59.



Désert d'Arabie, septembre 622

L'homme galope dans la nuit noire. C'est vers Médine qu'ils s'enfuit de toute la force de son chameau à la bouche cerclée d'écume, et cette nuit s'appellera l'Hégire, marquant le début du temps pour les musulmans.

Il fuit l'oasis de Bakka, où il est né dans le clan prestigieux des Qoraysh. Il fuit parce que les Qoraysh se disent fils d'Abraham, mais adorent pourtant des pierres sacrées.

Dans cette halte caravanière au milieu du désert, végétait depuis la nuit des temps une communauté de la diaspora juive. À sa tête, un rabbin érudit, enflammé, rêvait d'amener l'Arabie tout entière au judaïsme à travers sa tradition rabbinique. Le jeune Arabe s'était laissé séduire par cet homme exalté : il devint son disciple, et se convertit sans bruit.

Mais son rabbin lui demanda plus. Les Qoraysh orgueilleux rejetaient la prédication d'un juif : peut-être l'écouteraient-ils, lui, un Arabe du même clan qu'eux ? N'était-il pas devenu juif par le cœur ? Ce qu'il lui enseignait chaque jour, il voulait qu'il le proclame sur les places de l'oasis. « Dis-leur », répétait-il sans cesse... Afin de ne rien perdre de ce qu'il entendait, Muhammad prit des notes, qui s'accumulèrent. En arabe, car le rabbin avait compris qu'il fallait parler à ces hommes dans leur langue, et non en hébreu.

Pour les Qoraysh, c'en était trop : un des leurs, Muhammad, cherchait lui aussi à détruire le culte des pierres sacrées, source de leur richesse ! À la rigueur, ils auraient toléré qu'il devienne nazôréen : ces dissidents du christianisme étaient arrivés il y a plusieurs siècles, et leur prophète Jésus n'était pas dangereux. En même temps que celui de son rabbin, le jeune Arabe écoutait volontiers leur enseignement : séduit par Jésus, Muhammad aurait voulu se rapprocher d'eux. Mais les Qoraysh ne lui en laissèrent pas le temps, et le chassèrent.

Maintenant, il fuyait vers Médine : pour tout bagage, il n'emportait que ses précieuses notes. Écrites, jour après jour, à l'écoute de son rabbin : dis-leur...

À Médine, il se transforma en foudre de guerre. Les succès s'accumulant, il étendit son pouvoir sur toute une région et devint un chef politique respecté. Il fallait des lois pour organiser ceux qui se joignaient à lui : il les promulgua, puis les écrivit, et ces feuilles s'ajoutèrent jour après jour aux notes prises autrefois. Parfois il consignait aussi des faits divers, quelques récits de ses batailles. Ses notes devinrent un volumineux carnet de route.

Quand il voulut enrôler les juifs sous sa bannière, ils refusèrent net : furieux, il les chassa de la ville et se tourna vers les chrétiens du Nord. Oui, ceux-là l'aideraient volontiers dans ses conquêtes, à une condition toutefois : qu'il se fasse chrétien, et reconnaisse la divinité de Jésus. Muhammad les maudit, et les engloba avec les juifs dans une haine féroce.

Seuls les nazôréens trouvèrent grâce à ses yeux. Et dans son carnet, il écrivit des mots élogieux pour eux et pour leur prophète Jésus.



Quant il revint à Bakka en vainqueur, Muhammad balaya de son sabre toutes les pierres sacrées des idolâtres. Mais il s'arrêta devant l'icône de Jésus et de sa mère, que les nazôréens vénéraient depuis toujours. Rengaina son sabre, et s'inclina profondément.

Par la suite, le nom de Bakka se transforma légèrement, comme cela arrive, et l'oasis fut partout connue sous le nom de Mekka.

La Mecque.

Deux générations plus tard, le calife Othman compila à sa guise le carnet de route de Muhammad, et l'appela le Coran, qu'il décréta écrit par Muhammad sous la dictée directe de Dieu. Depuis lors, personne – s'il voulait rester en vie – ne pouvait remettre en cause la nature divine du Coran.

L'islam n'avait jamais eu son treizième apôtre.

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