3.

Au maximum de sa vitesse, le train s'enfonçait dans la plaine de Sologne comme un serpent lumineux. Le corps toujours cassé en deux, le torse fouetté par le vent, le père Andrei s'arc-boutait contre la pression des deux mains fermes qui le poussaient vers le gouffre. Soudain, il relâcha tous ses muscles.

« Dieu, je t'ai cherché dès l'aurore de ma vie : voici venue sa fin. »

Avec un han ! le voyageur trapu lança Andrei dans le vide tandis que son compagnon, immobile et comme statufié derrière lui, contemplait la scène.

Ainsi qu'une feuille morte, le corps tourbillona et alla s'écraser sur le ballast.

Le Rome express essayait décidément de rattraper son retard : en moins d'une minute, il n'y eut plus sur le côté de la voie qu'un pantin disloqué dans les remous de l'air glacial. La veste avait volé au loin. Curieusement, le coude gauche d'Andrei était resté coincé entre deux traverses : son poing, toujours crispé sur le carré de papier, pointait maintenant vers le ciel noir et muet, dans lequel les nuages roulaient lourdement vers l'est.

Un peu plus tard, une biche sortit de la forêt proche et vint renifler cet objet informe qui sentait l'homme. Elle connaissait l'odeur âcre que les humains dégagent quand ils ont eu très peur. La biche flaira longuement le poing fermé d'Andrei, grotesquement érigé vers le ciel.

Soudain elle releva la tête puis bondit de côté et s'abrita vivement sous le couvert des arbres. Une voiture l'avait éclairée de ses phares et freinait brusquement sur la route en contrebas. Deux hommes en sortirent, escaladèrent le talus et se penchèrent sur le corps informe. La biche s'immobilisa : ils étaient redescendus maintenant, et restaient debout près de la voiture en parlant avec animation.

Quand elle vit le reflet des gyrophares de la gendarmerie s'approchant à vive allure sur la route, elle bondit à nouveau et s'enfuit dans la forêt sombre et silencieuse.

Загрузка...