37.
– Bienvenue à San Girolamo ! Je suis le père Jean, hôtelier.
En sortant du Rome express, Nil retrouva ses marques d'étudiant et se dirigea sans hésiter vers l'arrêt du bus qui mène aux catacombes de Priscilla. Tout heureux de revoir la ville, il ne pensait plus aux péripéties de son voyage.
Il descendit presque au terminus, en haut d'une côte de la via Salaria. Située dans un cadre encore verdoyant, l'abbaye San Girolamo est une création artificielle du pape Pie XI qui voulut y rassembler des bénédictins du monde entier, pour établir une version révisée de la Bible – mais en latin. La Société Saint-Pie V surveilla de près chacun de ces moines, jusqu'à ce qu'ils soient contraints d'admettre que le latin n'était plus parlé qu'au Vatican : le monde moderne condamnait leur labeur. Depuis, San Girolamo subsistait de souvenirs.
Nil déposa sa valise à l'entrée du cloître jaune sale, muni en son centre d'une vasque sur laquelle penchait tristement un bouquet de bambous. Une vague odeur de pasta et de laurier-rose rappelait seule qu'on se trouvait à Rome.
– La Congrégation m'a prévenu hier de votre arrivée. Au début du mois, nous avions reçu la même demande pour votre père Andrei, qui a logé ici pendant plusieurs jours...
Le père Jean était aussi volubile qu'un Romain du Trastevere. Il le guida vers l'escalier qui menait aux étages.
– Donnez-moi votre valise... ouf ! Ce qu'elle est lourde ! Pauvre père Andrei, on ne sait pas ce qui lui a pris, il est parti un matin sans prévenir. Et en faisant son bagage à la hâte, car il a oublié plusieurs objets dans sa chambre. Je les y ai laissés, c'est celle que vous occuperez. Personne n'y a mis les pieds depuis le départ précipité de votre malheureux confrère. Alors, vous venez travailler sur des manuscrits grégoriens ?
Nil n'écoutait plus ce flot de paroles. Il allait loger dans la chambre d'Andrei !
Enfin débarrassé du père Jean, il jeta un coup d'œil circulaire sur la chambre. Contrairement aux cellules de son abbaye, elle était encombrée de meubles disparates. Une grande armoire, deux étagères à livres, un lit à matelas et sommier, une vaste table avec chaise, un fauteuil... Flottait l'odeur indéfinissable des monastères, un relent de poussière sèche et d'encaustique.
Sur l'une des étagères, on avait laissé les quelques objets oubliés par Andrei. Un matériel à raser, des mouchoirs, un plan de Rome, un agenda... Nil sourit : l'agenda d'un moine, pas grand-chose à noter !
Avec effort, il posa sa valise sur la table. Elle était presque entièrement remplie par ses précieuses notes. Il pensa d'abord les ranger sur l'étagère, et se ravisa : l'armoire comportait une clé. Il y plaça les papiers, poussa le négatif de Germigny tout au fond. Donna un tour de serrure et empocha la clé, sans conviction.
Puis il s'arrêta : sur la table, il y avait une enveloppe. À son nom.
Cher Nil,
Tu viens m'aider dans mes recherches. Welcome in Rome ! À vrai dire, je n'y comprends rien : jamais je n'ai demandé qu'on te fasse venir ! Enfin, je suis ravi de te revoir. Passe à mon bureau dès que possible : Secrétariat pour les Relations avec les juifs, dans l'immeuble de la Congrégation. See you soon !
Ton vieil ami, Rembert Leeland.
Un grand sourire éclaira son visage : Remby ! Ainsi, c'était lui, le musicien qu'il venait aider ! Il aurait pu y penser, mais depuis plus de dix ans il n'avait pas revu son compagnon d'études romaines, et l'idée de se faire convoquer par lui à Rome ne lui avait pas effleuré l'esprit. Remby, quel plaisir ! Ce voyage aurait au moins cela de bon, leur permettre de se revoir.
Puis il relut la lettre : Leeland avait l'air aussi surpris que lui. Jamais je n'ai demandé... Ce n'est pas lui qui le convoquait ici.
Mais alors, qui ?