Il m’a fermé toute issue, et je ne puis passer ;
Il a répandu des ténèbres sur mes sentiers.
Il ne peut pas avoir été touché, pensait Polly qui considérait, abasourdie, le point de saut offert à tous les regards, de l’autre côté des décombres. M. Dunworthy n’aurait jamais autorisé ce site, dans ce cas. Et d’après Badri il avait insisté pour que l’on trouve un site resté intact non seulement pendant ses six semaines de mission, mais durant tout le Blitz.
Il n’a pas été frappé, s’aperçut-elle. Seuls les immeubles face à l’allée avaient été détruits, et leurs adresses devaient être sur Lampden Road. Badri et ses techs n’avaient contrôlé les constructions que du côté du point de transfert. Il ne leur était pas venu à l’esprit qu’un côté d’une rue puisse être rayé de la carte pendant que l’autre restait debout. Ils ne savaient pas quels dégâts imprévisibles pouvaient causer les explosions. Le passage, au moins aussi loin qu’elle pouvait en juger à travers le brouillard, semblait intouché, et l’escalier délabré au dos du bâtiment voisin n’avait subi aucun dommage.
Elle devait examiner ça de plus près. Elle traversa la rue, escalada les décombres et enjamba avec prudence une corde qui portait une petite pancarte carrée indiquant : « Danger, accès interdit ».
Le danger était réel. Une inspection plus détaillée des gravats les montrait parsemés de poutres aux extrémités déchiquetées, d’ardoises de toiture cassées, le tout presque à hauteur d’homme. Polly circonscrit rapidement le périmètre délimité par la corde, à la recherche d’un chemin pour gravir l’amas. Il n’y en avait aucun mais, du côté nord, le niveau des vestiges était moins impressionnant et, à moins d’un mètre du bord, une porte – sans doute projetée là par la violence de l’explosion – et un morceau de linoléum déchiré dessinaient un sentier.
Polly attrapa une poutre à demi enfouie et grimpa sur le tas de débris. Il était moins solide qu’il n’y paraissait. Ses pieds s’enfoncèrent jusqu’aux chevilles dans le plâtre et la brique pulvérisée, et l’un de ses bas s’accrocha sur une grosse écharde de bois. Elle avança d’un nouveau pas prudent, et le monticule tout entier sembla se mettre à bouger.
Elle saisit une colonne de lit brisée. Du plâtre et des cailloux cascadèrent en crépitant pendant plusieurs secondes, puis cela s’arrêta. Elle cheminait pas à pas, avec précaution, ne lâchait prise qu’au dernier instant, et s’assura de la main et du pied avant de déplacer son poids sur l’éboulis instable jusqu’à ce qu’elle ait atteint le morceau de linoléum.
Elle s’était trompée. Ni le linoléum, ni la porte n’avaient atterri là sous l’effet de la bombe. Une équipe de sauvetage les avait installés. Ils ne conduisaient pas au site, mais à un trou carré. Polly comprit immédiatement de quoi il s’agissait : un puits creusé pour accéder à un blessé, ou à un cadavre, enseveli dessous. Qui, sans nul doute, avait été évacué.
Elle regarda le passage de l’autre côté. Il était couvert d’éclats de verre, mais vierge de décombres. Aucun des tonneaux n’avait été renversé. Ils avaient aidé à protéger le point de transfert, enfoncé dans une embrasure.
Si je pouvais juste arriver là…
Elle testa la masse de plâtre et de brique au-delà du linoléum. Qui s’enfonçait dangereusement sous son pied. Il fallait qu’elle marche sur quelque chose de solide. Peut-être réussirait-elle à déplacer la porte dans la direction désirée ?
La porte était trop lourde. Le linoléum aussi. Elle se redressa et observa le monticule, à la recherche d’une section de mur ou d’une porte de placard utilisables.
— Vous, là-bas ! tonna une voix d’homme. Qu’est-ce que vous fabriquez ?
C’était le garde de l’ARP qui l’avait emmenée au refuge, la première nuit. Debout près de la corde, il brandissait une lampe torche.
— Cette zone d’incident est interdite !
L’espace d’un instant, Polly se demanda si elle n’allait pas s’enfuir en courant. Il serait très difficile au garde de l’attraper dans les gravats, et il faisait presque nuit. En revanche, elle risquait elle-même de manquer son coup et de se casser la jambe.
— Descendez sur-le-champ ! ordonna le garde.
Il se faufila sous la corde, et entreprit d’escalader l’amas.
— J’arrive !
Polly avança vers la lisière, choisissant son chemin avec prudence.
— Qu’est-ce que vous faisiez là-haut ? Vous n’aviez pas vu le panneau ?
— Si, avoua Polly.
Elle se demandait quoi lui dire. Il ne semblait pas l’avoir reconnue.
— J’ai cru entendre un chat miauler.
Elle le rejoignit.
— J’étais…
Son pied glissa et le garde tendit une main pour la rattraper.
— Je craignais qu’il ne soit piégé dans ce fatras.
Il jeta un regard inquiet derrière elle.
— Vous êtes certaine que c’était un chat, et pas quelqu’un qui appelait au secours ?
Si le garde mobilisait une équipe de sauvetage pour qu’ils se mettent à creuser de nouveau, ce serait le pompon. Elle se hâta de répondre.
— Oui, j’en suis sûre, et il n’était pas piégé, finalement. Juste au moment où j’atteignais la source du son, il s’est enfui.
— Ce périmètre est dangereux, mademoiselle. Il est plein de trous et de zones prêtes à céder. Si vous tombiez dedans, personne ne saurait que vous vous trouvez là. On n’aurait pas l’idée de venir vous y chercher. Vous pourriez y rester pendant des jours, voire des semaines…
— Je sais. Je suis désolée. Je n’ai pas réfléchi.
— Vous ne devriez pas être dehors à cette heure-ci. Les alertes vont se déclencher d’une minute à l’autre.
Polly acquiesça. Il lui tint la corde et elle se glissa dessous.
— Il faut vous rendre au refuge, mademoiselle.
Il lui avait dit la même chose le samedi précédent, et il dut s’en souvenir parce qu’il fronça les sourcils en la dévisageant.
— Oui, j’y vais sur-le-champ.
Et elle s’éloigna d’un pas vif.
— Attendez ! cria-t-il en la rejoignant. Notting Hill Gate, c’est par là !
Il tenta de lui attraper le bras, mais elle se déroba.
— J’habite juste en haut de la rue, assura-t-elle en montrant la direction du doigt.
Et en priant pour qu’il n’y ait pas eu d’incident de ce côté-ci…
Il y eut un bourdonnement d’avions vers l’est. Le garde leva les yeux. Sauvée par la Luftwaffe ! Polly se hâta dans la direction qu’elle avait désignée.
— Ne traînez pas ! lui cria le garde.
— Ne vous inquiétez pas, monsieur.
Elle poursuivit sa route, résistant à l’envie de se retourner pour voir s’il la pistait. Elle traversa la rue et la suivante, puis bifurqua dans une allée. À cette distance, le gardien croirait qu’elle tournait dans une rue latérale. S’il l’observait toujours.
Il n’avait pas quitté son poste.
Elle lui adressa une supplique muette :
Va donc embarquer quelqu’un d’autre pour Saint-George. Ou traquer les infractions au black-out, n’importe quoi !
Mais il ne bougeait pas, debout dans le crépuscule. Et s’il demeurait là toute la nuit ?
Il devra quitter les lieux quand les raids commenceront, pour chercher les bombes incendiaires.
Elle s’enfonça dans l’allée. Les raids ne concernaient pas Kensington, ce soir. Ils se produiraient au-dessus de Bloomsbury et dans l’East End. Mais, comme l’avait expliqué Colin, les bombes perdues avaient été nombreuses. Elle regarda sa montre. 19 h 45. Il lui restait encore une heure à patienter, et la température était déjà glaciale.
Si seulement le garde pouvait plier bagage, elle se rendrait à Saint-George et se glisserait dans l’église jusqu’à ce que tout le monde ait déserté les rues. Il y ferait forcément plus chaud qu’ici. Hélas ! le garde restait planté là, et la ruelle s’était trop assombrie pour qu’elle tente de l’explorer. Elle risquait de percuter quelque chose et de provoquer la ruée de son ange gardien.
Va-t’en ! chuchota-t-elle en direction de la silhouette immobile. Bouge de là !
Et, au bout de quelques instants, c’est ce qu’il fit.
Oh non ! Il arrivait droit sur elle. Polly recula dans les ténèbres de l’allée, à la recherche d’une embrasure ou d’un passage semblable à celui du site de transfert où elle pourrait se cacher. L’obscurité lui permit juste de dénicher une grande poubelle de métal, qui dissimulait une caisse en bois. Polly s’assit sur la caisse, ramassa ses pieds sous elle et attendit, épiant les bruits de pas.
Quelques minutes plus tard, elle en perçut, mais ils provenaient de la direction opposée, et le rythme en était rapide. Des passants gagnant un abri. Une raison de plus de rester ici. Elle ne voulait pas courir le risque de croiser de nouveau Mlle Laburnum. Elle serait forcée de se rendre à Saint-George. Elle souleva sa manche et vérifia l’heure. 20 h 05. Ses mains glacées enfoncées dans ses poches, elle s’astreignit à l’immobilité, l’oreille tendue vers les avions.
Une éternité passa avant qu’elle n’en détecte. Un canon tonna, loin à l’est, et peu après elle entendit une HE frapper, si loin qu’elle n’émit qu’un faible sifflement étouffé. Polly se leva et tâtonna le long de la poubelle pour trouver son chemin vers l’entrée de l’allée et contrôler si le garde était toujours en faction. Elle se pencha pour scruter prudemment la rue.
Dans le noir absolu. La rue était aussi sombre que l’allée. Plus sombre, même. Entre le brouillard et le black-out, aucune lumière ne filtrait. Elle ne parviendrait jamais à retrouver son chemin jusqu’à Lampden Road dans cette purée de pois, et encore moins à rejoindre le point de saut en traversant l’amas des débris instables où béaient des pièges dangereux.
Je dois me procurer une lampe de poche…
Mais, si elle ne pouvait pas retrouver son chemin vers le point de transfert, elle ne retrouverait pas plus celui qui menait chez Mme Rickett.
Je ne peux pas me permettre d’attendre une nuit de plus pour rentrer à Oxford.
Elle sursauta alors que retentissait un autre « whoosh », puis un éclatement d’obus, beaucoup plus près que le premier, immédiatement suivi d’un autre. Le canon de Tavistock Square se déclencha et, quelques instants après, une fusée éclairante illumina la rue d’une incandescence blanc-bleu qui vacilla et se transforma en un faible embrasement rougeâtre, vite exsangue. Mais, presque aussitôt, une autre étincelait à l’ouest, et s’arquait en une pluie blanche d’étoiles scintillantes, tandis qu’à l’est les nuages bas s’enflammaient. Un incendie. Maintenant, les projecteurs s’allumaient, et leurs faisceaux se croisaient dans le ciel, telles des lampes de poche géantes. Magnifique ! cela donnait largement assez de lumière pour gagner le point de saut, et pour repérer et s’écarter des puits de sauvetage.
Et voir que le garde avait levé le camp. Polly retourna en courant au site, l’œil aux aguets, mais il ne restait plus personne dans les rues latérales ni sur la partie de Lampden Road qu’elle pouvait distinguer. Quand elle atteignit le champ de ruines, il faisait assez clair pour qu’elle puisse lire l’inscription : « Danger, accès interdit ». Elle jeta un dernier regard alentour à la recherche du garde, puis grimpa à quatre pattes sur l’amas de décombres jusqu’à ce qu’elle ait dépassé son sommet. À demi cachée de la rue, elle se redressa et avança plus lentement.
Plus elle approchait du site, plus l’amas devenait instable. Des sections entières glissaient à chacun de ses pas. Polly recula sur quelques mètres pour retrouver un enchevêtrement de solives éclatées et, en s’y cramponnant, ainsi qu’à une large poutre, elle parvint au mur, et de là gagna le passage. En sautant à son débouché, elle soupira de soulagement.
Elle s’était angoissée à l’idée que l’explosion pourrait avoir touché le site, mais les débris de verre brisé s’étalaient sur moins d’un mètre. Une fine couche de poussière de plâtre couvrait le sol et le sommet des tonneaux, rien d’autre.
Polly se faufila entre les tonneaux et descendit les marches de l’étroit renfoncement. Les barriques empilées et la corniche filtraient la lumière issue des incendies, mais il en subsistait assez pour se repérer. Le passage et les tonneaux avaient protégé le site. La poussière avait même épargné les marches et la toile d’araignée sur les gonds de la porte n’avait pas été dérangée. Polly tira sur la poignée, dans l’hypothèse où l’explosion l’aurait libérée, mais elle ne bougea pas d’un pouce, la porte était toujours verrouillée.
Dehors, les illuminations devenaient de plus en plus spectaculaires. Le halo serait indétectable au milieu du rougeoiement des feux, du scintillement des fusées éclairantes et des faisceaux dansants des projecteurs. Si seulement la Luftwaffe continuait son numéro quelques minutes, Polly serait à la maison pour le dîner. Et elle récupérerait – enfin ! – sa jupe noire.
Et une nouvelle paire de bas. Ma dernière promenade à quatre pattes ne peut pas les avoir arrangés. Et je demanderai à Badri de me repérer un site où l’attente soit moins inconfortable, songeait-elle, assise sur l’avant-dernière marche.
Et qui soit plus facile d’accès. Celui-ci était sans doute opérationnel, mais il ne fonctionnerait pas la plupart du temps, entre les curieux qui s’approcheraient pour observer la zone d’incident, les enfants en quête d’éclats d’obus, puis les ouvriers de chantier et les bulldozers qui viendraient nettoyer les décombres. Et les vétilleux préposés à la Défense passive, qui les protégeraient des pillards.
Elle pria pour que Badri et ses techs mettent moins de temps que la première fois pour lui trouver un nouveau point de chute. Passer des jours ou – à Dieu ne plaise ! – des semaines entre des rencontres qui n’étaient séparées que de quelques heures pour les contemporains causait toutes sortes de problèmes. Elle risquait d’oublier les noms des réfugiés de Saint-George, ou les instructions de Mlle Snelgrove pour remplir les récépissés d’achat sur compte.
Mais j’aurai le temps d’apprendre à emballer mes paquets. Et de manger des repas corrects.
Elle espérait que la fenêtre de saut s’ouvrirait vite. Les incendies donnaient certes au ciel une chaleureuse couleur orangée, mais la marche en ciment sur laquelle elle était assise était encore plus froide que l’allée.
Il me faut aussi un manteau plus chaud.
Elle enfila ses gants. Comme elle prévoyait de ne rester qu’une partie du mois d’octobre, elle avait choisi un vêtement léger. Elle n’avait pas imaginé qu’elle pourrait avoir besoin d’attendre assise au point de transfert, et l’automne du Blitz avait été l’un des plus glacials et pluvieux jamais enregistrés.
Il devait être près de la demie… Elle avait l’impression d’être installée là depuis des heures. Ce qui veut dire qu’il ne s’est probablement pas écoulé plus de dix minutes ! Elle résista au réflexe de consulter sa montre. Elle connaissait trop bien l’infernale lenteur du temps quand on attendait un saut. Lors de sa nuit à Hampstead Heath, il lui avait semblé que cela durait des heures.
Elle patienta pendant ce qui ressemblait à un autre quart d’heure, remonta sa manche afin de regarder sa montre et y renonça, fronçant les sourcils. Elle voyait à peine son bras ou la porte devant elle.
Oh non ! Le raid était-il terminé ? Si c’était le cas, le halo deviendrait visible, et si qui que ce soit sortait pour vérifier les bombes incendiaires, la fenêtre ne s’ouvrirait pas. Polly retourna dans le passage obscurci pour observer le ciel.
Le raid se déchaînait encore. Il n’y avait plus de fusées éclairantes, et l’intensité des incendies à l’est avait diminué, ce qui expliquait pourquoi la ruelle s’était assombrie, mais de nouveaux feux avaient surgi au nord, l’un assez proche pour qu’elle en distingue les flammes. Elle ressentit les secousses d’une série de fortes explosions, regarda sa montre, qui indiquait 21 h 50, et s’avisa qu’elle n’avait pas la moindre notion de l’heure à laquelle elle avait atteint le point de transfert. Elle avait quitté l’allée peu après 20 h 55, mais traverser l’amas des décombres lui avait pris un temps fou.
Cependant, elle avait bénéficié d’une vue plongeante sur le passage pendant au moins une partie de cette traversée, et elle n’avait aperçu aucun halo, et inspecter le renfoncement pour vérifier s’il n’avait subi aucun dommage lui avait pris plusieurs minutes. Et pendant qu’elle restait assise là, sur les marches, son pied devenu gourd l’avait fourmillée. Même si le temps s’écoulait moins vite quand on attendait, une demi-heure avait forcément passé.
Polly retourna en courant au renfoncement, terrorisée à l’idée que la fenêtre pourrait s’ouvrir avant qu’elle revienne et, dans sa hâte, elle heurta l’un des tonneaux, faisant un nouvel accroc à sa jupe.
J’espère que M. Dunworthy ne sera pas au labo quand je débarquerai, pensait-elle en descendant au galop les trois marches. Il croirait que j’ai été victime d’un incident et annulerait ma mission sur-le-champ. Je ferais peut-être mieux d’aller à Saint-George et de traverser demain, après que j’aurai trouvé un moment pour m’arranger.
Mais elle avait déjà attendu trop longtemps pour donner sa position, et Mlle Snelgrove la renverrait si elle se montrait sans jupe noire demain. Il fallait que ce soit cette nuit. Avec un peu de chance, M. Dunworthy serait de nouveau à Londres, et elle pourrait persuader Badri et Linna de lui expliquer ce qui était arrivé. Pourquoi la fenêtre ne s’ouvrait-elle pas ? Elle remonta sa manche pour vérifier sa montre une nouvelle fois, puis se baissa vivement alors qu’une bombe hurlait avant de frapper dans un bruit de tonnerre une rue adjacente. Une autre suivit. Puis quelque chose heurta l’amoncellement des solives brisées et cela fit un bruit d’enfer. Une bombe incendiaire, se dit Polly, mais il n’y eut ni étincelles ni flash de magnésium blanc-bleu. C’était donc un morceau d’obus. M. Dunworthy me tuera si je suis blessée par un éclat de shrapnel !
Le bourdon des avions au-dessus de sa tête devint assourdissant. Le sifflement râpeux d’une explosion se propagea, et le vacarme semblait provenir de l’autre côté de la rue.
— Ce soir, les raids sont censés se passer à Bloomsbury ! cria Polly en direction des avions. Pas à Kensington !
Elle se rappela Colin, et comment il l’avait mise en garde au sujet des bombes perdues et des centaines d’incidents de moindre importance qui n’avaient pas laissé de traces dans les documents historiques. Il l’avait prévenue : « Tu n’as rien à faire dehors en plein raid. »
Tu avais raison.
Elle s’accroupit dans le coin des marches. À quelques pâtés de maisons de distance, il y eut un nouveau « whoosh » suivi d’une explosion à faire trembler les vitres, puis un long et croissant hurlement qui précipita Polly au sol, recroquevillée, les mains sur les oreilles. Le son monta encore dans un crescendo d’une intensité propre à vous déchirer les tympans. Un étonnant grondement sourd lui succéda, puis un éclair terrifiant, et le bâtiment tout entier trépida comme s’il allait tomber en morceaux.
Polly leva les yeux vers les murs de brique qui l’entouraient. Ils vont s’écrouler, et personne ne saura jamais que je suis là. Je dois sortir d’ici.
— Ouvrez ! cria-t-elle, comme si les techs à Oxford pouvaient l’entendre, et elle se rua sur la porte. Ouvrez !
Mais une autre bombe descendait déjà, noyant sa voix.
Le « whoosh » se transforma en hurlement…