9.

Nil sursauta : le premier coup de la messe sonnait, il faudrait bientôt descendre à la sacristie pour se préparer. Une dernière fois, il relut le morceau de papier arraché quelques heures plus tôt du poing d'Andrei raidi par la mort :



Dire à Nil : manuscrit copte (Apoc).

Lettre de l'Apôtre.

M M M.

Dalle de G.

Mettre en relation. Maintenant.



Chassant de son esprit son enquête sur le rôle joué par Judas dans la mort de Jésus, il revint brutalement à la réalité présente. Qu'est-ce que cela signifiait ? Un pense-bête, bien sûr. Andrei voulait lui parler d'un manuscrit copte – celui de Rome, ou un autre ? Plusieurs centaines de photocopies étaient classées dans le meuble de son bureau : laquelle d'entre elles ? Il avait écrit entre parenthèses (Apoc) : un manuscrit copte d'apocalypse ? C'était un bien mince indice, il existe des dizaines d'apocalypses, juives ou chrétiennes. Et s'il savait lire le copte, il se sentait incapable de traduire correctement un texte difficile.

La ligne suivante éveillait en lui le souvenir d'une de ses conversations avec le bibliothécaire. S'agissait-il de la lettre apostolique dont Andrei lui avait parlé un jour avec réticence, au détour d'une phrase et comme d'une simple conjecture, une hypothèse pour laquelle il ne disposait d'aucune preuve ? Il avait refusé de lui en dire plus.

Que signifiait en dessous la triple lettre M ?

Seule l'avant-dernière ligne était claire pour Nil. Oui, il fallait qu'il retourne photographier la dalle de Germigny, comme il l'avait promis à son ami juste avant son départ.

Quant à la dernière ligne, mettre en relation, ils en avaient souvent parlé : pour Andrei, c'était l'essentiel de son travail d'historien. Mais pourquoi maintenant, et pourquoi avait-il souligné ce mot ?

Il réfléchit intensément. D'une part ses recherches dans les Évangiles, sur lesquelles Andrei l'interrogeait fréquemment. Puis la convocation du bibliothécaire au sujet du manuscrit copte, enfin la découverte faite à Germigny, qui l'avait profondément troublé : tout cela semblait avoir soudain pris pour son ami une signification telle, qu'il voulait absolument en parler à Nil dès son retour.

À Rome, Andrei avait-il découvert quelque chose ? Quelque chose qu'ils auraient évoqué au cours de leurs multiples entretiens en tête à tête ? Ou bien avait-il fini par parler, là-bas, de ce qu'il faut taire ?

Le gendarme avait employé le mot « crime ». Mais pour quel mobile ? Andrei ne possédait rien, vivait en reclus dans sa bibliothèque, ignoré de tous. De tous, oui, mais pas du Vatican. Cependant, Nil ne pouvait accepter l'idée d'un meurtre commandité par Rome. La dernière fois que le pape avait délibérément fait assassiner ses propres prêtres, c'était au Paraguay, et c'était en 1760. La politique d'alors avait rendu nécessaire ce meurtre collectif d'innocents, l'époque était autre. En cette fin du XXe siècle, le pape ne ferait pas disparaître un inoffensif érudit !

« Rome ne verse plus le sang. Le Vatican, à l'origine d'un crime ? Impossible. »

Il se souvint des fréquentes mises en garde de son ami. L'inquiétude qui l'habitait depuis quelque temps lui crispa l'estomac.

Un coup d'œil à sa montre : quatre minutes avant la messe, s'il ne descendait pas tout de suite à la sacristie il serait en retard. Il ouvrit le tiroir de son bureau, glissa le billet au fond, sous une pile de lettres. Ses doigts palpèrent le cliché pris un mois plus tôt dans l'église de Germigny. La dernière volonté d'Andrei...

Il se leva, et sortit de sa cellule.

Devant lui, le couloir sombre et glacial du deuxième étage – le « couloir des pères » – lui rappela où il était : à l'abbaye, et seul désormais. Jamais plus le sourire complice du bibliothécaire n'éclairerait ce couloir.

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