Vers les tranchées →
— Dans deux jours ? s’exclama Eileen.
Elle regardait la console du labo par-dessus l’épaule de Linna. Elle était venue voir M. Dunworthy dès qu’elle était arrivée de Backbury, puis était revenue programmer son retour.
— Mais j’ai besoin d’apprendre à conduire. Ce n’est pas possible la semaine prochaine ?
Linna ouvrit un nouveau fichier.
— Non, désolée, aucune chance de trouver un créneau.
— Je ne pourrai jamais apprendre à conduire en deux jours. Et la semaine suivante ?
Linna secoua la tête.
— Encore pire. On est totalement submergés. M. Dunworthy a ordonné tous ces changements de programme et…
— Était-ce une requête des historiens ? interrogea Eileen.
Si elle s’adressait à M. Dunworthy, peut-être…
— Non, la détrompa Linna, et ils sont tous absolument furieux, ce que le labo doit gérer par surcroît. Je n’ai rien fait d’autre que…
Le téléphone sonna.
— Excusez-moi.
Elle traversa le labo pour prendre le combiné posé sur la console.
— Allô ? Oui, je suis au courant de votre planning. Vous deviez partir faire la Terreur d’abord…
La porte s’ouvrit, et Gerald Phipps entra.
Oh non ! gémit Eileen. Juste ce dont j’avais besoin !
Elle ne connaissait personne de plus pénible que ce garçon.
— Où est Badri ? demanda-t-il.
— Absent, l’informa Eileen. Et Linna téléphone.
— Je suppose qu’ils ont également transformé ta date de départ, lâcha-t-il en agitant un listing dans sa direction. Tu es là pour cette affectation ridicule du jour de la victoire ? Ce truc dont tu parles sans arrêt ?
Non, pas question de VE Day pour moi. Pas sans avoir réussi à persuader M. Dunworthy de changer d’avis. Ce qui semblait improbable. Quand elle était allée le voir, il n’avait pas seulement refusé de la laisser partir, mais aussi d’entendre ses plaintes au sujet du retour massif de ses évacués à Londres.
— Non, répondit-elle avec raideur. J’étudie les évacués de la Seconde Guerre mondiale.
Il éclata de rire.
— Avec le VE Day, ce sont les missions les plus excitantes que tu as pu imaginer ?
L’espace d’un instant, elle souhaita vraiment que Binnie et Alf se trouvent à ses côtés pour l’asticoter.
— Le labo a reporté ton transfert ? demanda-t-elle pour changer de sujet.
— Oui, confirma-t-il, décochant un regard d’impatience à Linna qui téléphonait toujours.
— Non, disait-elle. Je sais que vous deviez faire d’abord la prise de la Bastille…
— Mais ça ne peut pas être modifié, continua Phipps. J’ai déjà traversé et tout arrangé. Et Garde-robe m’a donné mon costume. Si je n’arrive plus en août, il me faudra un nouvel ensemble complet de vêtements. Quand je leur expliquerai les circonstances, je suis sûr qu’ils feront marche arrière. Ce n’est pas une mission ordinaire où n’importe qui peut valser n’importe quand. On en a bavé pour la monter.
Et il se lança dans une longue démonstration de sa destination et de la préparation qu’il avait effectuée.
Eileen ne l’écoutait qu’à demi. Il était évident qu’il se jetterait sur Linna dès qu’elle raccrocherait le téléphone et, avant qu’il ait fini de l’agonir d’injures et qu’Eileen puisse lui parler, Linna ne serait plus d’humeur à changer une autre date.
Pendant ce temps, ses deux jours s’écoulaient, et elle n’avait même pas eu l’occasion de gagner Oriel pour signer ses leçons de conduite avec Transport.
— Je crois que je ferais mieux de revenir plus tard, dit-elle à Phipps.
Et elle se dirigea vers la porte.
— Oh ! mais je pensais que nous pourrions nous retrouver après ça, et que je pourrais…
… m’en raconter plus au sujet de ta mission ? Merci bien !
— Je crains que ce soit exclu. Je dois repartir presque tout de suite.
— Quel dommage ! Y seras-tu encore en août ? Il me serait possible de prendre le train jusqu’à… À quel endroit t’ont-ils envoyée ?
— Dans le Warwickshire.
— Jusqu’au Warwickshire, un week-end, pour égayer ton existence avec le récit de mes hauts faits.
Je peux l’imaginer.
— Ah ! c’est bête, je serai de retour début mai.
Merci, mon Dieu !
Elle salua Linna de la main et se hâta de quitter le labo avant qu’il lui ait proposé quelque chose d’autre.
D’abord les Hodbin, et maintenant Gerald ? grimaçait-elle. Elle s’était arrêtée devant la porte afin d’enfiler son manteau et ses gants, puis elle s’aperçut qu’elle n’affrontait pas une journée de février, mais d’avril, et qu’il faisait très beau. Linna l’avait prévenue que la météo prévoyait de la pluie en fin d’après-midi, mais pour le moment la température était délicieuse.
Tandis qu’elle marchait, elle enleva son manteau. Se souvenir où et quand on se trouvait représentait la pire difficulté du voyage temporel. Elle avait oublié qu’elle n’était plus une domestique et, par deux fois, elle avait appelé Linna « ma’ame ». Et maintenant, toujours obnubilée par l’idée que Binnie et Alf pourraient être en train de la suivre, elle continuait à jeter des coups d’œil furtifs par-dessus son épaule.
Elle atteignit le High, s’engouffra dans la rue, et manqua de se faire renverser par un vélo qui fendit l’air en sifflant.
Tu es à Oxford, se morigéna-t-elle, exécutant d’un petit saut arrière un retour sur le bord du trottoir. Pas à Backbury.
Elle traversa, non sans regarder à gauche et à droite, cette fois, et commença de longer le High ensoleillé. Une exultation soudaine l’envahissait. Tu es à Oxford. Pas de black-out, pas de rationnement, pas de lady Caroline, pas de Hodbin…
— Merope ! cria quelqu’un.
Elle se retourna et découvrit Polly Churchill.
— Je t’ai appelée tout du long depuis le bout de la rue, s’exclama son amie, quand elle l’eut rejointe à bout de souffle. Tu ne m’entendais pas ?
— Non… Je veux dire, oui… Enfin, je ne comprenais pas que tu m’appelais, d’abord. Ces derniers temps, j’ai tenté si fort de m’incarner en Eileen O’Reilly que je ne reconnais même plus mon propre nom. Il fallait que j’adopte un nom irlandais, à cause de mon personnage de servante…
— Et de tes cheveux rouges, ajouta Polly.
— Oui, et Eileen est le seul prénom auquel j’ai répondu pendant des mois. J’ai pratiquement oublié que Merope est le vrai. Cela dit, il est sans doute préférable d’oublier son propre nom que son identité d’emprunt ! Ça n’arrêtait pas de se produire pendant ma première semaine à Backbury, et toute ma première mission ! Comment te débrouilles-tu pour te souvenir de tes fausses identités ?
— J’ai de la chance. L’usage de mon prénom s’est maintenu pendant une grande partie de l’Histoire, à la différence du tien, et je peux toujours l’employer, ou l’un de ses nombreux diminutifs. Parfois, je peux même garder mon nom de famille. Quand ce n’est pas possible – Churchill n’est pas vraiment l’option idéale pendant la Seconde Guerre mondiale –, j’utilise Shakespeare.
— Polly Shakespeare ?
— Non ! s’esclaffa la jeune fille. Des noms de personnages tirés de Shakespeare. On m’a greffé l’œuvre complète quand j’exécutais ma mission au XVIe siècle. Un éventail de choix formidable ! Surtout dans les pièces historiques. Quoique, pour le Blitz, je me serve de La Nuit des rois. Je serai Polly Sebastian.
— Je croyais que tu étais déjà partie pour le Blitz.
— Pas encore. Le labo n’arrivait pas à me trouver un point de chute qui réponde aux exigences de M. Dunworthy. C’est le pire coupeur de cheveux en quatre que je connaisse ! Comme c’est un projet multipériode, je commence par l’une des autres parties. Je ne suis revenue qu’hier.
Eileen hocha la tête. Elle se rappelait l’un des projets dont Polly lui avait parlé : observer les attaques de zeppelins sur Londres pendant la Première Guerre mondiale.
— Je me rends à Balliol pour faire mon rapport à M. Dunworthy, l’informa Polly. Est-ce là que tu vas ?
— Non, je dois filer à Oriel.
— Ah ! parfait, c’est dans la même direction. (Elle prit le bras d’Eileen.) On peut faire un bout de chemin ensemble et nous remettre au courant des choses. Alors, tu es allée à Backbury étudier les évacués…
— Oui, et je voudrais te poser une question : tu as eu des tas de missions. Comment les empêches-tu de se mélanger ? Il ne s’agit pas seulement des noms. Je commence déjà à m’emmêler quant au lieu et à l’époque où je me trouve.
— Il faut t’habituer à oublier que tu as été un jour n’importe où ailleurs, ou n’importe qui d’autre, et que tu te focalises complètement sur la situation en cours. Imagine que tu joues dans une pièce de théâtre. Ou que tu es une espionne. Tu te fermes à tout le reste, et tu deviens Eileen O’Reilly. Penser à tes autres missions sabotera ta concentration.
— Même si tu exécutes une mission multipériode ?
— Spécialement dans ce cas. Focalise-toi tout entière sur la partie de ta mission en cours jusqu’à ce qu’elle soit terminée, ensuite, tu la verrouilles à double tour, et tu glisses à la suivante. Pourquoi te rends-tu à Oriel ?
— Pour prendre des leçons de conduite.
— Des leçons de conduite ? Tu ne projettes pas de conduire lors du VE Day, hein ? Tu ne passeras jamais. Les foules…
— Ce n’est pas pour le VE Day. J’en rêverais… M. Dunworthy refuse de m’y envoyer.
— Mais tu…
Polly s’arrêta, fronçant les sourcils.
— … avais vraiment envie d’y aller ? Cela n’a aucune importance pour M. Dunworthy. Je l’ai rencontré ce matin pour m’entendre dire que le VE Day était déjà une fraction d’une autre mission. D’après lui, la présence de deux historiens sur le même site spatiotemporel serait trop dangereuse, ce qui est ridicule. Ce n’est pas comme si nous risquions de nous ruer l’un contre l’autre : il y avait des milliers de gens à Trafalgar Square, ce jour-là. Et même si cela se produisait, que pense-t-il que nous ferions ? Crier : « Ô Seigneur ! un autre voyageur temporel ! » ou quoi que ce soit de ce genre ? Je suppose que tu ignores de quelle mission il était question, Polly ? J’espérais arriver à les persuader de changer avec moi s’ils n’étaient pas déjà partis. Qui d’autre fait la Seconde Guerre mondiale ?
— Quoi ? fit Polly d’un air absent.
D’évidence, Eileen avait parlé dans le vide. Son amie ne l’avait pas écoutée.
— Je te demandais qui d’autre avait une mission pendant la Seconde Guerre mondiale ?
— Oh ! s’exclama Polly. Rob Cotton, et Michael Davies aussi, je crois.
— Sais-tu ce qu’il étudie ?
— Non, pourquoi ?
— Je veux savoir qui part pour le VE Day.
— Eh bien, il me semble qu’il était question de Pearl Harbor.
— Quand s’est passé Pearl Harbor ?
— Le 7 décembre 1941. Si ce n’est pas pour le VE Day, pour quelle destination as-tu besoin d’apprendre à conduire ?
— Le Warwickshire et le manoir. Où je retourne. Il me reste encore des mois à tirer avant la fin de cette affectation.
— Comme j’aimerais disposer de ces mois ! M. Dunworthy me permet seulement d’aller sur le Blitz pendant quelques semaines. Mais tu n’incarnais pas une domestique ? Les serviteurs n’avaient pas pour habitude de conduire, à cette époque.
— Lady Caroline insiste pour que son personnel prenne ces leçons. Elle veut que nous puissions conduire une ambulance en cas d’incident.
— Mais Backbury ne fut pas bombardé, je me trompe ?
— Non, mais lady Caroline est décidée à faire de son mieux pour l’effort de guerre… ou plutôt, à se débrouiller pour que son personnel l’exécute à sa place. Elle nous a aussi demandé d’apprendre à administrer les premiers secours, et à éteindre les bombes incendiaires. La semaine prochaine, elle a prévu une autre formation : nous entraîner à tirer avec un canon de DCA.
— Tu as l’air mieux préparée pour le Blitz que moi. J’aurais dû faire ma prépa à Backbury.
— Le ciel t’en garde ! Tu aurais eu affaire aux Horribles Hodbin.
— Les Horribles Hodbin ? Qu’est-ce que c’est ? Une espèce d’armement ?
— Voilà exactement ce qu’ils sont. Une arme secrète mortelle. Ce sont les pires enfants de toute l’Histoire.
Ce qu’elle entreprit de faire comprendre à Polly en lui racontant la meule de foin incendiée, les vaches de M. Rudman, des Black Angus, rayées à la peinture blanche : « Ben comme ça, y pourra les zieuter dans le black-out ! », et ses propres tentatives pour installer Theodore dans le train.
— Quel dommage qu’on ne les ait pas évacués à Berlin au lieu de Backbury ! dit Eileen. Deux semaines avec Alf et Binnie, et Hitler nous supplierait d’accepter sa reddition. (Elles avaient atteint King Edward Street.) J’adorerais continuer à bavarder avec toi, mais je dois me rendre à Transport. Tu ne saurais pas quand ils ferment ?
— Non. Sur quelle automobile envisages-tu d’apprendre ? Une Daimler ?
— Une Bentley. C’est ce que lady Caroline – ou plutôt son chauffeur – conduit. Pourquoi ?
— Rien. Je m’apprêtais à te mettre en garde au sujet de la boîte de vitesses des Daimler, c’est tout. Il faut tirer très fort sur le levier pour passer la marche arrière, mais comme tu n’auras pas à conduire une ambulance pour de vrai ça n’a pas d’importance. Est-ce que Transport a une Bentley de cette période ?
— Je l’ignore, je n’y suis pas encore allée. Je ne suis arrivée que ce matin.
— As-tu le formulaire t’autorisant à conduire ?
— Une autorisation de conduire ?
— Oui, tu dois l’obtenir de Fournitures avant de te rendre à Oriel.
— Tu veux dire que je dois me taper tout le chemin du retour jusqu’à Queen’s ?
— Non, je veux dire que tu dois aller à Balliol, obtenir l’autorisation de M. Dunworthy, et alors tu pourras aller à Fournitures.
— Ça va prendre tout l’après-midi ! se plaignit Eileen. Et je n’ai que deux jours. Je n’apprendrai jamais à conduire en un seul jour.
— Je ne comprends pas. Tu disais que le pasteur allait te donner des leçons.
— C’est le cas, mais je ne suis jamais entrée dans une auto de 1940. Je dois apprendre comment ouvrir la porte et mettre le contact, et…
— Oh ! je peux facilement te montrer ça en une heure ou deux. Viens avec moi à Balliol. Tu pourras obtenir ton autorisation, et ensuite je t’accompagne et je te mets au courant. Et je tente de persuader M. Dunworthy de te laisser faire le VE Day.
— Ça ne sert à rien, se rembrunit Eileen. J’ai déjà essayé, et tu sais comment il se comporte quand il a une idée en tête…
— Exact, mais il doit changer d’avis quelquefois si…
— Polly !
Elles se tournèrent avec un bel ensemble afin de regarder en arrière. Auréolé de sa rousse blondeur, le jeune Colin Templer, dix-sept ans, fonçait vers elles avec une liasse d’imprimante.
— Je t’ai cherchée partout, Polly, haleta-t-il. Hello, Merope ! Polly, j’ai terminé de recenser les stations de métro bombardées.
— Colin m’a aidée à préparer le Blitz, expliqua son amie à Eileen.
Le jeune homme acquiesça.
— Là, dit-il en lui tendant plusieurs des imprimés. Cette liste est par station, mais certaines d’entre elles ont été frappées plus d’une fois.
Polly parcourait les pages.
— Waterloo…, murmura-t-elle. Saint-Paul…, Marble Arch.
Colin acquiesça de nouveau.
— Celle-là fut touchée le 17 septembre. Plus de quarante victimes.
J’espère qu’ils n’ont pas l’intention de rester plantés là et de lire la liste en entier, pensait Eileen, qui regardait sa montre. Il était déjà trois heures et demie. Même s’ils parvenaient à voir M. Dunworthy sur-le-champ, ils resteraient au moins une heure à Balliol, et si Transport fermait à 17 heures…
— …Liverpool Street, continuait Polly. Cannon Street…, Blackfriars. Seigneur ! ce sont toutes les stations de métro de Londres !
— Non, seulement la moitié, précisa Colin, et la plupart n’ont subi que des dommages minimes.
Il lui tendit une autre liasse de feuilles.
— Voilà aussi la liste des dates. Comme ça, tu sauras quand il faut les éviter. Tu m’as dit que M. Dunworthy ne veut pas du tout que tu ailles dans celles qui ont été touchées, mais elles ne sont dangereuses qu’à ce moment-là, et comment arriverais-tu à quelque chose si tu ne peux pas te rendre à Victoria ou Bank ?
— Un homme selon mon cœur, sourit Polly. Ne raconte pas à M. Dunworthy que j’ai déclaré ça.
Il prit un air horrifié.
— Tu sais que je ne le ferais pas, Polly.
Humm, pensait Eileen.
— Est-ce que tu as répertorié les heures des sirènes annonçant les raids aériens et les fins d’alerte ? demanda Polly, qui feuilletait les pages.
Il lui tendit le reste des feuilles.
— Je n’ai pas encore fini, mais voilà la liste des monuments endommagés. Savais-tu qu’ils ont bombardé le musée de cire de Mme Tussaud ? abattu la statue de Churchill ! arraché l’oreille de Wellington ! Mais Hitler et Mussolini, rien du tout, même pas une égratignure ! C’est injuste, je trouve !
— Eh bien, ils en ont eu pour leur compte plus tard. Merci, Colin ! Tu n’as pas idée de l’aide que tu m’apportes.
Il rougit.
— Je te donnerai la liste des heures des sirènes dans une heure ou deux. Où seras-tu ?
— Balliol.
Il décolla comme une fusée.
— Merci encore, Colin ! Tu es merveilleux ! lui cria-t-elle.
— Excuse-moi, dit-elle à Eileen alors qu’elles se remettaient en marche. Il s’est révélé un assistant du tonnerre. Tout ceci m’aurait pris des semaines.
— Ma foi, c’est incroyable de voir quelle motivation peut générer l’amour.
— L’amour ? répéta Polly qui secouait la tête. Ce n’est pas moi qu’il aime, c’est le voyage temporel. Il harcèle constamment M. Dunworthy pour qu’il renonce à lui appliquer l’âge légal et qu’il le laisse partir dès maintenant en mission.
— Et qu’en dit M. Dunworthy ?
— Tu peux l’imaginer.
— Être amoureux du voyage temporel peut expliquer pourquoi il t’aide pour ta prépa, mais cela n’explique pas pourquoi il devient écarlate quand tu croises ses yeux. Ni la façon dont il prononce ton nom. Regarde les choses en face, Polly, il est follement amoureux.
— Mais c’est un enfant !
— C’est quoi ? À dix-sept ans ? En 1940, les garçons de dix-sept ans mentent sur leur âge pour rejoindre les rangs de ceux qui se battent et ils meurent, tués par les Allemands. Et qu’est-ce que l’âge vient faire là-dedans ? J’arrivais à peine au manoir quand l’un des évacués a voulu se marier avec moi, et il n’avait que trois ans.
— Oh là là ! tu penses vraiment…
Polly se retourna pour balayer la rue du regard.
— Peut-être devrais-je cesser de lui demander de m’aider. Plus aucune recherche.
— Non, ce serait cruel. Il tente de te plaire et de t’impressionner. Je crois que tu devrais le laisser faire. Tu ne vas plus rester ici que… combien de temps ?
— Deux semaines, si le labo parvient à me trouver un point de saut. Je m’attendais à ce qu’ils en aient repéré un avant mon retour, mais ce n’est toujours pas le cas.
— Ils finiront par réussir, et tu partiras pour le Blitz… En temps-réel, ou en temps-flash ?
— Temps-réel.
— Et tu seras absente combien de temps ?
— Six semaines.
— C’est-à-dire une éternité pour un garçon de dix-sept ans. À ton retour, il sera déjà tombé amoureux de quelqu’un de son âge, et il t’aura complètement oubliée.
— Je ne sais pas. J’étais partie presque aussi longtemps, la dernière fois. Et ce n’est pas parce qu’on est jeune que l’on ne peut pas éprouver un attachement sérieux. Lors de ma dernière affectation…
Elle ravala ce qu’elle avait eu l’intention d’avouer, quoi que ce soit, et poursuivit, joviale :
— Je crois plutôt qu’il cherche à m’éblouir avec ses talents de chercheur pour que je l’aide à convaincre M. Dunworthy de le laisser partir aux croisades.
— Les croisades ? C’est encore plus dangereux que le Blitz, non ?
— Beaucoup plus dangereux, en particulier quand on sait à l’avance où et quand toutes les bombes du Blitz vont tomber, ce qui sera mon cas. Et c’est moins dangereux que… Désolée, j’ai monopolisé la conversation. À toi de me parler de ta mission.
— Il n’y a pas grand-chose à dire. Beaucoup de lessive et de compromis avec les enfants et les fermiers en colère. J’avais espéré rencontrer l’acteur Michael Caine – on l’a évacué quand il avait six ans –, mais ça ne s’est pas produit, et… Je suis juste en train de penser à quelque chose. Tu devrais croiser Agatha Christie. Elle était à Londres pendant le Blitz.
— Agatha Christie ?
— L’auteur de romans à énigmes du XXe siècle. Elle écrivait ces livres merveilleux où des meurtres impliquent des vieilles filles, des clergymen et des colonels à la retraite. Je m’en suis servie pour ma prépa. Ils sont bourrés de détails sur les domestiques et les manoirs. Pendant la guerre, elle travaillait dans un hôpital, et tu vas être ambulancière. Elle…
— Je ne pars pas pour être ambulancière. Je pars pour une incarnation bien plus dangereuse : vendeuse dans un grand magasin d’Oxford Street.
— C’est plus dangereux que de conduire une ambulance ?
— Définitivement. Oxford Street fut bombardée cinq fois, et plus de la moitié de ses grands magasins furent au moins partiellement détruits.
— Tu ne t’apprêtes pas à travailler dans l’un de ceux-là, n’est-ce pas ?
— Non, bien sûr que non. M. Dunworthy ne me permet même pas de bosser chez Peter Robinson, bien qu’il n’ait été touché qu’à la toute fin du Blitz. Je peux comprendre pourquoi il ne veut pas me laisser…
Eileen hocha la tête d’un air absent. Elle écoutait les cloches de Christ Church égrener les heures. Seize heures. Elles s’étaient attardées pour parler à Colin plus longtemps qu’elle ne le pensait. Peut-être, au lieu d’accompagner Polly, devrait-elle se rendre à Oriel et demander quand Transport fermait.
— … John Lewis and Company…, continuait Polly.
Ou elle pourrait prier son amie de persuader M. Dunworthy de joindre Fournitures et donner le feu vert à ses leçons de conduite par téléphone.
— … Padgett’s ou Selfridges…
Je pourrais aller à Fournitures, prendre le formulaire d’autorisation, retourner à Oriel, et y retrouver Polly.
— Mais je n’ose pas en rajouter, fit Polly, il pourrait tout annuler. Il estime depuis le début que cette mission est bien trop dangereuse, et quand il s’apercevra…
— Quand il s’apercevra de quoi ? interrogea Eileen.
Polly marqua une pause.
— Du nombre de stations de métro qui ont été touchées, déclara-t-elle finalement.
Et Eileen eut le sentiment que ce n’était pas ce qu’elle avait eu l’intention de dire.
— Je suis partie pour passer mes nuits dans les stations de métro.
— Les stations de métro ?
— Il n’y avait pas assez de refuges quand le Blitz a commencé, et ceux qui existaient n’étaient pas particulièrement efficaces, si bien que les gens dormaient dans les stations de métro. Je me prépare à camper là pendant des nuits pour étudier les occupants des abris.
Le visage d’Eileen devait traduire l’inquiétude qu’elle ressentait parce que Polly ajouta :
— C’est tout à fait sûr.
— À condition que tu ne t’installes pas dans l’un de ceux qui a été touché, riposta Eileen d’un ton pince-sans-rire.
Elles atteignaient le portail de Balliol.
— Polly, je n’entre pas avec toi.
Elle lui fit part de son plan, puis gagna la loge du concierge.
— Monsieur Purdy, savez-vous jusqu’à quelle heure Transport reste ouvert ?
— J’ai leurs horaires ici, quelque part, lui répondit-il, fouillant dans ses papiers. Dix-huit heures !
Parfait. Elle allait avoir le temps.
— M. Dunworthy est-il à son bureau ?
— Je crois. Je viens juste de prendre mon service, mais M. McCaffey m’a dit que M. Davies est arrivé il y a une heure et qu’il le cherchait. Comme il n’est pas reparti, je suppose qu’il l’a trouvé.
— Michael Davies ?
M. Purdy acquiesça.
— Mademoiselle Churchill, vous avez un message de Colin Templer. Il m’a demandé de vous dire qu’il vous cherche et…
— Il m’a trouvée, merci quand même. Eileen, je vais dire à M. Dunworthy de te téléphoner à Fournitures…
Son amie secoua la tête.
— Je viens avec toi.
— Mais je croyais que tu allais à Fournitures !
— Avant, je veux demander à Michael s’il fait le VE Day et, si oui, s’il changerait de mission avec moi. Ou peut-être sait-il qui part ?
Elle traversa la cour, Polly dans son sillage.
Assis sur les marches de Beard, Michael tapait du pied.
— Attends-tu M. Dunworthy, toi aussi ? interrogea Polly.
— Oui, répondit-il sur un ton impatient. Je poireaute ici depuis une heure et quarante-cinq minutes. Hallucinant ! D’abord, il bousille ma mission, et maintenant…
— Quelle est ta mission ? s’enquit Eileen.
— C’était Pearl Harbor. Voilà pourquoi j’ai la voix d’un foutu Américain…
— Je la trouvais étrange, en effet, confirma Eileen.
— Oui ? Eh bien, ça paraîtra encore plus étrange à Douvres ! Je fais l’évacuation de Dunkerque. Avec moins de trois jours de prépa. C’est pour ça que je suis là. Pour voir s’il ne pourrait pas revenir sur sa décision et…
— Mais…, bafouilla Eileen, perturbée, ils ont évacué des enfants, de Dunkerque ?
— Non, des soldats. La British Expeditionary Force tout entière, en fait. Trois cent mille hommes en neuf jours pile. Tu n’as suivi aucun de tes cours d’Histoire de première année ?
— Si, mais je n’ai opté pour la Seconde Guerre mondiale que l’année dernière. (Elle hésita.) L’évacuation de Dunkerque se passe pendant la Seconde Guerre mondiale, n’est-ce pas ?
Michael éclata de rire.
— Oui. Du 26 mai au 4 juin 1940.
— Oh ! voilà pourquoi je ne suis au courant de rien…
— Mais Dunkerque a été l’un des principaux tournants de la guerre, intervint Polly. D’ailleurs, est-ce que ce n’est pas un point de divergence ?
— Si.
— Alors, comment est-il possible…
— Ce n’est pas possible. J’observe l’organisation du sauvetage à Douvres, puis le retour des bateaux chargés de soldats.
— Tu disais que ton départ était programmé pour Pearl Harbor, interrompit Polly. Pourquoi M. Dunworthy l’a-t-il annulé ?
— Pas annulé. Il a juste perturbé l’ordre de mes départs. Je couvre plusieurs événements.
— L’un d’eux est-il le VE Day ? demanda Eileen.
— Non. J’étudie les héros. En conséquence, tous ces événements sont des crises : Pearl Harbor, le World Trade Center…
— L’un d’eux est-il proche du VE Day ? insista Eileen. Pour la date, je veux dire ?
— Non. La bataille des Ardennes est l’événement le plus proche. C’était en décembre 1944.
— Tu y resteras combien de temps ?
— Deux semaines.
Ainsi, ce n’était pas lui qui faisait le VE Day.
— Connais-tu un historien envoyé en mission en 1945 ?
— 1945…, réfléchit-il. J’ai entendu parler de quelqu’un qui ferait les attaques de V1 et V2, mais il me semble que c’était en 1944…
— Le secrétaire a-t-il indiqué combien de temps tu devrais attendre avant de voir M. Dunworthy ? les interrompit Polly. Il doit autoriser des leçons de conduite pour Merope – je veux dire, Eileen – et Fournitures n’ouvre que jusqu’à 17 heures.
— Non. Tout ce que le nouveau secrétaire m’a demandé, c’est si je souhaitais attendre. Je croyais qu’il s’agissait de quelques minutes, pas de toute une foutue après-midi, mais cela ne devrait plus être très long, même si Dunworthy est en train de massacrer un historien.
— Pourquoi ne pas te rendre à Oriel et réserver la Bentley, Merope… je veux dire, Eileen ? proposa Polly. Nous pouvons dire à M. Dunworthy qu’il doit téléphoner à Fournitures pour autoriser tes leçons, et ils pourront eux-mêmes téléphoner à Transport. Tu gagnerais du temps sur toute la ligne.
— J’y vais, acquiesça Eileen avant de se tourner vers Michael. Tu ne connais personne d’autre qui étudie 1945 ?
— Non. Ted Fickley était censé travailler sur la percée de Patton en Allemagne, mais Dunworthy l’a annulé.
— Pourquoi ? s’enquit Polly avec la même vivacité.
— Je l’ignore. Ted a dit qu’il n’avait pas pu obtenir la moindre explication du labo. Tout ce que je sais, c’est que Dunworthy a permuté quatre sauts, et qu’il en a supprimé deux autres ces deux dernières semaines.
Eileen hocha la tête.
— Je sors du labo, et Linna me disait qu’il a effectué des changements sur une dizaine de programmes. Gerald était là, et M. Dunworthy venait juste de reporter son transfert.
— Où allait-il, lui ? demanda Polly.
— Je ne m’en souviens pas. Quelque chose à voir avec la Seconde Guerre mondiale, il me semble. Pas le VE Day, cependant.
— Est-ce que tous les sauts qu’il change concernent la Seconde Guerre mondiale ? interrogea Polly d’une voix inquiète.
— Non. Jamal Danvers se rendait à Troie. Et Dunworthy n’a pas modifié la mission de mon compagnon de chambre, Charles, qui doit couvrir les préparatifs à l’invasion de Singapour.
— Et il n’a changé aucune des nôtres, Polly, ajouta Eileen. Polly fait le Blitz londonien, expliqua-t-elle à Michael. Elle doit être vendeuse dans un grand magasin de… Où as-tu dit ?
— Oxford Street, précisa Polly.
— Le Blitz ? répéta Michael, qui avait l’air très impressionné. Ce n’est pas un point de divergence ?
— Seulement certaines parties.
— Mais c’est définitivement un dix. Comment as-tu persuadé Dunworthy de te laisser y aller ? C’était l’enfer pour le décider à m’autoriser Pearl Harbor, surtout après ce qui est arrivé à Paul Kildow.
— Que lui est-il arrivé ? interrogea Polly avec intérêt.
— Éclats d’obus d’un mortier de siège, à Antietam. Ce n’était rien du tout, une blessure superficielle, mais vous connaissez les tendances de Dunworthy à nous surprotéger. Il lui a refusé toutes les autres batailles de sa mission.
— C’est peut-être pour ça qu’il a supprimé des sauts, fit Eileen. Parce qu’il a conclu qu’ils étaient trop dangereux. Tous ceux qu’il a annulés sont des batailles ou quelque chose d’approchant, non ?
— Je dois vous quitter, déclara Polly brusquement. Je viens juste de m’en souvenir : j’étais supposée faire un essayage, cet après-midi. Je dois me rendre à Garde-robe.
— Mais je croyais que tu allais me montrer comment ouvrir les portes de la Bentley et…
— Désolée, c’est impossible. Peut-être pourrons-nous voir ça demain.
— Tu ne devais pas faire ton rapport à M. Dunworthy ? Veux-tu que je lui dise…
— Non. Ne dis rien. Je reviens dès la fin de l’essayage. Il faut vraiment que je file. Michael, bonne chance à Dunkerque… pardon, Douvres, se reprit-elle, avant de se hâter de retraverser la cour.
— Qu’est-ce qui lui arrive ? demanda Michael, qui la suivait des yeux.
— Aucune idée. Elle a semblé distraite tout l’après-midi.
— Elle part pour le Blitz.
— Je sais, mais elle a fait des tas de missions dangereuses. Il est beaucoup plus probable qu’elle craint M. Dunworthy. Elle a peur qu’il annule son transfert. Au moins, je n’ai pas besoin de m’inquiéter au sujet du mien. Aucune éventualité qu’il l’interrompe au prétexte qu’il serait trop risqué. À moins qu’Alf et Binnie ne mettent le feu au manoir ou quoi que ce soit d’autre.
— Alf et Binnie ?
— Deux de mes évacués. J’étudie les enfants évacués de Londres.
— Ce qui se passe quand ?
— De septembre 1939 jusqu’à la fin de la guerre. Tu n’as suivi aucun de tes cours d’Histoire de première année ?
Il rit.
— Je voulais dire : quand te trouves-tu là-bas ?
— Jusqu’au 2 mai, ce qui explique pourquoi je ne savais rien sur Dunkerque.
— Si l’évacuation a duré jusqu’à la fin de la guerre, peut-être peux-tu demander à Dunworthy de te laisser assister au VE Day. Ou alors, tu pourrais juste ne pas revenir.
Elle secoua la tête.
— L’équipe de récupération viendrait me chercher. Et même si je réussissais à les éviter, rester m’obligerait à me taper Alf et Binnie pendant cinq nouveaux…
— Merope ! appela quelqu’un.
Michael se retourna et regarda dans la cour.
— Quelqu’un pour toi.
C’était Colin Templer. Bondissant, il courut jusqu’à eux.
— Savez-vous où se trouve Polly ?
— À Garde-robe, répondit Eileen.
— Elle n’avait pas dit qu’elle venait ici ?
— Elle l’avait dit. Elle est venue. Pour voir M. Dunworthy, mais il est là-dedans avec quelqu’un, et elle ne pouvait pas attendre.
— Qu’est-ce que ça signifie : « il est là-dedans avec quelqu’un » ? M. Dunworthy n’est pas là. Il est à Londres. Il ne sera pas de retour avant ce soir.
Eileen se tourna vers Michael.
— Mais tu disais…
— Ce foutu secrétaire ! explosa Michael. Il n’a pas sorti un mot sur le départ de Dunworthy. Il m’a juste demandé si je souhaitais attendre, et j’ai supposé…
— C’est affreux ! s’exclama Eileen. Qu’est-ce que je vais faire avec mes leçons de conduite, maintenant ?
— À quelle heure, ce soir ? interrogea Michael.
— Aucune idée, commença Colin.
Mais Michael montait déjà les marches et faisait irruption dans le bureau de M. Dunworthy.
Colin se retourna vers Eileen.
— Alors, Polly est à Garde-robe ?
Elle acquiesça, et il décampa à toutes jambes. Michael redescendait, secouant la tête.
— Il ne reviendra pas avant minuit au plus tôt. Il est allé voir un théoricien du voyage temporel qui se nomme Ishiwaka. Et là, j’ai perdu tout mon après-midi… soit dit sans offense. C’est simplement que je n’ai pas assez de temps pour préparer mon saut, et maintenant…
— Je sais. Je n’ai que deux jours, et moi, maintenant, je vais devoir attendre jusqu’à demain pour l’autorisation de mes leçons de conduite.
— Non, tu n’auras pas besoin d’attendre, assura-t-il, fouillant dans ses poches. J’avais obtenu une permission pour apprendre le pilotage de barques à moteur quand je pensais partir à Pearl Harbor. Si ce n’est pas rempli…
Il extirpa un bout de papier et le déplia.
— Pas de souci. Il a juste signé. Ici.
— Mais tu n’en auras pas besoin ?
— Pas avant mon retour de Douvres. Je lui dirai que je l’ai perdu et qu’il me faut un autre formulaire.
Il le lui tendit.
— Merci ! s’exclama-t-elle, enthousiaste. Tu me sauves la vie.
Elle regarda sa montre. Si elle se pressait, elle pourrait arriver à Fournitures et retirer l’autorisation avant la fermeture.
— Je file.
— Moi aussi, renchérit-il en l’accompagnant jusqu’au portail. Je dois mémoriser la carte de Douvres et les noms des bateaux qui ont participé à l’évacuation, et il y en a sept cents.
En passant le portail, ils faillirent percuter Colin.
— Je croyais que tu étais parti retrouver Polly, s’étonna Eileen.
— Je l’étais, fit Colin, à bout de souffle. Mais quand je suis arrivé à Garde-robe ils m’ont demandé si je savais où vous étiez, M. Davies, et j’ai répondu oui, et ils m’ont demandé de courir vous dire qu’ils ont besoin que vous alliez les voir tout de suite. Ils ont dit qu’ils avaient dû donner votre costume à Gerald Phipps et il faut que vous veniez en essayer un nouveau.