85.

Alessandro Calfo recula d'un air satisfait : c'était parfait. Sur le parquet de sa chambre, une grande croix était posée, deux larges planches qui permettaient à un corps de s'allonger à l'aise. Sonia serait bien. Il entraverait ses mains avec les deux cordelettes de soie douce qu'il avait préparées, ses jambes devaient rester libres. À l'évocation de la scène, le sang fouetta ses tempes et son bas-ventre : s'unir charnellement à la jeune femme couchée à la place du divin crucifié, c'était l'acte le plus sublime qu'il accomplirait jamais. La divinité enfin mêlée à l'humanité, la moindre de ses cellules connaissant l'extase en s'unissant au sacrifice rédempteur du Christ dans sa forme la plus parfaite. Sans violence : Sonia serait consentante, il le savait, il le sentait. Sa réaction horrifiée de l'autre jour n'était qu'un effet de sa surprise. Elle obéirait, comme toujours.

Il vérifia que l'icône byzantine était bien à l'aplomb de la croix : ainsi, tandis qu'il célébrerait le culte, elle pourrait contempler, simplement en levant les yeux, cette image qui apaiserait son âme d'orthodoxe. Il avait pensé à tout, car tout devait être exemplaire. Et demain soir, il déposerait l'épître maudite sur l'étagère vide, qui depuis si longtemps l'attendait.

Il sursauta en entendant sonner. Déjà ? D'habitude, toujours discrète, elle venait à la nuit tombée. Peut-être, aujourd'hui, était-elle impatiente ? Son sourire s'élargit, il alla ouvrir.

Ce n'était pas Sonia.



– An... Antonio ! Mais que faites-vous ici, aujourd'hui ? Je vous ai convoqué demain matin, Nil devait d'abord voir le Polonais cet après-midi... Que signifie ?

Antonio avança vers lui, le contraignant à marcher à reculons dans le couloir d'entrée.

– Cela signifie, frère recteur, que nous avons à parler, vous et moi.

– À parler ? Mais c'est moi qui parle, et quand je l'ai décidé ! Vous êtes le dernier des Douze, en aucun cas...

Antonio avançait toujours, les yeux rivés sur le visage du Napolitain, qui reculait devant lui en se cognant aux murs.

– Ce n'est plus toi qui décides, c'est le Dieu que tu prétends servir.

– Que... que je prétends ! Et qui vous autorise à me parler sur ce ton ?

L'un poussant l'autre, les deux hommes parvinrent à la porte de la chambre, que Calfo avait laissée ouverte.

– Qui m'autorise ? Et qui t'autorise, misérable, à trahir ton serment de chasteté ? Qui t'autorise à avilir une créature de Dieu, abrité derrière ton ordination épiscopale ?

D'un coup de hanche, il força le petit homme replet à pénétrer, toujours à reculons, dans la chambre. Calfo trébucha sur le pied de la croix. Antonio jeta un coup d'œil au décor soigneusement mis en scène : le cardinal ne lui avait pas menti.

– Et ça ? Ce que tu t'apprêtais à faire est un abominable blasphème. Tu n'es pas digne de posséder l'épître du treizième apôtre, le Maître ne peut être protégé par un homme tel que toi. Seul un être pur peut écarter la souillure qui menace aujourd'hui Notre-Seigneur.

– Mais... mais...

Calfo se prit à nouveau les pieds dans le montant de la croix, glissa et tomba sur ses genoux devant l'Andalou. Celui-ci le regarda avec mépris, les lèvres plissées de dégoût. Ce n'était plus son recteur, le premier des Douze. C'était une loque, tremblante et inondée de transpiration malsaine. Ses yeux devinrent subitement ternes.

– Tu voulais t'allonger sur la croix, n'est-ce pas ? Tu voulais unir ton corps, transfiguré par la jouissance, au Maître transfiguré par son amour pour chacun de nous ? Eh bien, tu vas le faire. Tu ne souffriras jamais autant que Celui qui est mort pour toi.



Un quart d'heure plus tard, Antonio refermait doucement sur lui la porte de l'appartement, et s'essuyait les mains avec un mouchoir en papier. Cela n'avait pas été difficile. Ce n'est jamais difficile, quand on obéit.

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