67.

Le hall d'entrée était en fait le salon d'une vaste demeure patricienne. À deux pas du centre-ville animé, la via Giulia offrait à Rome le charme de ses arcades couvertes de glycines, et de quelques palais anciens transformés en hôtels à la fois familiaux, luxueux et conviviaux.

– Voudriez-vous prévenir M. Barjona que je souhaiterais le voir ?

Le réceptionniste, vêtu de noir avec distinction, dévisagea le visiteur matinal. Un homme d'un certain âge, cheveux grisonnants, vêtements quelconques : un admirateur, un journaliste étranger ? Il pinça les lèvres.

– Le maestro est rentré très tard dans la nuit, nous ne le dérangeons jamais avant...

Avec naturel, le visiteur sortit de sa poche un billet de vingt dollars et le tendit au réceptionniste.

– Il sera ravi de me voir, et si ce n'était pas le cas je vous dédommagerais d'autant. Dites-lui que son vieil ami du club l'attend : il comprendra.



– Qu'est-ce qui te prend, Ari, de me tirer du lit à cette heure, la veille d'un concert ? Et d'abord, qu'est-ce que tu fais à Rome ? Tu devrais couler paisiblement ta retraite à Jaffa, et me laisser en paix. Je ne suis plus sous tes ordres !

– Certes, mais on ne quitte jamais le Mossad, Lev, et tu es toujours sous ses ordres. Allons, détends-toi ! J'étais de passage en Europe, et j'en profite pour te voir, c'est tout. Comment se présente ta saison romaine ?

– Bien, mais ce soir j'attaque avec le troisième de Rachmaninov, c'est un monument terrifiant et j'ai besoin de me concentrer. Il te reste donc de la famille, en Europe ?

– Un juif a toujours de la famille quelque part. Ta famille, c'est un peu le service dans lequel je t'ai formé quand tu n'étais encore qu'un adolescent. Et à Jérusalem, ils sont inquiets pour toi. Qu'est-ce qui t'a pris de suivre le moine français dans le Rome express, après avoir réservé tout son compartiment ? Qui t'en avait donné l'ordre ? Voulais-tu renouveler l'opération précédente, et en solitaire cette fois-ci ? Est-ce moi qui t'ai appris à faire cavalier seul dans une opération ?

Lev fit une moue, et baissa la tête.

– Je n'avais pas le temps de prévenir Jérusalem, tout a été très vite...

Ari serra les poings et lui coupa la parole :

– Ne mens pas, pas à moi. Tu sais bien que, depuis ton accident, tu n'es plus le même, et que pendant des années tu as trop côtoyé la mort. Il y a des moments où tu te laisses submerger par le besoin du danger, de son parfum qui t'excite comme une drogue. Alors, tu ne penses plus : imagines-tu ce qui se serait passé, si le père Nil avait eu un accident – à son tour ?

– Cela aurait posé un problème majeur aux gens du Vatican. Je les hais de toute mon âme, Ari : ce sont eux qui ont permis aux nazis qui avaient exterminé ma famille de s'enfuir en Argentine.

Ari le regarda avec tendresse.

– Le temps n'est plus à la haine, mais à la justice. Et il est inconcevable, inadmissible, que ce soit toi qui prennes, sans en référer, des décisions politiques à un pareil niveau. Tu as montré que tu n'étais plus capable de te contrôler : nous devons te protéger contre toi-même. Désormais, interdiction absolue de toute opération sur le terrain. Le petit Lev, qui jouait avec sa vie comme si c'était une partition musicale, a grandi. Tu es célèbre maintenant : poursuis la mission que nous t'avons confiée, surveiller Moktar Al-Qoraysh, et concentre-toi sur le moine français. L'action directe, ce n'est plus pour toi.

Загрузка...