25.

Brutalement arraché à ses études et à la patiente reconstitution du passé, l'univers stable et paisible du père Nil s'écroulait : pour la deuxième fois on venait de fouiller sa cellule. Et des papiers avaient encore disparu de sa table.

Les notes dérobées ce matin rendaient compte de l'état de ses recherches sur les débuts de l'Église. Il était conscient de s'aventurer dans une direction interdite, depuis toujours, aux catholiques. Et maintenant quelqu'un, au monastère, savait ce qu'il cherchait, ce qu'il avait déjà trouvé. Quelqu'un qui l'épiait, s'introduisait chez lui pendant ses absences, n'hésitait pas à voler. Le danger diffus qu'il percevait autour de lui se faisait plus présent – et il ne savait pas d'où il venait, ni pourquoi.

Était-il possible que l'étude puisse devenir dangereuse ?

L'esprit ailleurs, il tourna machinalement les pages du dernier ouvrage publié par son ami. À chaque instant il mesurait le vide créé par sa disparition : plus personne ne serait là pour l'écouter, le guider... Livré à lui-même dans l'immense solitude d'un monastère, une sensation inconnue l'envahissait : la peur.

L'ultime pensée d'Andrei avait été pour lui, il lui avait transmis un message : il fallait surmonter cette peur, et poursuivre l'enquête à partir d'un simple billet. Sa première ligne parlait d'un manuscrit d'apocalypse copte : sans doute faisait-il partie de tous ceux que son ami conservait dans le meuble de son bureau. Mais le mystérieux visiteur de la bibliothèque nord, qui avait failli le surprendre ce matin, avait certainement remarqué le trou béant laissé sur l'étagère par l'emprunt du M M M. Ce livre ne pouvait avoir été pris que par un moine qui n'avait pas accès à la bibliothèque : sans quoi, il aurait laissé à sa place un fantôme revêtu de sa signature, comme c'était la règle.

On découvrirait bientôt le trousseau de clés oublié dans le pantalon d'Andrei, et on ferait le rapprochement : le bureau serait immédiatement muni d'une serrure, et Nil perdrait tout espoir de pouvoir y pénétrer pour retrouver le mystérieux manuscrit.



Découragé, il referma le livre, glissant machinalement l'index entre la couverture et la page de garde. Et il sursauta.

Il venait de sentir une bosse sur la face interne de la couverture.

Un défaut de fabrication ?

Il approcha le livre de sa lampe, et l'ouvrit sous la lumière : ce n'était pas un accident de reliure. Le rebord de la couverture avait été décollé, puis recollé. À l'intérieur, on sentait la présence d'un mince objet rectangulaire.

Avec d'infinies précautions, il découpa sur toute sa largeur le papier de garde qui entoilait le carton, l'écarta, et pencha le livre pour que la lumière vive y pénètre : il y avait un document, plié en quatre, à l'intérieur.

Juste avant son départ, Andrei avait glissé dans son ultime chef-d'œuvre un papier, qu'il avait pris soin de dissimuler très soigneusement.

Saisissant une pince à épiler, avec d'infinies précautions Nil commença à extraire le papier de sa cachette.

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