Londres, le 26 septembre 1940

Votre voyage est-il vraiment indispensable ?

Affiche du ministère des Transports, 1940


Jeudi soir, l’équipe de récupération n’était toujours pas venue chercher Polly.

Je ne supporte plus cette attente. Je leur donne jusqu’à samedi et je pars pour Backbury, pensait-elle tandis qu’elle écoutait Mlle Laburnum et les autres discuter du choix d’une pièce.

Curieusement, sir Godfrey avait accepté l’idée d’une vraie production théâtrale.

— Je serais enchanté d’apporter mon concours à une aussi noble cause, avait-il déclaré. Montons La Nuit des rois. Avec Mlle Sebastian dans le rôle de Viola.

— Oh ! je rêvais d’une des pièces de Barrie, soupira Mlle Laburnum.

— Peut-être Peter Pan, suggéra Mme Brightford. Les enfants pourraient jouer dedans.

— Et Nelson ferait Nana, ajouta M. Simms.

Sir Godfrey parut atterré.

Peter Pan ?

— On ne peut pas, se hâta d’intervenir Polly. Nous n’avons pas les moyens de gérer les déplacements aériens.

Sir Godfrey lui lança un regard reconnaissant.

— Excellente raison. D’un autre côté, La Nuit des…

— Il faut que ce soit une pièce patriotique, trancha Mme Wyvern d’un ton catégorique.

Henri V, proposa sir Godfrey.

— Non, pas assez de femmes. Nous devons choisir une pièce avec des rôles féminins afin que chaque membre de notre petite troupe puisse participer.

— Et avec un chien, insista M. Simms.

La Nuit des rois a beaucoup de rôles féminins, assura Polly. Viola, la comtesse Olivia, Maria…

Moi, je crois qu’on devrait faire celle avec l’horloge, l’interrompit Trot.

— Quelle merveilleuse idée ! s’exclama Mlle Laburnum. Jouons Un baiser pour Cendrillon, de Barrie.

— Il y a un rôle pour un chien ? interrogea M. Simms.

— Et que diriez-vous d’une histoire de meurtre ? suggéra le pasteur.

La Souricière, assena sir Godfrey d’un ton pince-sans-rire.

Quand je serai à Backbury, il faudra que j’apprenne à Merope que sir Godfrey apprécie Agatha Christie, se réjouissait Polly, puis elle comprit qu’il se référait à Hamlet[38]. Et qu’il complotait, de toute évidence, l’assassinat de Mlle Laburnum.

Elle écoutait d’une oreille distraite ses amis proposer d’autres pièces et se demandait quand partir. Si elle attendait de sortir du travail samedi, elle n’aurait pas besoin de solliciter Mlle Snelgrove pour obtenir un jour de congé, et elle ne courrait pas le risque de manquer l’équipe de récupération pendant son absence.

Mais il lui semblait se rappeler que la demi-journée de libre de Merope était le lundi, et que c’était à ce moment-là qu’elle venait à Oxford faire son rapport. Si Polly mettait plus de temps que prévu pour atteindre Backbury, il se pourrait bien que Merope ne soit pas là quand elle arriverait.

Ou plus là du tout. Sa mission devait toucher à sa fin. Et si, lundi, elle s’en allait pour de bon ?

Je ferais mieux de ne pas attendre samedi soir.

— J’ai aperçu trois exemplaires de Mary Rose dans une librairie de livres d’occasion la semaine dernière, déclarait Mlle Laburnum. Une pièce d’une telle émotion… Ce pauvre garçon, qui cherche si longtemps son amour perdu… (Elle posa sa main sur son cœur.) Je ferai un tour à Charing Cross Road samedi.

Et moi j’en ferai un à Backbury. Je partirai samedi, et je reviendrai dimanche.

Elle devait trouver les horaires des trains. Il était trop tard pour les consulter à la gare d’Euston. Le métro s’était déjà arrêté pour la nuit. Il faudrait qu’elle patiente jusqu’au lendemain matin.

Las ! quand les rames recommencèrent à rouler à six heures et demie, un panneau d’information annonçait que la Central Line était hors service à cause de « dommages sur la ligne », et Polly dut demander à Marjorie de tenir son comptoir pendant qu’elle courait au rayon « Livres » regarder un indicateur des chemins de fer ABC.

Le premier train du samedi partait à 10 h 02, avec deux changements, à Reading et à Leamington. Cela ne permettait pas d’arriver à Backbury avant…

Oh non ! Vingt-deux heures bien sonnées ! Elle ne pourrait pas aller au manoir avant dimanche matin. Et, s’il était éloigné du village, l’aller-retour absorberait quasi toute sa journée.

Et dans le cas où Merope serait déjà rentrée à Oxford, Polly ne pouvait pas courir le risque de manquer le train du retour. D’après l’ABC, le seul à partir de Backbury dimanche passait à 11 h 19.

Je dois filer ce soir. S’il y a un train.

Il y en avait trois. Le premier à 18 h 48.

Si je vais tout droit à Euston en sortant du travail, je devrais arriver à prendre celui-là.

Et elle redescendit à son comptoir afin d’en décharger Marjorie.

Marjorie. Si Merope était à Backbury, Polly ne reviendrait pas. Avant de quitter Londres, elle devrait acheter à Marjorie des bas pour remplacer ceux qu’elle avait empruntés. Mais elle n’avait pas assez d’argent sur elle pour les payer en plus du billet de train. Il faudrait retourner chez Mme Rickett récupérer les fonds d’urgence de M. Dunworthy. Ce qui présentait au moins un avantage. Indiquer à Mme Rickett où elle se rendait. Si elle était retardée, elle attraperait le 19 h 55, voire le 21 h 03.

Elle se hâta de gagner son comptoir. Marjorie était occupée avec une cliente. Polly chargea Doreen de noter son achat et, quand Marjorie eut terminé la vente, son amie lui apporta les bas.

— Ils sont superbes, mais ce n’était pas nécessaire, tu sais !

Bien sûr que si. Tu n’imagines pas à quel point les bas vont devenir précieux. Tu pourrais bien être obligée de faire durer ceux-là jusqu’à la fin de la guerre !

— Merci, continua Marjorie.

Elle se pencha par-dessus le comptoir pour chuchoter :

— Tu ne devineras jamais qui est venu pendant que tu étais là-haut.

Et, avant que le cœur de Polly ne s’emballe, elle ajouta :

— L’aviateur dont je t’ai parlé, celui qui me court après pour que je sorte avec lui. Tom. Il voulait m’inviter à danser.

— Et tu y vas ?

— Non, je t’ai dit, c’est un noceur. (Elle fronça les sourcils.) J’aurais peut-être dû accepter. Comme il le répète, dans des moments comme ceux qu’on vit, il faut profiter de toutes les occasions d’être heureux.

C’était une bien vieille rengaine.

— J’ai une question à te poser. Est-ce à Mlle Snelgrove que je dois demander un jour de congé demain, ou à M. Witherill ?

— Un jour de congé ?

Marjorie avait l’air horrifiée.

— Oui. J’ai reçu une lettre de ma sœur. Ma mère est malade et je dois rentrer chez nous.

— Mais tu ne peux pas t’absenter demain ! Le samedi est le jour le plus chargé de la semaine chez Townsend Brothers. Ils ne le permettront jamais !

Polly n’avait pas imaginé une seconde qu’on pourrait ne pas lui accorder ce jour de liberté, surtout avec l’excuse d’une mère malade. Il y avait toujours la solution de démissionner, bien sûr, mais si Merope avait quitté Backbury le travail de Polly restait sa meilleure chance d’être retrouvée par l’équipe de récupération.

— Mlle Snelgrove a usé son quota de gentillesse pour la semaine, insistait Marjorie. Et M. Witherill sera convaincu que tu files en douce. (Elle lui décocha un regard vif.) Ce n’est pas le cas, hein ? Non pas que je t’en blâmerais. Assise dans cette horrible cave, la nuit dernière, à entendre dégringoler les bombes, je me disais : Dès la fin de l’alerte, je vais direct à la gare de Waterloo, je prends le train pour Bath et j’emménage chez Brenda.

— Je ne me sauve pas.

Polly sortit la lettre de Fournitures et la tendit en se débrouillant pour que Marjorie voie le cachet oblitéré du Northumberland sur l’enveloppe.

— C’est son cœur. Si je l’apprends à Mlle Snelgrove, je suis sûre…

Marjorie secouait la tête.

— Ne dis rien du tout. Ni à elle, ni à M. Witherill, ordonna-t-elle en lui rendant sa lettre. Demain matin, je prétendrai que tu m’as téléphoné pour signaler que tu ne te sentais pas bien. Tu seras là lundi ?

— Oui, sauf si…

Polly détestait l’idée que Marjorie puisse avoir des ennuis si elle ne revenait pas.

— Je te couvre lundi aussi. Si tu as besoin de rester plus longtemps, tu peux toujours écrire de chez toi et le leur annoncer.

— Et pour demain ? Tu seras débordée.

— Je me débrouillerai. Personne n’achète de corsets en ce moment. C’est trop long à mettre en cas de raid. Est-ce que tu t’en vas ce soir ?

Polly hocha la tête.

— Merci beaucoup de me couvrir. Si quelqu’un me demande, dis que je serai de retour lundi, ou mardi au plus tard.

Marjorie se pencha sur le comptoir comme pour lui faire une confidence.

— Qui est cette mystérieuse personne dont tu espères sans cesse la venue ? Un homme ?

Je l’ignore. Il y avait des chances que l’équipe de récupération soit féminine, mais ce n’était pas certain.

— Est-ce un pilote ?

— Non. Une de mes cousines vient à Londres et devrait chercher à me rencontrer.

Polly retourna en vitesse à son comptoir avant que Marjorie lui pose d’autres questions.

À 17 h 15, elle commença de ranger, souhaitant partir tôt, mais presque à l’heure de fermeture Mlle Snelgrove voulut voir son journal des ventes.

Marjorie s’approcha d’elles, déjà vêtue de son manteau, coiffée de son chapeau.

— Je m’en vais, Mlle Snelgrove, annonça-t-elle avant de se tourner vers Polly. Est-ce que ça va bien ? Tu es toute pâle !

— Ça va, répondit son amie, qui comprit soudain que Marjorie tentait de l’aider à préparer son alibi pour le lendemain. J’ai juste la tête en compote, et j’avais un peu mal à la gorge cet après-midi.

Elle posa la main sur son cou, mais cela n’eut pas l’air d’impressionner Mlle Snelgrove. Marjorie ne s’était pas trompée. La chef de service avait épuisé son quota de gentillesse pour la semaine.

— Où est votre reçu de vente pour Mme Scott ?

Polly aurait voulu dire au revoir à Marjorie – après tout, c’était peut-être la dernière fois qu’elle la voyait –, mais quand Mlle Snelgrove eut terminé de la réprimander pour les bavures de ses carbones la jeune fille était partie et c’était sans doute mieux. Polly n’aurait pas su quoi répondre si elle lui avait demandé le nom de sa cousine. Et, de toute façon, elle n’avait plus le temps pour des adieux. Il était déjà 17 h 45.

Il fallait qu’elle lève le camp. Si elle voulait attraper le 18 h 48, elle devrait prendre un taxi pour aller chez Mme Rickett. Encore fallait-il en dénicher un. Il n’y en avait aucun devant Townsend Brothers ni dans la rue. Elle finit par descendre en courant les quatre pâtés de maisons qui la séparaient de Padgett’s et par prier le portier d’en héler un pour elle, mais plusieurs minutes avaient passé et, quand elle arriva à la pension, il était 18 h 20.

Polly demanda au chauffeur de l’attendre et se rua à l’intérieur, espérant que Mlle Hibbard serait au petit salon et qu’elle s’épargnerait ainsi la rencontre avec Mme Rickett ou avec la volubile Mlle Laburnum, mais elle ne vit personne, et la salle à manger était tout aussi déserte, bien que les plats du dîner traînent encore sur la table. Les sirènes avaient dû se déclencher tôt une nouvelle fois, alors que les raids ne commenceraient qu’à 21 heures ce soir-là.

Elle fonça dans l’escalier jusqu’à sa chambre où elle prit l’argent, dégringola les marches, sauta dans le taxi et dit :

— Gare d’Euston. Vite. Je dois attraper un train.

— Je vous emmène.

Il dévala Cardle Street et passa en trombe devant la station de Notting Hill Gate.

Oh non ! Je ne les ai pas prévenus que je partais.

Quand elle avait compris que les sirènes avaient sonné, elle les avait complètement oubliés.

J’aurais dû laisser un message.

C’était trop tard, maintenant. Il était déjà 18 h 40. Elle aurait de la chance si elle réussissait à attraper son train.

Cependant, elle voyait les larmes couler sur les joues de Mlle Hibbard, et l’expression de sir Godfrey dans son visage gris de cendre avant qu’il ne l’aperçoive. Elle se rappelait comment ses propres genoux s’étaient dérobés quand elle avait découvert l’église dévastée.

Impossible de leur rejouer le même tour alors qu’ils vont devoir affronter tant de morts réelles dans les quatre années et demie à venir.

Elle se pencha en avant et tapota l’épaule du chauffeur.

— J’ai changé d’avis. Emmenez-moi au métro de Notting Hill Gate.

— Et votre train, mademoiselle ?

— Je prendrai le suivant.

Il fit demi-tour et rebroussa chemin.

— Voulez-vous que je vous attende de nouveau ? demanda-t-il alors qu’il s’arrêtait devant la station.

Avec l’alerte en cours, le garde ne la laisserait jamais sortir.

— Non, je me déplacerai en métro à partir d’ici.

Elle lui tendit le prix de la course, dégringola les marches et gagna le quai.

— Ah ! quelle chance, le garde de l’ARP vous a prévenue ! s’exclama Mlle Laburnum à l’instant où elle apparaissait.

— Prévenue de quoi ?

— De la fuite de gaz.

— Une bombe à retardement a explosé et brisé une canalisation de gaz, compléta Mlle Hibbard qui les rejoignait avec son tricot. À deux rues d’ici. Pendant le dîner.

Une fuite de gaz ! Une simple étincelle en provenance de l’allumage du taxi et nous nous envolions au ciel, le chauffeur et moi !

Le pasteur et Mme Rickett étaient là, ainsi que Mme Brigthford et ses filles, et tous étalaient leurs couvertures.

— Je suis contente que vous soyez arrivée, déclara Mlle Laburnum. Nous discutions de la pièce.

— Je ne peux pas rester. Je suis juste venue vous dire que je ne serai pas là ce soir.

— Ah ! mais il le faut ! s’exclama Mlle Laburnum.

— Nous avons décidé que pour trancher, la seule solution équitable c’est de voter, expliqua Mme Wyvern.

Aïe ! Barrie triomphait donc. Pauvre sir Godfrey !

— Mais sir Godfrey souhaite que nous attendions jusqu’à dimanche. D’abord, il veut nous montrer une scène de La Nuit des rois. Celle où Viola meurt d’envie de lui révéler son amour, mais c’est impossible parce qu’elle ne peut pas trahir sa véritable identité. Et il désire que vous jouiez Viola.

De toute évidence, il comptait sur elle pour l’aider à convaincre le groupe de laisser tomber Barrie, mais il n’était pas question qu’elle rate le train de 19 h 55.

— Désolée, quelqu’un d’autre devra jouer Viola. Je…

— Sir Godfrey insiste pour que ce soit vous. Il dit que vous êtes parfaite pour le rôle.

— Je ne peux pas. J’ai reçu une lettre de ma sœur. Ma mère est malade, et je dois retourner à la maison. Je suis juste venue vous prévenir pour que vous ne pensiez pas…

— … que vous étiez tuée, conclut Trot.

Et Polly se réjouit d’être passée, même si, en conséquence, elle avait raté le départ du 18 h 48.

— Oui, et pour vous avertir que je ne serai pas de retour avant dimanche soir au plus tôt. Tout dépend de la santé de ma mère. Dites à sir Godfrey que je suis désolée, mais mon train…

— Bien sûr, vous devez partir. Nous comprenons parfaitement, affirma le pasteur.

Et les autres, à l’exception de Mme Rickett, hochèrent la tête avec sympathie.

— Merci. Pour tout. Au revoir !

Et Polly les abandonna sur le quai et se précipita dans le couloir, navrée de n’avoir pu dire adieu à sir Godfrey, quoique cela soit sans doute préférable. Mentir à Mlle Laburnum et au pasteur était une chose, mais sir Godfrey n’était pas aussi facile à berner. Et elle n’était pas sûre qu’elle aurait pu refuser s’il lui avait demandé de rester pour incarner Viola face à son Orsino.

Et il est impératif que je prenne le 19 h 55, se disait-elle tandis qu’elle se hâtait dans l’escalier roulant, un œil sur sa montre, jouant des coudes à travers la foule. 19 h 15. Si les correspondances ne traînaient pas en longueur, elle parviendrait à…

— Mademoiselle Sebastian, attendez ! l’appela sir Godfrey. (Il la rattrapa.) On vient juste de m’apprendre que vous nous quittez.

— Oui. J’ai reçu une lettre. Ma mère est malade.

— Ainsi, vous partez pour le Northumberland ?

— Oui.

— À jamais ?

J’aurais dû faire semblant de ne pas avoir entendu quand il m’a hélée.

Peu importe ce qu’elle lui répondrait, il la déchiffrait comme un livre ouvert.

— Je ne sais pas.

Une expression proche de la douleur lui traversa le visage et il dit doucement, abandonnant sa pose théâtrale :

— Vous trouvez-vous dans une situation difficile, Viola ?

Oui. Et vous aviez raison. Viola est le rôle idéal pour moi. Je suis déguisée. Il m’est impossible de vous avouer la vérité.

— Non, répondit-elle, espérant qu’il ne s’était pas trompé sur son talent d’actrice. C’est juste que je me tracasse tellement pour ma mère. Ma sœur m’écrit qu’elle ne court aucun danger, mais j’ai peur…

— Qu’elle vous cache la vérité ?

— Oui, affirma-t-elle en soutenant fermement son regard. Elle sait à quel point il est compliqué pour moi d’obtenir un congé dans mon travail. Voilà pourquoi je dois me rendre sur place, contrôler que tout va bien. S’il n’y a rien de sérieux, je serai de retour dimanche, mais si elle est vraiment malade je pourrais avoir à rester plusieurs semaines, ou mois.

Et tu ne crois pas un mot de ce que je te raconte…

Mais pour tout commentaire il déclara :

— Je souhaite qu’elle se rétablisse au plus vite, et que vous nous reveniez de même. Si vous n’êtes pas rentrée pour le vote samedi soir, je crains d’être condamné à jouer Peter Pan, un sort que vous ne voudriez sûrement pas me voir subir !

Polly éclata de rire.

— Non. Au revoir, sir Godfrey.

— Au revoir, belle Viola. Comme je regrette de n’avoir jamais joué La Nuit des rois avec vous… quoique cela soit peut-être bien préférable. J’aurais détesté incarner Malvolio, tout sourires et bandé de jarretières. Avec ses espérances amoureuses tristement déçues.

— Jamais ! Vous ne pourriez jouer aucun autre rôle que celui du duc Orsino.

Il étreignit son torse d’un geste théâtral.

— Ah ! retrouver mes vingt-cinq ans ! (Il la poussa dans l’escalier roulant.) Disparaissez, maintenant ! Vite, pour que nous puissions nous retrouver à nouveau. Dimanche soir à Notting’s Gate quand la Luftwaffe rugit. Ne m’abandonnez pas, belle dame ! Ma vie et votre réputation en dépendent !

Il se fondit dans la foule avant qu’elle ait pu lui répondre.

Elle se précipita sur le quai de la Central Line. Il était déjà 19 h 40. Je n’arriverai jamais à Euston à temps. À moins que, par quelque miracle, le train soit en retard.

Il l’était, et cela tombait bien. Les sirènes se déclenchèrent au moment même où le 19 h 55 sortait de la gare. Bien qu’ils aient échappé à cette alerte, des raids les arrêtèrent pendant la majeure partie de la nuit, et le samedi s’écoula pour l’essentiel sur des voies de garage afin de laisser passer les trains militaires, si bien que Polly rata sa correspondance à Leamington. Et il n’y aurait rien d’autre avant le lendemain matin.

— Il n’y a rien ce soir ?

L’agent du guichet secoua la tête.

— C’est la guerre, vous savez.

Si le train du matin était retardé comme celui qu’elle venait de quitter, elle ne parviendrait pas à Backbury avant lundi matin, et Merope serait partie à Oxford faire son rapport. Si elle n’était pas rentrée pour de bon.

— Y a-t-il un bus pour Backbury ?

L’agent consulta un horaire différent.

— Il y a un bus pour Hereford, et un autre qui en part à destination de Backbury demain matin à 7 heures.

Il lui faudrait s’installer pour la nuit dans la gare de Hereford, mais au moins elle serait à Backbury dimanche, et non lundi. Et, à la différence d’un train, un bus ne pouvait pas se trouver bloqué pendant des heures sur une voie d’évitement pendant le défilé d’une série de trains militaires.

Toutefois, un bus pouvait être bloqué à des passages à niveau pendant que ces mêmes transports de troupes se succédaient. Ou à des barrages, quand des officiers de la Home Guard trop zélés insistaient pour vérifier les papiers de chaque voyageur. Polly n’aurait pas dû s’inquiéter de cette nuit dans la gare. Il était presque 7 heures lorsqu’ils atteignirent Hereford.

Le bus à destination de Backbury ne fut arrêté qu’une seule fois par un train militaire, et seulement une demi-heure. Quand le conducteur annonça « Backbury ! », il était juste un peu plus de 8 heures.

— À quelle heure est le prochain bus pour le retour à Hereford ? demanda Polly alors qu’elle descendait.

— 17 h 25.

— Pardon ?

— Seulement deux bus le dimanche. C’est la guerre, vous savez.

Oui, on ne peut pas l’ignorer.

Au moins, il y avait un train au départ de Backbury. Elle se réjouit d’avoir consulté l’ABC et noté l’horaire. Le train de 11 h 19 la ramènerait à Londres bien plus vite que le bus. Si elle réussissait à se rendre au manoir et à en revenir en trois heures. Et à le trouver, pour commencer. Le conducteur s’était arrêté au milieu d’un petit ensemble de boutiques et de chaumières. Polly n’apercevait pas de manoir. Ni de gare. Elle se retourna pour interroger le conducteur.

— Pouvez-vous m’indiquer la direction du manoir ?

Il avait déjà fermé la porte et démarrait.

Je devrai demander à l’un des villageois.

Mais on n’en voyait aucun. Peut-être étaient-ils à l’église ? C’était dimanche et, même si Backbury n’avait pas de messe matinale, l’équivalent local de Mme Wyvern serait en train de fleurir l’autel. Cependant, quand elle ouvrit la porte et regarda dans le sanctuaire, elle le trouva vide.

— Hello ? appela-t-elle. Il y a quelqu’un ?

Pour seule réponse, elle distingua un sifflement distant. Maintenant, je connais la direction de la gare. Dehors, elle s’orienta grâce au bruit et au panache de fumée. Elle parvint au quai à temps pour voir un train militaire passer à toute allure.

Pourquoi allaient-ils tellement moins vite la nuit dernière ?

Elle marcha vers un bâtiment qu’il était difficile de qualifier de gare. Il n’était pas plus grand qu’une remise. Il ne servait sans doute à rien de frapper, pourtant, quand elle le fit, elle entendit tousser, puis un froissement, enfin un homme pas rasé et qui souffrait de toute évidence d’une gueule de bois – s’il avait dessoûlé – ouvrit la porte.

— Excusez-moi, monsieur, dit Polly, reculant d’un pas pour éviter qu’il ne tombe sur elle. Pouvez-vous m’indiquer la direction du manoir ?

Manoir ? répéta-t-il.

Il titubait et la lorgnait, le regard trouble. Soûl comme un cochon, pas de doute.

— Oui. Pouvez-vous me dire comment m’y rendre ?

Il fit un vague geste du bras.

— La route juste derrière l’église.

— Dans quel sens ?

— L’a qu’un sens.

Et il aurait fermé la porte si Polly ne l’avait pas saisie et maintenue ouverte.

— Je cherche quelqu’un qui travaille au manoir. Une des servantes. Elle s’appelle Eileen. En charge des évacués. Elle a les cheveux roux et…

— Évacués ? grogna-t-il, ses yeux s’étrécissant. Vous êtes pas là pour ces maudits Hodbin, hein ?

Hodbin ? C’était le nom des évacués qui avaient donné tant de fil à retordre à Merope.

— Z’avez pas intérêt à les ramener !

— Je n’en ai pas l’intention. Eileen travaille-t-elle toujours au manoir ?

Mais il avait déjà claqué la porte, et l’huis aurait écrasé sa main si Polly ne l’avait pas enlevée à la dernière seconde.

— Est-ce que c’est loin ? demanda-t-elle à travers la porte.

Elle n’obtint pas de réponse.

Ça ne peut pas être si loin que ça. Merope faisait le trajet à pied.

Polly retourna à l’église, puis s’engagea sur la route qui s’ouvrait derrière. C’était davantage un chemin qu’une route, et du genre qui se termine en cul-de-sac en plein milieu d’un champ, mais rien d’autre ne ressemblait à un axe routier, et il ne menait qu’au sud. Par ailleurs, il était défoncé par des traces de pneus, et Merope avait pris des leçons de conduite.

Si l’on en croyait les dires de l’agent de la gare, cependant, les Hodbin n’étaient plus là, et si les évacués étaient rentrés chez eux, Eileen serait partie aussi. Néanmoins, les propos d’Eileen à leur sujet laissaient penser que les Hodbin pouvaient avoir été renvoyés chez eux en représailles. Ou transférés dans une maison de redressement.

Le chemin longeait une prairie avant de s’enfoncer sous les bois. Une odeur de pluie flottait dans l’air. La pluie. Il ne manquerait plus que ça. Il vaudrait mieux que Merope soit là, après tout ce périple.

Où se cachait ce manoir ? Polly avait déjà parcouru près de deux kilomètres et elle n’apercevait pas de portail, ni de véhicule susceptible de la prendre en stop malgré les innombrables traces de pneus. Seulement des bois. Encore des bois.

Merope – correction, Eileen : il fallait se souvenir de l’appeler Eileen – avait dit que sa fenêtre de saut s’ouvrait dans la forêt, à proximité du manoir. Si Eileen était absente, peut-être Polly réussirait-elle à trouver le site. Évidemment, en cas de retour définitif, il ne serait plus fonctionnel.

Le chemin s’incurvait à gauche. Cela ne peut pas être beaucoup plus loin, se disait Polly qui peinait entre les ornières. Il n’y avait toujours aucun signe du manoir dans le bois, ni de quelque maison, d’ailleurs, et le chemin sembla se rétrécir. Devant, du fil de fer barbelé clôturait les arbres.

Je vais finir par tomber sur un champ. Je me suis sûrement trompée de direction.

Minute ! Voilà qu’apparaissait le portail du manoir, avec ses piliers de pierre et sa grille en fer forgé. Flanqué d’une guérite, que complétait une barrière pour empêcher les véhicules d’entrer. Et du factionnaire en uniforme.

— Votre nom et l’objet de votre visite, interrogea-t-il.

— Polly Sebastian. Je cherche quelqu’un, mais j’ai dû me tromper de chemin, je voulais me rendre au manoir.

— C’est ici.

De toute évidence, c’était l’armée qui l’occupait désormais. Par chance, elle n’avait pas essayé de trouver le site de son propre chef. Elle aurait pu se faire tuer.

— Quand… depuis combien de temps l’armée s’est-elle installée ?

— Désolé, il faudra demander au lieutenant Heffernan. Je ne suis ici que depuis deux semaines.

— Savez-vous si des membres du personnel sont restés après la réquisition du manoir ?

— Demandez au lieutenant.

Il recula dans la guérite et décrocha le téléphone.

— Une Mlle Sebastian pour le lieutenant Heffernan. Oui, monsieur. (Il raccrocha et sortit.) On vous attend là-bas. (Il leva la barrière.) Suivez l’allée jusqu’à la maison et demandez les opérations. (Il lui tendit un laissez-passer de visiteur en carton.) Il faut traverser là.

Son doigt pointait entre deux casernes à l’air neuves.

— Merci.

Et Polly s’éloigna sur l’allée de gravier, même si cela n’avait plus de sens. La mission de Merope avait évidemment pris fin avec la réquisition du manoir. À moins qu’ils aient transféré le reste des évacués dans un autre village et que la jeune femme soit partie avec eux. Mais le lieutenant Heffernan ne savait rien au sujet des enfants.

— À mon arrivée, l’école était déjà fonctionnelle.

— Quand l’armée a-t-elle investi le manoir ?

— En août, je crois.

Août.

— Est-ce que des domestiques sont restés ?

— Non. Il est possible que certains d’entre eux aient accompagné la dame du manoir. Il me semble qu’elle est partie vivre chez des amis.

Dans ce cas, elle n’aurait emmené que sa femme de chambre et son chauffeur.

— Je peux vous donner l’adresse de la comtesse, dit-il en fouillant dans une pile de papiers. Elle est quelque part là-dedans…

— Ce n’est pas nécessaire. Savez-vous si les évacués du domaine sont retournés chez eux, ou si on les a logés ailleurs ?

— Je l’ignore, malheureusement. Je pense que le sergent Tilson était présent, à cette époque. Peut-être pourra-t-il vous aider.

Hélas ! le sergent Tilson n’était pas davantage au manoir à ce moment-là.

— Je n’étais pas là avant le 15 septembre. Les évacués étaient déjà rentrés chez leurs parents.

— Chez leurs parents ? À Londres ?

Il acquiesça.

Il était exclu que Merope les ait accompagnés.

— Et le personnel ?

— D’après ce que le capitaine Chase disait, ils sont eux aussi partis retrouver leurs familles.

— Le capitaine Chase ?

— Oui. Il était chargé d’installer l’école d’entraînement. Il aurait pu vous renseigner – il était là quand ils ont tous plié bagage –, mais vous venez juste de le manquer. Il a quitté l’école pour Londres tôt ce matin, et il ne reviendra pas avant mardi. (Il fronça les sourcils.) Le pasteur du village devrait pouvoir vous préciser où ils sont allés.

Si je parviens à le trouver…

Cela dit, si elle réussissait à regagner Backbury avant 11 heures, il serait à l’église, en train de préparer le service.

Elle se dépêcha de prendre congé du sergent – et de la sentinelle, qui souleva de nouveau la barrière pour la laisser passer, solennel –, et s’engouffra sur le chemin du retour.

Il était déjà plus de 10 heures. Je ne m’en sortirai jamais à pied, se dit-elle, et c’était trop loin pour courir. Par ailleurs, à l’instant où elle franchissait le portail, il se mit à pleuvoir pour de bon, et le chemin se transforma en bourbier. Elle dut s’arrêter deux fois pour gratter avec un bâton la boue agglutinée sous la semelle de ses chaussures.

Ils seront tous à l’église, pensait-elle quand, pataugeant, elle atteignit enfin le village. Sur le flanc de l’édifice, le pasteur gagnait l’entrée de la sacristie, mi-courant, mi-marchant, son bras serré sur une liasse de papiers, sa robe voletant derrière lui.

— Mon révérend ! appela-t-elle en se précipitant vers lui. Mon révérend !

Était-ce bien le pasteur ? Maintenant qu’elle approchait de lui, il lui semblait terriblement jeune. C’était peut-être le chef de chœur, et les papiers qu’il portait les hymnes du jour.

— Monsieur ! Attendez !

Elle le rattrapa de justesse alors qu’il allait entrer.

— Qu’y a-t-il, mademoiselle ? interrogea-t-il, la main sur la porte à demi ouverte de la sacristie.

Ses yeux glissèrent de ses cheveux mouillés à ses chaussures boueuses.

— Il s’est passé quelque chose ? Avez-vous eu un accident ?

— Non, dit-elle, le souffle coupé par sa course. Je reviens du manoir. Je suis arrivée en bus ce matin…

— Mon révérend ! (Un petit garçon sortait la tête par la porte entrebâillée.) Mlle Fuller dit de vous prévenir qu’ils ont fini le prélude.

Il tira sur la manche du pasteur, lequel répondit :

— Je viens, Peter.

Avant de demander à Polly :

— Il s’est passé quelque chose à l’école ?

— Non. Je souhaitais juste vous poser une question. Je…

— C’est l’heure de l’invocation ! piailla Peter.

— Je dois y aller, déclara le pasteur sur un ton de regret, mais je serai heureux de parler avec vous dès que le service sera terminé. Voudriez-vous vous joindre à nous ?

— Mon révérend, c’est l’heure ! le gendarma Peter.

Et il l’entraîna à l’intérieur de l’église.

Les jeux sont faits ! se dit Polly, et elle s’en fut à la gare attendre son train.

À moins que le chef de gare ne sache où les évacués sont partis ?

Mais il avait apparemment passé les trois dernières heures à boire.

— Qu’esse v’voulez ?

De toute évidence, il ne l’avait pas reconnue.

— J’attends le train de 11 h 19 pour Londres.

— Y en a p’pour des ’zeures, bafouilla-t-il. Satanés d’trains d’bidasses. Toujours en r’tard.

Parfait. En définitive, elle pourrait retourner à l’église, attendre la fin du service et interroger le pasteur. Et si le train de 11 h 19 avait autant de retard que ceux qu’elle avait pris jusqu’ici, elle pourrait aussi interroger tous les autres habitants du village. Elle regagna l’église sous une pluie battante et se glissa au fond du sanctuaire.

Seules les premières rangées des bancs étaient occupées par des gens : plusieurs dames à toison blanche et chapeau noir, une poignée d’hommes au crâne dégarni, et de jeunes mères avec leurs enfants. Ils finissaient juste de chanter : Ô mon Dieu, notre aide aux temps jadis. Avançant sur la pointe des pieds, Polly s’assit sur le dernier banc.

Le pasteur leva les yeux de son livre de cantiques et l’accueillit d’un sourire, et l’une des femmes aux cheveux blancs, qui ressemblait à un hybride de Mlle Hibbard et de Mme Wyvern, se retourna pour lui jeter un regard glacial. Mlle Fuller, à n’en pas douter.

C’est à elle que je devrais m’adresser.

Le capitaine avait suggéré le pasteur, mais Polly doutait qu’il fût intime avec les aides appointés du manoir. Backbury était un petit village, et Mlle Fuller et les autres vieilles femmes connaîtraient les allées et venues de tout le monde. Il fallait juste réussir à franchir le cap de ce regard furieux.

Même si Polly n’y parvenait pas, le garçon, Peter, serait sans doute au courant du sort des évacués, ou pourrait au minimum lui indiquer la maîtresse d’école. Laquelle saurait sûrement la renseigner. En attendant, si le sanctuaire n’était pas précisément chaud, au moins on y était au sec, et avec un peu de chance le sermon du pasteur ne serait pas trop long. À en juger par l’épaisseur de sa liasse de feuilles, liasse qu’il arrangeait maintenant sur le pupitre de la chaire, on pouvait en douter.

Il finit de s’installer, puis posa les yeux sur ses fidèles.

— Les Écritures nous enseignent que notre vraie maison n’est pas de ce monde, mais dans le prochain, et que nous ne faisons que passer…

Voilà qui est bien dit.

— Et c’est ce qui nous arrive avec cette guerre. Nous nous retrouvons coincés en terre étrangère, au milieu des bombes, des batailles et du black-out, des abris Anderson, des masques à gaz et du rationnement. Et cet autre monde que nous connaissions autrefois, monde de paix, de lumières et d’églises aux cloches carillonnant dans la campagne, monde sans larmes, sans séparation brutale des êtres chéris, ce monde ne nous semble pas seulement follement lointain, mais encore irréel, et nous ne pouvons même plus imaginer son retour. Nous comptons les jours, attendant…

Que la cérémonie s’achève, que le train arrive, que l’équipe de récupération vienne me chercher !

Le sermon du pasteur la touchait d’un peu trop près. Pourquoi ne prêchait-il pas sur la conception du Christ ou n’importe quoi d’autre ?

— … dans l’espoir que cette épreuve se terminera mais, dans le secret de notre cœur, nous craignons de ne jamais revoir cette terre de lait et de miel, de sucre, de beurre et de bacon, et d’être piégés à jamais dans cet horrible endroit…

Un sifflement lui coupa brusquement la parole. Peter se mit à genoux pour regarder par la fenêtre, et Mlle Fuller lui décocha un coup d’œil rageur. Polly consulta sa montre : 11 h 19. Le train. Mais le chef de gare avait dit qu’il était toujours en retard !

C’est un nouveau transport de troupes, se dit-elle. Cependant, elle pouvait déjà l’entendre ralentir.

— Comme nous croyons que la guerre s’achèvera un jour, continuait le vicaire, nous croyons qu’un jour nous atteindrons le paradis. Mais de même que nous ne pouvons espérer gagner cette guerre sans y « mettre du nôtre » – rouler des bandages, planter des jardins de la victoire, servir dans la Home Guard – de même nous ne pouvons espérer atteindre le paradis sans faire de notre mieux…

Polly hésitait, pétrifiée dans une agonie d’indécision. C’était le seul train du jour, et le bus ne viendrait pas avant 17 heures. S’il était à l’heure. Pourtant, quelqu’un, ici, savait peut-être où était partie Merope.

Tu sais où elle est partie, et tu sais ce qu’ils vont t’apprendre. Que tous les évacués sont retournés à Londres et qu’elle a disparu dès leur départ. Elle est revenue à Oxford depuis des semaines. En conséquence, son site ne fonctionne plus et, même si c’était le cas, tu ignores sa position et il est exclu que tu la découvres sans te faire descendre, il n’y a donc aucune raison de t’attarder ici.

Et si tu manques ce train, tu ne seras jamais à Londres avant mardi – ou mercredi –, et Marjorie ne peut pas te couvrir indéfiniment. Tu perdras ton boulot, et quand l’équipe de récupération viendra il leur sera impossible de te localiser.

— Nous devons agir, disait le pasteur.

Le sifflement, beaucoup plus proche, retentit de nouveau.

Polly se leva, lança un regard d’excuse à l’orateur, ouvrit la porte de l’église, et courut attraper son train.

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