hommes d’affaires dans les grands fauteuils s’abritent derrière des exemplaires ouverts du Wall Street Journal. En l’absence de fenêtres, de vibrations et de bruit, on a peine à croire qu’ils se déplacent à Mach 2. Le monde est devenu incroyable…
À son retour, il lui faudra se consacrer à la tâche pénible qui consiste à rédiger la description du système sous forme de proposition officielle. Quelques centaines de pages, ça fera, pas autant que pour une proposition sujette à concurrence, c’est vrai, mais quand même, c’est lui qui devra superviser et mettre au point l’invraisemblable quantité de descriptions, de graphiques, de diagrammes et autres choses du même genre. Pas marrant.
Pourtant… être présent à ce stade signifie beaucoup ; ça signifie qu’ils disposent d’un système qui fonctionne, dans la fourchette de taille et de puissance spécifiée. C’est plus qu’on n’en peut dire au sujet de pas mal de projets de la L.S.R., en ce moment. McPherson songe brièvement à Foudre en Boule, chasse cette pensée. C’est là l’une des rares occasions où un directeur de projet peut déclarer : « Le travail est fait, et c’est une réussite. » On ne lui a jamais accordé autant d’autorité que cette fois-ci, et ça implique beaucoup de choses.
L’image de la séance d’essais lui revient à l’esprit. La rapidité humaine du piqué, de l’attaque, de la disparition ; la destruction fulgurante, précise et totale des six tanks qui se traînaient ; ça a vraiment été extraordinaire, tant physiquement qu’intellectuellement.
Et le souvenir amène McPherson à discerner tout à coup le tableau d’ensemble, la signification de l’événement. C’est comme s’il venait de reculer devant un écran vidéo après avoir passé des mois à en étudier chaque point. L’image se dévoile soudain. Ce système, ce V.P.D. avec ses yeux d’Abeille-Tempête, son armement de missiles dernier cri, sa vélocité, son invisibilité radar, son faible prix de revient, sans pilote exposé au danger – ce système est le genre d’arme de pointe capable de modifier radicalement et durablement la nature de la guerre. Si les Soviétiques font quitter l’Europe de l’Est aux énormes troupes du pacte de Varsovie – en fait, si quelque armée que ce soit tente une invasion où que ce soit –, ces dromes sans pilote pourront alors surgir de l’espace et tirer leurs missiles avant que n’importe quel système de défense soit capable de les repérer ou de répliquer, et à chaque passage une demi-douzaine de tanks ou de véhicules disparaîtront. Et en aussi peu de temps qu’il n’en faut pour dire « waow ! » les forces d’invasion s’envoleront avec eux.
Le résultat brut de cela, compte tenu du fait que la technologie est plutôt là pour être développée par tout un chacun – la L.S.R. n’est au fond pas super-inventive, personne ne l’est –, le résultat brut, c’est que quand tous les pays disposeront de systèmes semblables à celui-ci, personne ne sera plus à même d’envahir un autre pays. Ce sera tout bonnement impossible.
Oh, bien sûr il y aura toujours des guerres – il n’est pas idéaliste au point de croire que les armes de pointe élimineront cette institution qu’est la guerre –, mais toute force d’invasion majeure est condamnée à une prompte destruction chirurgicale. Ainsi, vraiment, les invasions à grande échelle deviennent hors de question, ce qui restreint considérablement la taille potentielle d’un conflit de vaste envergure.
Et tout cela sans devoir recourir à la menace des armements nucléaires tactiques. Depuis maintenant une centaine d’années, ou presque, l’O.T.A.N. s’est servie des armes nucléaires tactiques comme de l’ultime rempart contre une invasion des forces du pacte de Varsovie. Et les missiles à courte portée restent installés là-bas, à quelques kilomètres de la frontière ouest-allemande, créant une situation dans laquelle, en cas d’invasion, l’O.T.A.N. serait contrainte de les utiliser ou de les perdre. C’est l’une des situations les plus dangereuses dans le monde, parce que si une seule tête nucléaire part, nul ne sait où cela s’arrêtera. Très vraisemblablement, cela ne s’arrêtera pas avant que tout le monde soit mort. Et même si cela s’arrête, les villes allemandes seront anéanties. Et tout ça pour repousser des tanks !
Mais maintenant, maintenant, avec Abeille-Tempête… ils peuvent retirer leurs armes nucléaires de là-bas, et toujours disposer d’une défense complètement sûre contre une invasion conventionnelle. Les cités et leurs populations n’auront pas à sauter en même temps que leurs envahisseurs ; on n’aura besoin de rien d’autre qu’une réaction précise, limitée, on pourrait aller jusqu’à dire humaine. Si vous nous envahissez, vos troupes d’invasion seront éliminées par des robots intercepteurs impossibles à arrêter. Une destruction rapide, chirurgicale, de n’importe quelles forces d’invasion ; et la guerre balayée du même coup. La guerre – les guerres d’invasion majeures, en tout cas – devenue impossible ! Bon Dieu ! Tu parles d’une idée ! Une arme qui pousserait les ennemis à discuter – sans la terrifiante menace d’une destruction mutuelle assurée. En fait, avec des armes comme celle-ci, il devient parfaitement plausible de démanteler toutes ces mégatonnes, de se débarrasser de l’horreur nucléaire… Est-ce que cela peut être vraiment vrai ? Avons-nous atteint ce point précis de l’histoire où la technologie rendra enfin la guerre désuète et les armes nucléaires superflues ?
Oui, il semble que cela soit vrai : il a distingué l’angle d’attaque de cette vérité, l’a entr’aperçu alors qu’il fondait sur le sable blanc du désert comme un mirage évoluant à Mach 7, une image à la périphérie de la vision, ce jour même. On dirait vraiment que son travail, la sueur de son front, pourrait contribuer à débarrasser le monde du cauchemar vieux d’un siècle qu’est la menace de l’anéantissement nucléaire. Pourrait même contribuer à le débarrasser de la menace vieille de mille ans d’un conflit majeur, catastrophique. C’est… Eh bien, c’est un travail dont on peut être fier.
Et, fonçant sur le chemin du retour à la surface du désert, McPherson ressent soudain cette fierté plus fortement qu’il ne l’a fait de toute sa vie, quelque chose comme une radieuse incandescence, un soleil dans sa poitrine. C’est vraiment quelque chose…