56.

Nil avait demandé à Leeland d'aller sans lui à la réserve vaticane.

– Je veux travailler sur une phrase que j'ai découverte dans l'agenda laissé par Andrei à San Girolamo. Il faut que j'utilise Internet, j'en ai pour des heures peut-être. Si le père Breczinsky te pose des questions, trouve une excuse à mon absence.

Resté seul devant l'ordinateur, il se sentait découragé, perdu au milieu d'un réseau de pistes qui partaient dans tous les sens. Les textes photocopiés par la Huntington Library ne faisaient que confirmer ce qu'il pressentait depuis qu'il étudiait les manuscrits de la mer Morte. Le manuscrit copte ? Sa première phrase lui avait permis de comprendre le code introduit dans le Symbole de Nicée. Restaient la seconde phrase, et la mystérieuse lettre de l'apôtre. Il avait décidé de s'attaquer à ce dernier indice, dont il venait de retrouver la trace dans l'agenda d'Andrei. Toutes ces pistes devaient nécessairement se croiser quelque part. C'était le dernier message de son ami : mettre en relation.

Rembert Leeland... qu'était devenu l'étudiant amical et confiant d'antan, le jeune homme rieur qui jouait sa vie comme sa musique, avec bonheur ? Pourquoi ce bref accès de désespoir ? Nil avait perçu en lui une faille si profonde, qu'il n'avait pu s'en ouvrir à un vieil ami.

Quant à Breczinsky, il semblait totalement seul dans le sous-sol glacial et désert de la Bibliothèque vaticane. Pourquoi lui avait-il fait ces confidences, que s'était-il passé entre lui et Andrei ?

Il décida de se concentrer sur la lettre de l'apôtre. Il devait retrouver un livre, quelque part dans le monde, à partir de sa cote Dewey.

Il se connecta sur Internet, appela Google et tapa bibliotheques universitaires.

Une page de onze sites s'afficha. En bas de l'écran, Google lui signalait que douze pages semblables avaient été sélectionnées. Cent trente sites environ à interroger.

Avec un soupir, il cliqua sur le premier site.



Lorsqu'il rentra peu après midi, Leeland fut contrarié de ne voir qu'un court billet posé devant l'ordinateur : Nil était retourné d'urgence à San Girolamo. Il reviendrait via Aurelia dans la soirée.

Avait-il trouvé quelque chose ? L'Américain n'avait jamais été un homme d'érudition biblique. Mais les travaux de Nil commençaient à l'intéresser au plus haut point. En cherchant à découvrir ce qui avait provoqué la mort d'Andrei, son ami voulait venger sa mémoire : lui, c'est sa propre vie ruinée qu'il rêvait maintenant de venger.

Car il sentait que ceux qui avaient détruit son existence, étaient aussi ceux qui avaient provoqué l'accident mortel du bibliothécaire de l'abbaye Saint-Martin.



Le soleil couchant donnait une couleur rouge sombre au nuage de pollution qui surplombe Rome. Leeland était reparti au Vatican. Dans l'appartement du dessous, le Palestinien entendit soudain quelqu'un entrer, puis s'installer devant l'ordinateur : c'était donc Nil. Les bandes magnétiques n'enregistraient que des bruits de clavier.

Brusquement, le paysage sonore s'anima : Leeland venait d'arriver à son tour.

Ils allaient parler.

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