47.

Sur l'écran de l'ordinateur, l'inscription de la dalle de Germigny apparaissait maintenant avec une grande netteté.

– Regarde, Nil : c'est parfaitement lisible. Ce sont des caractères latins, l'ordinateur les a restitués. Et puis là, au début et à la fin du texte, il y a deux lettres grecques – alpha et oméga – qu'il a identifiées sans erreur possible.

– Peux-tu me faire un tirage ?

Nil contemplait l'inscription tirée sur papier. Leeland attendit qu'il prenne la parole.

– C'est bien le texte du Symbole de Nicée, le Credo. Mais il est disposé de façon totalement incompréhen-sible...

Ils rapprochèrent leurs sièges. « Comme autrefois, quand je le retrouvais dans sa chambre pour étudier avec lui, côte à côte sous la même lampe. »

– Pourquoi a-t-on ajouté la lettre alpha avant le premier mot du texte, et la lettre oméga après le dernier ? Pourquoi ces deux lettres, la première et la dernière de l'alphabet grec, artificiellement plaquées sur un texte écrit en latin et considéré comme intouchable ? Pourquoi a-t-on tronçonné les mots, sans tenir compte de leur signification ? Je ne vois qu'une explication possible : il ne faut pas s'occuper du sens, puisqu'il n'y en a pas, mais de la façon dont le texte a été disposé. Andrei m'a dit qu'il n'avait jamais vu cela : il s'est certainement douté que ce découpage avait une signification particulière, et il a fallu qu'il vienne à Rome pour s'apercevoir que le Credo ainsi modifié avait quelque chose à voir avec les trois autres indices notés sur son billet. Pour l'instant je n'en ai déchiffré qu'un seul, le manuscrit copte.

– Tu ne m'en as pas encore parlé...

– Parce que j'ai découvert ce que veulent dire les mots, mais pas le sens du message. Et le sens se trouve peut-être dans la façon incompréhensible dont ce texte a été gravé au VIIIe siècle.

Nil réfléchit, puis il reprit :

– Tu sais que, pour les Grecs, alpha et oméga signifiaient le début et la fin du temps...

– Comme dans l'Apocalypse de saint Jean ?

– Exactement. Quand l'auteur de l'Apocalypse écrit « Je vis un ciel nouveau et une terre nouvelle », il fait dire au Christ qui lui apparaît en gloire :



Je suis l'alpha et l'oméga,

le Premier et le Dernier

le commencement et la fin.



» La lettre alpha signifie qu'un nouveau monde commence, et la lettre oméga que ce monde-là durera pour l'éternité. Encadré par ces deux lettres, l'étrange découpage du texte ferait donc allusion à un nouvel ordre du monde, qui ne pourrait en aucun cas être modifié : « un ciel nouveau et une terre nouvelle », quelque chose qui doit durer jusqu'à la fin des temps.

– L'alpha et l'oméga sont des symboles bibliques fréquents ?

– Pas du tout. On les trouve uniquement dans l'Apocalypse, dont la tradition affirme que l'auteur est Jean. On peut donc penser que si ce texte est ainsi enchâssé entre l'alpha et l'oméga, c'est que son agencement a quelque chose à voir avec l'Évangile selon saint Jean.

Nil se leva, et alla se planter devant la fenêtre fermée.

– Une disposition du texte indépendante du sens des mots, en relation avec l'Évangile attribué à Jean. Je ne peux rien dire d'autre, tant que je ne me suis pas assis à ma table pour retourner cette inscription dans tous les sens, comme Andrei a dû le faire. En tout cas, tout gravite autour du quatrième Évangile, et c'est pourquoi mes recherches intéressaient tant mon ami.

Nil fit signe à Leeland de le rejoindre près de la fenêtre.

– Demain tu ne me verras pas : je m'enferme dans ma chambre à San Girolamo, et je n'en sortirai que quand j'aurai trouvé le sens de cette inscription. On se revoit après-demain, j'espère que j'y verrai plus clair. Il faudra ensuite que tu me laisses utiliser Internet, j'ai une recherche à faire dans les grandes bibliothèques du monde entier.

Du menton, il désigna le sommet de la coupole de Saint-Pierre, qui émergeait au-dessus des toits.

– Andrei est peut-être mort parce qu'il avait touché à quelque chose qui menaçait ça...

Si, au lieu de regarder le dôme du Vatican, ils avaient jeté un coup d'œil dans la rue, ils auraient pu voir un homme jeune qui fumait négligemment, abrité du froid de décembre dans une porte cochère. Comme n'importe quel flâneur, il portait un pantalon clair et une veste épaisse.

Ses yeux noirs ne quittaient pas le troisième étage de l'immeuble de la via Aurelia.

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