Oxford Street, le 26 octobre 1940

Sois prudent. L’ajout ou l’omission d’un seul mot peut détruire le monde.

Le Talmud


Les yeux plissés, Polly considérait les corps qui jonchaient le trottoir. Bien qu’elle réussisse tout juste à les distinguer dans les ténèbres, elle devinait les angles torturés des bras et des jambes.

Mike les rejoignit en claudiquant.

— Nom de Dieu ! souffla-t-il. Combien y en a-t-il ?

— Je l’ignore, répondit Eileen. Sont-ils morts ?

Ils devaient l’être. Il n’y avait pas assez de lumière pour voir leurs visages – ou le sang –, mais des cous ne pouvaient se tordre à ce point. Ces gens étaient forcément morts.

Mais c’est impossible. Il n’y a eu que trois victimes.

Alors, certains d’entre eux étaient en vie ? Malgré la torsion des cous, les membres rompus ?

— Mike, va chercher de l’aide !

Il ne sembla pas l’entendre. Il restait figé, et ses yeux ne s’arrêtaient pas sur Polly, mais sur les dépouilles.

— Je le savais, dit-il d’un ton morne. C’est ma faute.

— Eileen ! appela Polly. Eileen ! (La jeune femme la regarda enfin, l’air incrédule.) Retourne à la station et va chercher de l’aide. Explique-leur qu’on a besoin d’une ambulance.

Muette, Eileen hocha la tête et s’en fut, chancelante.

— Mike, il me faut une lampe.

Et Polly se glissa sous la corde. Tandis qu’elle courait vers les corps, le verre crissant sous ses pas, elle avait déjà analysé la scène.

Et rien ne collait. Les gens auraient dû être enfouis sous les décombres, et non projetés à l’extérieur. Ils devaient se trouver devant les vitrines et leur tourner le dos quand la bombe était tombée, ce que n’aurait fait aucun Londonien sain d’esprit. Et où était passée l’équipe de secours ? De toute évidence, ils étaient intervenus. Ils avaient tendu la corde autour de l’incident. Et ils étaient repartis ?

Ils ne les auraient pas laissés étalés comme ça…

Elle s’agenouilla près d’une femme.

Même s’ils étaient tous morts, ce qui était clairement le cas.

L’explosion avait arraché le bras de la femme avec la manche de son manteau. Il gisait, raide, plié à angle droit…

Polly se redressa et s’assit sur ses talons.

— Eileen ! Reviens ! appela-t-elle. Mike ! Tout va bien. Ce sont des mannequins. Le souffle de la bombe a dû les éjecter des vitrines.

— Vous, là-bas ! cria une grosse voix de l’autre côté de la corde. Qu’est-ce que vous fabriquez ?

Bon sang, c’est le garde qui m’a surprise quand je me rendais à mon point de transfert ! s’affola Polly, mais elle se trompait. Ce n’était même pas un homme. C’était une femme en combinaison de l’ARP.

— Sortez de la zone tout de suite ! Le pillage est un délit.

— Nous n’étions pas en train de piller, dit Polly en reposant le bras et en se levant. Nous croyions que ces mannequins étaient des corps. Nous voulions aider. (Elle désigna Eileen, qui était revenue en courant.) Elle travaille ici. Elle avait peur que ce soit quelqu’un qu’elle connaisse.

La femme se tourna vers Eileen.

— Vous travaillez chez Padgett’s ?

— Oui, au cinquième étage. Rayon « Vêtements enfants ». Je suis Eileen O’Reilly.

— Vous vous êtes signalée ?

Eileen regarda le trou béant qui avait remplacé Padgett’s.

— Signalée ?

— Là-derrière, indiqua la garde.

Elle les conduisit à l’angle de l’avenue et pointa du doigt le bas de la rue latérale, où Polly aperçut la lueur bleue d’un incident et des gens qui se déplaçaient alentour.

— Monsieur Fetters ! appela la femme.

— Attendez, intervint Mike. Y a-t-il eu des victimes ?

— Nous ne le savons pas encore. Venez, mademoiselle O’Reilly.

Elle amena Eileen à M. Fetters, qui sortait visiblement de son lit. Il portait son pyjama sous son manteau et n’avait pas peigné ses cheveux gris, mais il paraissait vif et efficace.

— J’ai besoin de connaître vos nom, étage et rayon.

Eileen les lui donna.

— On m’a fait monter de la mercerie la semaine dernière.

Voilà pourquoi elle avait déserté le troisième étage.

— Ah ! parfait. Vous étiez l’une des employées pour lesquelles nous nous faisions du souci. Quelqu’un croyait que vous pouviez être restée dans le bâtiment. (Il cocha son nom et, dans l’expectative, se tourna vers Polly.) Et vous êtes ?

— Je suis… nous sommes des amis de Mlle O’Reilly. Ni lui ni moi ne travaillons chez Padgett’s.

— Ah ! excusez-moi, proféra-t-il d’un ton digne, en dépit de son pyjama, avant de se retourner vers Eileen. Qui se trouvait à votre étage quand vous l’avez quitté ?

— Personne. J’étais la dernière.

C’est le cas de le dire !

— Mlle Haskins et Mlle Peterson sont parties avant moi. Mlle Haskins m’avait priée d’éteindre les lumières.

— Avez-vous vu quelqu’un en sortant ? Savez-vous si Mlle Miles ou Mlle Rainsford étaient toujours là ?

Et voilà deux de nos trois victimes.

— Sont-elles portées disparues ?

— Nous n’avons pas encore réussi à les localiser. Je suis certain qu’elles sont dans un abri et qu’elles vont très bien. (Il sourit d’une manière rassurante.) Rejoignez Mlle Varden. (Il la lui désigna.) Donnez-lui votre adresse et votre numéro de téléphone pour que nous puissions vous contacter dès que nous serons prêts à rouvrir.

Eileen acquiesça.

— Attends, lui demanda Mike. À quel étage bossaient Mlle Miles et Mlle Rainsford ?

— Toutes les deux au cinquième. J’espère qu’il ne leur est rien arrivé.

Et elle s’en fut avec M. Fetters.

Dès qu’elle eut tourné le dos, Mike s’exclama d’un ton accusateur :

— Tu disais qu’il devait y avoir trois victimes.

— Ce sera le cas. Ils ne cherchent que depuis quelques heures. Ils trouveront…

— Trouveront qui ? Tu as entendu Eileen. Ces deux filles travaillaient au cinquième. Nous étions au cinquième. Il n’y avait personne à ce niveau.

— Je sais, chuchota Polly, le ramenant à l’angle de la rue, hors de portée de vue et d’oreille. Mais cela ne signifie pas qu’elles n’étaient pas dans le magasin. Elles peuvent s’être réfugiées dans l’abri du sous-sol…

Il n’écoutait pas.

— Ça fait seulement deux, continua-t-il avec cette même voix forcée. Il devait y en avoir trois.

— Quelqu’un dans les bureaux, peut-être ? ou une femme de ménage. Ou le garde qui nous pourchassait. Ce n’est pas parce qu’ils n’ont pas encore découvert les victimes qu’il n’y en a aucune. Cela prenait parfois des semaines avant qu’ils trouvent tous les corps, après un incident. Et tu as vu ce trou. Cela ne prouve en rien que ta présence à Dunkerque a changé…

— Tu ne comprends pas. J’ai sauvé la vie d’un soldat. Un certain David Hardy. Il a détecté ma lumière…

— Mais un soldat…

— Ce n’était pas un seul soldat. Après que je l’ai sauvé, il est revenu à Dunkerque, et il a ramené quatre pleins bateaux de ses congénères. Cinq cent dix-neuf en tout. Et ne me raconte pas que réformer l’avenir d’autant de soldats n’a pas altéré l’Histoire. On est dans un système chaotique. Si un putain de papillon peut provoquer une mousson à l’autre bout du monde, modifier l’avenir de cinq cent vingt soldats doit foutrement pouvoir déchaîner quelque chose ! Je prie juste le ciel de ne pas avoir changé le vainqueur de la guerre.

— Tu ne l’as pas changé.

— Comment peux-tu le savoir, nom d’un chien !

Parce que j’étais là le jour où nous avons gagné.

Mais le lui dire reviendrait à lui annoncer qu’elle vivait sous la menace d’une date limite, et il était encore ébranlé par ce qu’il venait d’apprendre sur les sites et les équipes de récupération.

— Parce que les lois du voyage temporel rendent ce cas de figure impossible. Et les historiens se déplacent dans le passé depuis près de quarante ans. Si nous altérions des événements, on en aurait subi les effets depuis longtemps, maintenant. (Elle posa sa main sur son bras.) Et les hommes que tu as sauvés étaient des soldats britanniques, pas des pilotes allemands. Ils n’auraient pas pu affecter le bombardement de Padgett’s.

— Tu n’en sais rien, s’emporta-t-il. On parle d’un système chaotique. Toutes les actions sont connectées.

— Mais elles ne produisent pas toujours un effet, répondit-elle, pensant à sa dernière mission. Quelquefois, tu crois que ton action va modifier le cours des choses et, au final, rien ne se passe. Et tu disais toi-même qu’on aurait dû constater des divergences, et il n’y en a pas eu.

— Tu en es sûre ? Que tous les événements supposés survenir ont vraiment eu lieu ? Aucun n’est intervenu plus tôt ou plus tard que prévu ?

— Non.

Alors, elle se remémora l’UXB à Saint-Paul dont M. Dunworthy avait assuré que l’équipe de déminage l’avait extrait en trois jours, ce qui les aurait menés au samedi, plutôt qu’au dimanche. Cependant, M. Dunworthy pouvait s’être trompé sur la date, ou avoir été abusé par un compte-rendu fautif des journaux.

— Non, pas un seul. Et, même dans un système chaotique, il doit y avoir des connexions. Le papillon qui bat des ailes ne déclenche une mousson que parce qu’ils déplacent tous les deux une masse d’air. Le réseau de connexions entre tes soldats et le nombre de victimes chez Padgett’s n’existe pas, tout simplement. Quoi qu’il en soit, cinq cent vingt soldats britanniques échappant à la mort ou aux camps de prisonniers serviraient l’effort de guerre, et non l’inverse.

— Pas nécessairement. Dans les systèmes chaotiques, des actions positives peuvent provoquer des résultats négatifs autant que positifs, et tu sais aussi bien que moi que la guerre présentait des points de divergence où la moindre action, bonne ou mauvaise, aurait changé toute la situation.

Je vais devoir lui raconter le VE Day, même si cela signifie qu’il comprendra que j’ai une date limite. C’est le seul moyen de le convaincre.

Mais dès qu’il la découvrirait sous le coup de cette menace il…

— Polly ! Mike !

C’était la voix d’Eileen, et elle semblait affolée. Ils se dépêchèrent de tourner au coin.

— Je suis venue vous dire…

— Que se passe-t-il ? demanda Mike. Ont-ils trouvé des corps ?

— Non, et personne n’est porté manquant, à part Mlle Miles et Mlle Rainford.

— Et le garde, à l’entrée du personnel ?

— Il est là. C’est lui qui leur a dit qu’il pensait que j’étais encore dans l’immeuble. Il croyait que tu pouvais y être aussi, Polly, mais je lui ai expliqué que dès ton arrivée au quatrième tu t’étais aperçue que je n’étais plus là et tu avais filé. Apparemment, la bombe a frappé juste après notre départ.

Et si nous n’avions pas réussi à sortir de l’ascenseur, ou si nous avions buté dans le garde en dévalant l’escalier…

Elle examina Eileen, angoissée à l’idée qu’elle se représente le même piège.

La jeune fille tremblait, mais peut-être à cause de son chemisier trop fin dans l’air froid et humide.

On aurait dû réaliser ce pillage et voler le manteau du mannequin.

— Tu es certaine qu’ils ont compté tout le monde ? y compris les femmes de ménage ?

Mike avait élevé la voix, comme Eileen dans la station de métro.

Il est aussi près qu’elle du point de rupture. Et pas du tout en état d’apprendre davantage de mauvaises nouvelles.

— Oui, tout le monde, mais ce n’est pas ce que j’étais venue vous dire. C’était deux mots.

— Et alors ? s’impatienta Mike.

— Le nom de l’endroit où se rendait Gerald : c’était deux mots. Je parlais à Mlle Varden de Mlle Miles, et elle m’a raconté qu’elle habitait à Tegley Place, et à cet instant j’ai pensé : Le nom de l’aérodrome que Gerald m’a indiqué ! Il est composé de deux mots.

— Middle Wallop ? proposa Polly.

Eileen secoua la tête.

— West Malling ?

— Non. Je suis sûre que l’un des mots commençait par un T. Ou un P…

Elle s’interrompit, regardant par-dessus l’épaule de Polly.

— Oh ! Dieu merci ! voilà Mlle Miles !

Elle courut à la rencontre de la vendeuse, qui traversait la rue.

— Que s’est-il passé ? disait Mlle Miles, arrêtée devant les mannequins éparpillés.

Padgett’s a été bombardé la nuit dernière, commença Eileen.

Mike coupa court.

— Mlle Rainford était-elle dans l’immeuble quand vous l’avez quittée, la nuit dernière ?

— Non, répondit la jeune femme, qui continuait d’observer d’un œil hagard le désastreux spectacle.

— Non, vous ne savez pas ? ou non, elle n’était pas dans le bâtiment ? hurla Mike.

Eileen se retourna pour le dévisager, incrédule, mais la fureur du garçon avait sorti Mlle Miles de sa transe.

Elle se détourna des mannequins.

— Elle n’était pas présente hier. Son frère s’est fait tuer il y a deux nuits.

— Il vaudrait mieux l’annoncer à M. Fetters, déclara Eileen avant d’ajouter, pour Mike et Polly : Je reviens tout de suite.

— Eh bien ? attaqua Mike alors que les deux filles étaient encore à portée d’oreille. Tu l’as entendue. Ils ont retrouvé tout le monde. Ce qui signifie qu’il n’y a pas eu de victimes.

— Ça ne signifie pas ça du tout. C’était peut-être des passants. En arrivant chez Padgett’s, j’ai vu une femme et son petit garçon insister auprès du portier pour qu’il leur appelle un taxi. Ils pouvaient l’attendre quand la bombe a frappé.

Cependant, si tel avait été le cas, leurs corps auraient été projetés sur le trottoir comme les mannequins.

— Personne n’était informé de notre présence chez Padgett’s. Qui sait si d’autres personnes…

— Qui sait si le continuum n’a pas été altéré. (Mike semblait sur le point de vomir.) Et nous allons perdre la guerre. Et ne me raconte pas que c’est impossible.

C’est impossible, pensa-t-elle, mais elle dit :

— Si l’Angleterre avait perdu la guerre, alors les parents d’Ira Feldman seraient morts à Auschwitz ou à Buchenwald, il n’aurait jamais inventé le voyage temporel, Oxford n’aurait jamais construit le filet, et nous n’aurions pas pu traverser.

— Tu oublies quelque chose, affirma-t-il avec amertume.

— Quoi ?

— Nous avons traversé avant que j’aie sauvé Hardy.

Et je suis allée au VE Day avant qu’il sauve Hardy, mais…

— Pour quelle autre raison y aurait-il une divergence ?

— Tu ignores que c’est une divergence. Tu ne sais pas davantage si tu as sauvé Hardy.

— Qu’est-ce que tu racontes ? Je t’ai dit…

— Et si ce n’était pas ta lumière, ce qu’il a vu ? Et si elle provenait d’un bateau différent ? Et si c’était juste un reflet sur l’eau ? ou une fusée éclairante ?

— Une fusée éclairante ? (Un peu de couleur regagna ses joues.) Je n’y avais pas pensé. Il y en avait, des fusées éclairantes.

— De toute façon, on ne peut être sûrs de rien avant d’avoir trouvé Gerald et découvert si son site fonctionne.

— Ou le tien, ajouta-t-il.

Ce n’était pas le moment d’évoquer ses multiples visites à son point de transfert.

— Je t’y emmènerai ce soir après le travail. Tout de suite, tu devrais accompagner Eileen à Stepney. Elle a encaissé trop de chocs pour s’y rendre seule.

Avant qu’il puisse émettre une objection, elle appela Eileen et se dépêcha de rallier l’endroit où elle parlait avec Mlle Miles. La jeune femme claquait des dents, et elle serrait étroitement ses bras autour d’elle.

— Tiens, mets mon manteau, dit Polly en le déboutonnant.

— Mais…

— Je n’en ai pas besoin. Je vais à la pension organiser ton emménagement avec moi, et je prendrai ma veste. (Elle posa le manteau sur les épaules d’Eileen.) Je te vois à ton retour de Stepney. Viens chez Townsend Brothers, et on planifiera la suite.

Maintenant, c’était à son tour de frissonner dans l’air glacé de l’aube.

— Je ferais mieux de filer chez Mme Rickett si je veux aller jusque-là et revenir à temps pour le boulot. À tout à l’heure. Je suis au troisième. Comptoir des bas. Prends soin de toi.

Et elle fonça vers la station de métro.

La rame pour Notting Hill Gate était vide, et elle en fut heureuse. Elle avait besoin de calme pour réfléchir. Annoncer à Mike pourquoi elle savait qui avait gagné la guerre mettrait fin à son inquiétude quant à d’éventuels bouleversements historiques.

Mais il faudrait qu’elle lui raconte tout. Dévoiler qu’elle était allée au VE Day ne le convaincrait pas. Il répondrait que le continuum n’avait différé que plus tard, après le sauvetage de Hardy. Elle devrait lui expliquer pourquoi ce n’était pas vrai. Et ils avaient enduré tous les deux assez de chocs pour une nuit.

Eileen avait déjà craqué une fois, et quand elle comprendrait à quel point la mort l’avait frôlée chez Padgett’s, elle s’effondrerait peut-être complètement.

Et Mike, malgré ses airs d’Admirable Crichton et sa façon de prendre les choses en main, était encore plus mal en point qu’Eileen. Il avait de toute évidence ressassé depuis des semaines la possibilité qu’il ait changé l’issue de la guerre. Lui parler du VE Day pouvait l’envoyer tout droit dans le précipice.

Cependant, le résultat serait le même s’il continuait à penser qu’il avait catalysé l’avènement cauchemardesque d’un monde où Hitler et son monstrueux Troisième Reich auraient triomphé… camps de concentration, chambres à gaz, fours, et combien d’autres horreurs. Hitler avait prévu d’installer des potences devant le palais de Westminster pour y exécuter Churchill, le roi et la reine. Et les princesses Elizabeth et Margaret Rose, âgées de quatorze et dix ans.

Il va falloir le lui dire. Je le ferai dès qu’ils rentreront de Stepney.

À cet instant de ses réflexions, une secousse ébranla le métro, qui ralentit.

Arrivons-nous à la station ?

Elle regarda par la fenêtre, mais elle n’y voyait rien. Le métro freina et s’immobilisa. Et cela s’éternisa.

Quelle était la cause de cet arrêt ? Une bombe sur la voie, comme celle de Mlle Laburnum quand elle revenait de Croxley, ou l’effondrement d’un tunnel ? ou une simple avarie mécanique ? Il n’y avait aucun moyen de le savoir, pas plus qu’ils ne pouvaient, tous les trois, savoir si une catastrophe à Oxford expliquait la défaillance de leurs points de transfert plutôt que le sauvetage d’un soldat à Dunkerque… ou un problème mineur, comme un décalage, ou la complexité de leur localisation pour les équipes de récupération.

Le métro démarra, accéléra, avança dans un bruit de ferraille l’espace d’une minute, et s’arrêta de nouveau.

Je ne sortirai jamais d’ici.

Elle sourit amèrement. Mike s’était déjà persuadé qu’il était le responsable de leur situation. Et si, quand elle lui aurait parlé, il ne la croyait toujours pas ? Et si cela ne faisait qu’aggraver les choses ? Et s’il en faisait part à Eileen ? Il devait bien y avoir un moyen de le convaincre qu’il ne pouvait altérer les événements sans évoquer le VE Day.

Mais lorsque le métro entra dans la station de Notting Hill Gate, trois quarts d’heure plus tard, elle n’en avait trouvé aucun. Elle remonta en vitesse le couloir et l’escalier roulant, tout en regardant sa montre. Huit heures et demie. Elle avait à peine le temps de se rendre chez Mme Rickett et de revenir, sans parler de s’adresser à Mme Wyvern au sujet des manteaux. Polly se pressa de passer les tourniquets.

— Enfin le baisser du rideau, alors ? lui demanda le garde au moment où elle le croisait.

— Pardon ? La troupe répète toujours en bas ?

Il hocha la tête.

— Merci ! lui lança-t-elle d’un ton fervent.

Et elle redescendit en courant jusqu’au niveau de la District Line. Avec un peu de chance, Mme Rickett et Mme Wyvern seraient toutes les deux là.

Hélas ! quand elle atteignit le quai, elle n’en vit aucune. Les autres travaillaient encore une scène.

— Non, non, non ! disait sir Godfrey à Lila. Pas comme ça. Le ton doit être plus joyeux.

— Joyeux ? s’exclama Lila. Vous avez dit que nous sommes censés jouer cette scène comme si nous ignorions ce qui va nous arriver, il me semble !

— Je l’ai dit, mais ce n’est pas une raison pour convaincre l’auditoire que vous serez tous morts au tomber de rideau. C’est une comédie, pas une tragédie.

Ça reste à confirmer…

— Mlle Laburnum, réclama sir Godfrey. Veuillez donner la réplique à lady Agatha.

— « Voici Ernest », lut Mlle Laburnum sur le script. (Elle aperçut Polly.) Mlle Sebastian ! L’avez-vous trouvée ?

L’espace d’un instant, Polly se demanda de quoi elle parlait – il s’était passé tant de choses depuis qu’elle avait rencontré Mlle Laburnum à Oxford Circus –, puis elle se rappela qu’elle avait prétendu devoir délivrer un message à la logeuse de Marjorie.

— Oui, je veux dire… non, bafouilla-t-elle.

Sa mission ne pouvait évidemment pas lui avoir pris toute une nuit.

— Quelque chose est arrivé. Mme Rickett est-elle rentrée ?

— Oui, elle est partie devant pour préparer le petit déjeuner.

— Petit déjeuner, renifla M. Dorming. Ça mérite ce nom, à votre avis ?

— Mlle Laburnum, savez-vous si elle a des chambres à louer ?

— Lady Mary, enfin là ! s’exclama sir Godfrey d’un ton sarcastique. Puis-je vous remémorer qu’il s’agit de L’Admirable Crichton, et non de Mary Rose, et que par conséquent disparaître pendant de longs moments puis réapparaître n’est pas… (Il changea d’expression.) Il s’est passé quelque chose. Qu’est-ce que c’est, Viola ?

Impossible de répondre : « rien ». Ça ne marcherait pas. Et il faudrait bien expliquer à la troupe pourquoi Eileen emménageait avec elle.

— Elle devait délivrer un message pour une amie qui est à l’hôpital, chuchota Mlle Laburnum à l’oreille de sir Godfrey. J’ai peur que quelque chose soit arrivé à cette jeune femme.

— Non. Ce n’est pas Marjorie. C’est Padgett’s. On l’a bombardé la nuit dernière.

Padgett’s ? Le grand magasin ? demanda Mlle Laburnum.

Les autres se rassemblèrent immédiatement autour d’elle pour lui poser des questions.

— Quand ?

— Quelle gravité ?

— Vous n’avez pas été blessée, n’est-ce pas ?

— Mais je croyais que vous bossiez chez Townsend Brothers, dit Lila.

— C’est vrai, mais ma cousine travaille… travaillait chez Padgett’s, et on devait se retrouver à la fermeture…

— Oh ! ma pauvre, compatit Mlle Laburnum. J’espère qu’elle n’est pas…

— Non, elle va bien, mais le magasin a été bombardé juste après, et on venait seulement de partir. (Avec un peu de chance, cela expliquerait la peur que sir Godfrey avait déchiffrée sur son visage.) Padgett’s est anéanti.

Nouvelles questions. Étaient-ce des incendiaires ou une HE ? Une HE de quelle taille ? Y avait-il des victimes ?

Polly répondit du mieux qu’elle put, malgré sa conscience aiguë des minutes qui s’envolaient et du regard inquisiteur de sir Godfrey. Elle passa un quart d’heure entier à les rassurer à son sujet avant qu’ils ne commencent à rassembler leurs affaires.

Polly consulta sa montre, essayant de décider si elle avait assez de temps pour se rendre chez Mme Rickett et revenir.

— Je ne comprends pas, dit Mlle Laburnum. Pourquoi avez-vous besoin d’une chambre si c’est le lieu de travail de votre cousine qu’ils ont bombardé ?

— Je la retrouvais pour que nous puissions lui chercher une chambre. La pension où elle vivait a été bombardée, et maintenant c’est le tour de Padgett’s

Son histoire était totalement invraisemblable. Heureusement, sir Godfrey était allé récupérer son manteau et son Times.

— Je comptais sur Mme Rickett pour lui louer une chambre.

— Ne pourrait-elle s’installer avec vous ? Votre chambre est double, non ?

— Oui, mais l’un de nos amis, M. Davis, a lui aussi été bombardé.

Les sourcils de Mlle Laburnum dessinèrent un accent circonflexe.

— Un ami ?

Oh non ! Elle avait tout de suite envisagé une intrigue amoureuse.

— Oui, affirma Polly avant d’ajouter, sans vergogne : Il a été blessé à Dunkerque.

— Ah ? le pauvre ! compatit aussitôt Mlle Laburnum. Mme Rickett n’a pas de chambre libre en ce moment, mais je crois que Mlle Harding en a une. Sur Box Lane.

Qui ne se trouvait pas sur la liste des adresses interdites par M. Dunworthy. Parfait. Maintenant, il ne lui restait plus qu’à gagner Box Lane pour réserver la chambre.

— Et vous feriez mieux de chercher quelque chose pour votre cousine, grogna M. Dorming qui les croisait. Elle a déjà subi un bombardement, vous n’allez pas en plus lui infliger la cuisine de Mme Rickett, hein ?

Il s’en fut. Polly remercia Mlle Laburnum et s’apprêtait à le suivre quand sir Godfrey l’arrêta.

— Viola, qu’y a-t-il ? Que s’est-il réellement passé ?

— Je vous l’ai dit, répondit-elle en évitant ses yeux. Ma cousine…

— Viola n’expliquait pas non plus à Orsino la raison de son chagrin ni le frère qu’elle avait perdu. Mais le silence n’est pas sans dangers. Quelle que soit la nature de vos tourments, vous pouvez…

— Sir Godfrey, désolée de vous interrompre, osa Mlle Laburnum, mais je dois vous parler. C’est au sujet des chaussures.

— Des chaussures ?

— Oui, au troisième acte, sur l’île, après le naufrage, tout le monde est censé marcher pieds nus, mais les sols de la station sont tellement insalubres que je me demandais si des sandales de plage…

— Ma chère mademoiselle Laburnum, à ce stade, nous n’atteindrons même pas le troisième acte. lord Loam est incapable de se rappeler son texte. Lady Catherine et Tweeny sont incapables de se rappeler leurs emplacements. Lady Mary (il regarda Polly) essaie sans désarmer de se faire réduire en miettes, et les Allemands peuvent nous envahir d’une minute à l’autre. Nous avons des problèmes bien plus urgents à résoudre que celui des chaussures.

Vous avez raison, des problèmes bien plus urgents. Notre ignorance quant à l’aérodrome où Gerald se trouve. Le manque de manteaux, de travail ou de toits pour nous abriter. Une vigilance de tous les instants afin d’éviter une arrestation comme espions allemands… ou la mort par éclats de shrapnel ou mines parachutées au hasard.

— Mais sir Godfrey, si nous ne nous en occupons pas maintenant…, protestait Mlle Laburnum.

— Si nous atteignons ce point, et quand il deviendra nécessaire de décider si le fait de marcher pieds nus est une menace pour notre santé, nous en discuterons. Jusque-là, je vous suggère de persuader lady Catherine de cesser de glousser à chacun de ses vers. Il ne sert à rien de se tracasser pour des choses qui ne se produiront peut-être jamais. « À chaque jour suffit sa peine », ma chère mademoiselle Laburnum.

Et voilà ma réponse, pensa Polly avec gratitude. Eileen et Mike ont assez de problèmes sans que je leur en ajoute. La priorité, c’est de sortir la première de Stepney et le second de Fleet Street, et de les habiller chaudement. Et de localiser Gerald Phipps. Si on y parvient, et si son site est opérationnel, je n’aurai rien à dire du tout.

— « À chaque jour… », hésitait Mlle Laburnum, c’est dans Hamlet ?

— C’est dans la Bible[40] ! mugit sir Godfrey.

— Ah ! bien sûr. Et c’est un excellent conseil mais, avec l’hiver si proche et toutes ces pénuries, des sandales de plage risquent d’être difficiles à trouver, et si nous ne les achetons pas maintenant…

— Pardon de vous interrompre, sir Godfrey, intervint Polly, le prenant en pitié, mais je dois demander quelque chose à Mlle Laburnum.

— Je vous en prie, Viola, déclara le metteur en scène, lui décochant une œillade reconnaissante. « Souvenez-vous bien de ce que je vous ai dit »[41], et il s’enfuit.

— Avez-vous l’adresse du centre de secours de Mme Wyvern ? interrogea Polly. Je dois la solliciter parce que ma cousine et M. Davis ont besoin de manteaux.

— Des manteaux ?

— Oui, ils ont perdu les leurs dans le bombardement. (Pourvu que Mlle Laburnum ne veuille pas savoir lequel !) Je pensais que Mme Wyvern pourrait nous aider.

— J’en suis certaine. Quelles tailles ?

— Ma cousine a la même carrure que moi, mais elle est moins grande. Quand je lui ai passé mon manteau, il était trop long. Je ne suis pas sûre pour M. Davis…

— Passé votre manteau ? Et maintenant, comment ferez-vous ?

— Ça ira. Townsend Brothers n’est pas loin d’Oxford Circus.

— Mais on gèle, dehors. C’est un coup à attraper la mort ! Prenez le mien. (Elle se mit à le déboutonner.) J’ai un vieux tweed de rechange, à la maison.

— Et vous ? Marcher jusqu’à la pension, ce n’est pas tout près. Je déteste l’idée de vous enlever…

— C’est idiot, l’interrompit-elle vivement. On doit s’entraider, et spécialement en temps de guerre. Comme le dit Shakespeare : « Aucun homme n’est seul. »[42]

Dieu merci ! sir Godfrey n’est plus là pour entendre ça !

— « Chacun de nous est un fragment d’un ensemble, une part de l’humanité », continuait Mlle Laburnum en tendant à Polly son manteau. Avez-vous besoin d’autre chose ?

Le nom de l’aérodrome où Gerald est basé.

Polly chercha des yeux Lila et Viv, mais elles étaient parties. Elle consulta sa montre. Elle n’avait plus le temps de les poursuivre. Il était presque 9 heures, et elle ne pouvait courir le risque de perdre son emploi en ayant du retard. La chambre, la pension, les billets de train pour se rendre aux aérodromes, tout cela coûterait de l’argent. Cependant, prévenir Mme Rickett du partage de sa chambre avec Eileen ne pouvait attendre qu’elle sorte de son travail.

— Il y a quelque chose que vous pourriez faire pour moi, si c’est possible. Si vous pouviez informer Mme Rickett de tous ces problèmes, et…

— … lui demander si votre cousine peut s’installer avec vous ? Évidemment. Partez travailler, ma chère. Je m’occupe de tout.

— Merci mille fois !

Et Polly s’en fut à toutes jambes et arriva chez Townsend Brothers avec quelques secondes de battement.

— Où as-tu disparu, hier soir ? s’enquit Doreen pendant qu’elle découvrait son comptoir. Marjorie voulait te parler.

— J’avais un rendez-vous.

Et, pour éviter un interrogatoire – je passe mon temps à ça, pensa-t-elle –, elle lança :

— Est-ce que Marjorie t’a dit ce qu’elle faisait à Jermyn Street la nuit où elle a été blessée ?

— Non. Mlle Snelgrove ne nous a pas laissées lui poser une seule question. Elle prétendait qu’elle était trop malade pour supporter notre blabla. Elle a insisté pour la ramener elle-même à l’hôpital. Quel genre de rendez-vous ? Avec un homme ? Qui c’est ?

Par chance, Sarah arriva juste à cet instant, messagère du bombardement de Padgett’s, ce qui dispensa Polly de répondre. D’un autre côté, elle n’avait pas pu non plus amener la conversation sur le terrain des aérodromes. Elle dut attendre la sonnerie d’ouverture et le passage de Doreen avec un chargement de boîtes de lingerie destinées à la remise pour annoncer :

— J’ai rencontré un soldat de la RAF dans le refuge, il y a deux nuits, et ça marche plutôt bien entre nous.

— Je le savais ! Un rendez-vous, mon œil !

Doreen posa les boîtes et appuya ses coudes sur le comptoir.

— Je veux tout connaître sur lui. Il est beau ?

— Oui, mais il n’y a pas grand-chose à dire. Comme sa permission était terminée, il rentrait à sa base. On a juste parlé un petit moment, mais il m’a demandé de lui écrire. Le problème, c’est que je ne me rappelle plus sur quel aérodrome il est basé. Ça débute par un D, je crois, ou un T.

— Tempsford ? suggéra Doreen. Debden ?

— Je ne suis pas sûre. Le nom devait comporter deux mots.

— Deux mots ? réfléchit Doreen. High Wycombe ? Non, ça ne commence ni par un T ni par un D. Attention ! voilà Mlle Snelgrove.

Elle ramassa ses boîtes et se précipita vers la remise.

Polly déchira un morceau de papier d’emballage, nota les noms pour ne pas les oublier, et enfonça la liste dans sa poche. Avec un peu de chance, elle en obtiendrait d’autres des vendeuses au déjeuner, et l’un d’eux réveillerait la mémoire d’Eileen. Laquelle arriverait bientôt, avec Mike. Stepney était à moins de trois quarts d’heure, et la jeune femme avait sans doute peu d’affaires à empaqueter.

Ils n’étaient pourtant toujours pas là à 11 heures, et Polly s’aperçut un peu tard qu’elle ne connaissait pas l’adresse de Mike, et pas davantage le nom des gens qui hébergeait Eileen. Et le registre des employés de Padgett’s venait justement d’être réduit en miettes. Où sont-ils ? Ça ne prend pas quatre heures de se rendre à Stepney et d’en revenir.

Polly regardait l’horloge, la cage d’escalier, les ascenseurs et tentait de ne pas s’inquiéter, s’efforçant de croire qu’ils allaient la rejoindre à l’instant, sains et saufs, et qu’ils trouveraient Gerald Phipps, que sa fenêtre de saut s’ouvrirait et qu’ils rentreraient à Oxford où M. Dunworthy autoriserait la mission d’Eileen au VE Day. Elle essayait aussi d’imaginer l’imminente arrivée de son équipe de récupération et leur exclamation : « Où étiez-vous passée ? Nous avons remué ciel et terre pour mettre la main sur vous ! »

Mais alors que les minutes s’égrenaient sans que Mike ni Eileen ne paraissent, ses doutes recommencèrent à s’épaissir comme le brouillard la première nuit de sa traversée. Même si l’épidémie de rougeole avait été un point de divergence et si elle avait empêché l’équipe de joindre Eileen avant son départ pour Londres, le lieutenant Heffernan aurait indiqué à Polly qu’ils étaient venus. Et d’abord, si la rougeole était un point de divergence, pourquoi avait-on autorisé Eileen à traverser ?

Par ailleurs, il s’agissait de voyage dans le temps. Certes, parce qu’elle avait un train à prendre, Polly n’avait pas obtenu du pasteur l’adresse d’Eileen, mais l’équipe de récupération n’avait aucune contrainte. Ils disposaient littéralement de tout le temps du monde.

Et si rien n’avait détruit Oxford, si Colin n’était pas mort, où était le garçon ? Il avait promis de venir à son secours si elle avait des problèmes.

— Si tu peux, murmura Polly. Si tu n’as pas été tué.

La flèche au-dessus de la porte de l’ascenseur s’arrêta sur le trois, et Polly la regarda d’un air de défi, s’attendant à demi à découvrir Colin. Mais ce n’était pas lui. Ni Mike, ni Eileen. C’était Marjorie.

— Oh ! Polly ! s’écria-t-elle. Dieu merci ! j’ai appris que Padgett’s avait été bombardé, et j’avais si peur… Ta cousine n’a rien ?

— Non.

Polly lui attrapa le bras pour lui fournir un appui. Elle paraissait encore plus pâle et plus mal en point que la veille.

— Le ciel soit loué ! souffla Marjorie. Ne t’inquiète pas ; c’est que j’ai eu si peur… Je veux dire, c’est moi qui t’ai envoyée là-bas, et si quelque chose t’était arrivé…

— Rien n’est arrivé. Je n’ai rien du tout, et ma cousine non plus. C’est toi qui nous donnes du souci, lui reprocha Polly. Il faut arrêter de te sauver de l’hôpital pour te précipiter ici. Je te rappelle que tu es malade !

— Je suis désolée. C’est juste… quand j’ai appris que des gens avaient été tués…

— Tués ?

Dieu merci ! je vais pouvoir l’annoncer à Mike, et il cessera de se morfondre.

— Oui. L’un d’eux est mort sur le chemin de l’hôpital. C’est comme ça que j’ai su. J’ai entendu les infirmières en parler. Pour les quatre autres, c’était terminé quand on les a trouvés.

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