29.

La nuit était avancée quand Nil reposa le dictionnaire sur sa table encombrée. Qu'il se sentait loin maintenant du dramatique concile de Jérusalem, dont il avait scruté les péripéties quelques jours auparavant ! Et pourtant c'est ce jour-là, dix-huit ans après la mort de Jésus, que le disciple bien-aimé avait dû être exclu définitivement de l'Église naissante.

Il avait pu traduire le fragment de parchemin, découvert dans le livre édité par son ami. Deux courtes phrases, sans lien apparent entre elles :



La règle de foi des douze apôtres

contient le germe de sa destruction.



Que l'épître soit partout détruite

afin que la demeure demeure.



Nil se massa le front : qu'est-ce que cela pouvait bien signifier ?

La « règle de foi des douze apôtres » : dans l'Antiquité, c'est ainsi qu'on appelait le Symbole de Nicée, le Credo des Églises chrétiennes. Celui qu'ils avaient trouvé gravé à Germigny, qui avait tant intrigué Andrei. En quoi consistait ce « germe de destruction » que contiendrait le Credo ? Cela n'avait aucun sens.

« Que l'épître soit partout détruite » : le mot copte qu'il venait de traduire par « épître » était celui même qui désigne les épîtres de saint Paul dans le Nouveau Testament. S'agissait-il d'une de ces épîtres ? L'Église n'a jamais condamné aucune épître de Paul. Le manuscrit aurait-il été rédigé par un groupe de chrétiens dissidents ?

La dernière ligne avait posé à Nil un autre problème : « afin que la demeure demeure ». Le dictionnaire donnait plusieurs sens, « demeure », ou bien « maison », ou bien encore « assemblée ». Ce qui est sûr, c'est que la même racine copte était employée deux fois de suite. Il y avait donc un jeu de mots volontaire : mais lequel ?

Il venait de décrypter le sens des termes, mais pas celui du message. Andrei l'avait-il compris ? Et quel rapport avait-il pu établir entre ce message et les autres indices de son billet posthume ?

Le bibliothécaire était mort après avoir été convoqué à Rome pour rendre compte de sa traduction. Ces quatre lignes avaient-elles quelque chose à voir avec sa disparition brutale ?

Nil se trouvait face à un jeu d'échecs, dont les pièces étaient éparpillées sans ordre. Ces pièces, Andrei les avait patiemment assemblées avant lui. Et à son retour de Rome, dans le train, il avait écrit : maintenant. Il avait donc fait auprès du tombeau de l'apôtre une découverte décisive – mais laquelle ?

Pour lui, rien ne serait jamais plus comme avant. Toute sa vie était-elle remise en cause ? Peut-on encore se dire chrétien si l'on met en doute la divinité de Jésus ?

Il restait quelques heures de nuit. Nil éteignit, et se coucha dans le noir.

« Dieu, nul ne l'a jamais vu. Et Jésus, même s'il n'était pas Dieu, reste l'homme le plus fascinant que j'aie rencontré. Non, je n'ai pas eu tort de lui consacrer ma vie. »

Quelques minutes plus tard, le père Nil, moine bénédictin dépositaire de secrets trop lourds pour lui, dormait d'un sommeil confiant.

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