32.

En retirant son habit de chœur après l'office des laudes, le père abbé remarqua les traits tirés et la pâleur de Nil.

Au moment où il regagnait son bureau, le téléphone sonna.

Vingt minutes plus tard, quand il raccrocha, il était à la fois perplexe et soulagé. Il avait eu la surprise d'entendre le cardinal Catzinger en personne lui faire part d'un grand honneur pour son abbaye : les compétences d'un de ses moines étaient requises d'urgence au Vatican. Un spécialiste de musique ancienne, travaillant au sein de la Curie, avait besoin d'aide pour ses travaux sur l'origine du chant grégorien. Des recherches importantes, dont le Saint-Père espérait beaucoup pour l'amélioration des relations entre le judaïsme et le christianisme. Bref, le père Nil était attendu sans tarder à Rome, afin de mettre ses compétences au service de l'Église universelle. Son absence ne durerait que quelques semaines, qu'il prenne le premier train : il logerait à San Girolamo, l'abbaye bénédictine de Rome.

Tout comme le regretté père Andrei.

On ne discute pas les ordres du cardinal Catzinger, songea le père abbé. Et le comportement récent du père Nil l'inquiétait. Les problèmes, plus ils s'éloignent, mieux cela vaut.



Mgr Calfo avait dû interrompre un instant son dimanche voluptueux pour faire un saut à son bureau tout proche, mais il n'avait pas réussi à joindre son correspondant au Caire. Il gravit d'un pas alerte les marches de son immeuble : ce qui l'attendait en haut lui faisait oublier les méfaits d'un embonpoint très napolitain, et lui donnait des ailes.



La très chère était nue, et, connaissant mon cœur,

Elle n'avait gardé que ses bijoux sonores.



En fait, les seuls bijoux sur le corps de Sonia endormie étaient les reflets de sa chevelure. Calfo apprécia : « Quel poète, ce Baudelaire ! Mais moi, je ne leur donne jamais de bijoux : de l'argent liquide, uniquement. »

Moktar avait dit vrai : non seulement Sonia se révélait extrêmement douée pour l'art érotique, mais elle était aussi d'une parfaite discrétion. Profitant de son sommeil, il saisit son téléphone et appela à nouveau Le Caire :

– Moktar Al-Quoraysh, s'il vous plaît... J'attends, merci.

Cette fois, on avait pu le trouver : il sortait tout juste de la prière à la mosquée Al-Azhar.

– Moktar ? Salam aleikoum. Dis-moi, est-ce que tes élèves te laissent un peu de temps libre en ce moment ? C'est parfait. Tu prends un vol pour Rome, et on se voit. La continuation de cette petite mission, que je t'ai confiée pour la bonne cause... Collaborer encore avec ton ennemi préféré ? Non, c'est trop tôt, si nécessaire tu le contacteras à Jérusalem. Oh, quelques semaines tout au plus ! C'est cela, au Teatro di Marcello, comme d'habitude : discrezione, mi racommando !1.



Il raccrocha en souriant. Son correspondant était chargé de cours à la chaire coranique de la célèbre université Al-Azhar : un fanatique, ardent défenseur du dogme islamique. Faire travailler ensemble un Arabe et un juif, deux agents dormants des services spéciaux les plus redoutables du Proche-Orient, pour protéger le secret le plus précieux de l'Église catholique : de l'œcuménisme bien compris.

C'est pendant sa nonciature au Caire qu'il avait croisé Moktar Al-Qoraysh. Le diplomate et le dogmatique avaient chacun découvert que l'autre était dévoré du même feu intérieur caché, ce qui avait créé entre eux un lien inattendu. Mais le Palestinien ne cherchait pas, comme lui, à atteindre la transcendance par le biais des célébrations érotiques. Ce n'était qu'un obsédé sexuel.

Sonia poussa un gémissement, et ouvrit les yeux.

Il posa le téléphone sur le parquet de la chambre, et se pencha vers elle.

1 De la discrétion, surtout !

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