22.



Évangile selon Jean

Tôt ce dimanche matin, les femmes revinrent du tombeau, affolées de l'avoir trouvé vide. Elles racontèrent aux apôtres incrédules une histoire d'hommes en blanc, qui ne pouvaient être que des anges tant ils étaient mystérieux. Pierre les réduisit au silence : « Des anges ! Radotages de bonnes femmes. » Le Judéen lui fit signe. Discrètement, ils sortirent de la maison.

Ils marchèrent d'abord en silence, puis se mirent à courir. Vite distancé, Pierre parvint essoufflé au jardin : les deux esséniens étaient partis sans l'attendre, mais son compagnon, arrivé le premier, dit à l'apôtre qu'il avait pu leur parler. Une fois de plus il prenait l'avantage, une fois de plus il était le témoin privilégié.

Furieux, Pierre revint seul dans la salle haute : sans un mot d'explication, le Judéen avait bifurqué en chemin, et se dirigeait vers une maison cossue du quartier ouest.



La secte des esséniens avait pris naissance deux siècles auparavant. Elle comprenait des communautés monastiques, vivant séparées du monde comme à Qumrân, et des communautés laïques normalement insérées dans la société juive. Celle de Jérusalem était la plus importante, et avait même donné son nom au quartier ouest de la ville. Eliézer Ben-Akkaï en était le chef.

Il accueillit chaleureusement son visiteur.

– Tu as longtemps été des nôtres : si tu n'étais pas devenu disciple de Jésus, c'est sans doute toi qui m'aurais succédé. Tu le sais, les juifs du Temple nous détestent et n'acceptent pas que nous enterrions nos morts dans des nécropoles distinctes des leurs. Certaines d'entre elles sont cachées au milieu du désert. Des mains impures ne doivent jamais profaner nos tombeaux.

– Je sais tout cela, rabbi, et je partage votre souci de préserver la dernière demeure des Justes d'Israël.

– Jésus le nazôréen était l'un de ces Justes. Le lieu ultime de sa sépulture doit rester secret.

– Eliézer... tu es âgé maintenant. Tu ne peux pas être le seul à savoir où se trouve le tombeau de Jésus.

– Mes deux fils, Adôn et Osias, transportent son corps en ce moment même. Eux ils le savent, tout comme moi, et ils transmettront le secret du tombeau.

– Et s'il leur arrivait quelque chose ? Tu dois me confier ce secret, à moi aussi.

Eliézer Ben-Akkaï caressa longuement sa barbe maigre. Son visiteur avait raison, la paix avec Rome était extrêmement fragile, tout pouvait exploser à chaque instant. Il posa les deux mains sur ses épaules.

– Frère, tu as toujours été digne de notre confiance. Mais sache que si tu livrais la dépouille de nos morts à la haine de nos ennemis, l'Éternel lui-même serait juge entre nous et toi !

Il jeta un coup d'œil dans la salle, où des esséniens allaient et venaient. S'écartant vers l'encoignure d'une fenêtre, il fit signe à son interlocuteur de le rejoindre.

Se pencha à son oreille, et murmura quelques phrases.

Quand ils se séparèrent en silence, les deux hommes se regardèrent longuement. Leurs visages étaient particulièrement graves.

En rentrant chez lui, le Judéen sourit. Le tombeau de Jésus ne deviendrait pas un enjeu de pouvoir.

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