48.

Tard ce soir-là, le bureau de Catzinger restait seul éclairé dans l'immeuble de la Congrégation. Il fit entrer Calfo, et s'adressa à lui sur son ton de commandement :

– Monseigneur – le cardinal tenait en main une simple feuille –, j'ai reçu en fin d'après-midi le second rapport de Leeland. Il se moque de nous. Selon lui, ils n'ont parlé aujourd'hui que de chant grégorien. Or, vous me dites qu'ils sont restés enfermés dans l'appartement de la via Aurelia, pendant toute la matinée ?

– Jusqu'à quatorze heures, Éminence, heure à laquelle le Français a quitté les lieux pour regagner San Girolamo, où il s'est cloîtré dans sa chambre. Mes informations sont absolument sûres.

– Je ne veux pas en connaître la source. Débrouillez-vous pour savoir ce qu'ils se disent dans l'appartement de Leeland : nous devons être informés sur ce que ce Français a en tête. Me suis-je fait comprendre ?



En début de matinée le lendemain, un touriste semblait s'intéresser de près aux chapiteaux sculptés du teatro di Marcello, qui délimite l'emplacement du marché aux bœufs de l'ancienne Rome, le Foro Boario. Non loin, le temple de la Fortune virile dresse ses colonnes rigides coiffées d'un gland corinthien, qui rappellent au visiteur averti quelle était sa dédicace. Juste à côté, un petit temple rond est consacré aux vestales, qui offraient leur chasteté perpétuelle aux divinités de la ville et y entretenaient le feu sacré. En passant devant ces deux édifices accolés, le touriste avait eu un sourire de contentement : « La fortune virile, et la chasteté perpétuelle. L'Éros divinisé aux côtés de la divine pureté : déjà, les Romains avaient compris. Nos mystiques n'ont fait que développer. »

Son pantalon de ville ne parvenait pas à masquer un postérieur éloquent, et s'il gardait la main droite enfoncée dans la poche de sa veste en daim, c'était pour cacher le très beau jaspe qui ornait son annulaire – jamais, en aucun cas, il ne se séparait de ce bijoux de prix.

Il fut rejoint par un homme qui tenait ostensiblement en main un gros guide touristique de Rome.

– Salam aleikoum, monseigneur !

– We aleikoum salam, Moktar. Voilà ce qui était convenu, pour le transport de la dalle de Germigny. Beau travail.

De sa poche émergea une enveloppe, qui changea de mains. Moktar Al-Qoraysh palpa rapidement l'enveloppe, sans l'ouvrir, et offrit en échange un sourire à son interlocuteur.

– Je suis allé inspecter l'immeuble de la via Aurelia : il n'y a aucun appartement à louer. En revanche, un studio est à vendre au deuxième étage, juste sous celui de l'Americano.

– Combien ?

À l'énoncé du chiffre, Calfo fit une grimace : bientôt peut-être, la Société Saint-Pie V n'aurait plus à compter. Il ouvrit sa veste, et sortit de la poche intérieure une autre enveloppe, plus grande et plus épaisse.

– Tu vas le visiter tout de suite, tu conclus l'achat immédiatement et tu te fais remettre la clé. Leeland sera retenu à la Congrégation cet après-midi, tu auras trois heures pour faire le nécessaire.

– Monseigneur ! En une heure de temps, les micros seront installés.

– Ton ennemi préféré est retourné en Israël ?

– Tout de suite après notre petit voyage. Il prépare une tournée internationale qui commence par une série de concerts ici, à Rome, à l'occasion de Noël.

– Parfait, merveilleuse couverture, tu auras peut-être encore à faire appel à lui.

Moktar lui lança un regard égrillard.

– Et Sonia, vous en êtes content ?

Calfo réprima son irritation. Il répondit sèchement :

– J'en suis très satisfait, merci. Ne perdons pas de temps, mah salam.

Les deux hommes se séparèrent sur un signe de tête. Moktar traversa le Tibre au pont de l'Isola, tandis que Calfo coupait par la piazza Navona.

« Le christianisme ne pouvait prendre naissance qu'à Rome, pensa-t-il en contemplant au passage les sculptures du Bernin et de Brunelleschi, opposées dans un dramatique face-à-face. Le désert conduit à l'inexprimable : mais pour s'exprimer dans l'incarnation, Dieu a besoin des frémissements de la chair. »

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