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En deux temps, trois mouvements, je me retrouve confié à mademoiselle Rose qui m’entraîne hors du cimetière, tandis que Walter essaye de calmer Fulgence.

– Je m’attendais à un clash, annonce mademoiselle Rose, mais pas venant de toi. Et surtout, pas aussi brutal !

Malgré son air clairement désapprobateur, je perçois dans sa voix une inflexion satisfaite. À mon avis, elle ne porte pas ce type dans son cœur…

– Il m’a pris de haut, je réponds. C’est un pervers.

– C’est le chef de l’Association, Jasper.

– Il n’empêche, je m’entête.

« À fond avec toi, Jasper. Ce type est un pervers.

– Rose a raison, j’aurais dû garder mon calme. Mais je n’ai pas pu me retenir !

– J’aime quand tu te lâches. Tu me fais penser… à moi.

– C’est un beau compliment, Ombe. Sincèrement. »

Nous marchons un moment sur le trottoir, sans rien dire.

– Ce n’était pas prudent, lâche mademoiselle Rose d’une voix hésitante, comme si elle me faisait une confidence.

– Pourquoi ? C’est le chef de l’Association, non ? Il veille sur ses Associés, comme Walter et toi veillez sur vos Agents. Enfin, ce qu’il en reste.

– Bien sûr ! Seulement… tu es un cas spécial.

Je m’arrête, attentif. J’attends qu’elle en dise plus. Mais rien ne vient.

– C’est parce que les fous furieux de la MAD ont tué Ombe et qu’ils ont essayé d’avoir ma peau que vous vous inquiétez ? j’insiste en mettant la même ironie qu’elle, tout à l’heure, dans ma question.

– Plus précisément, Walter et moi nous inquiétons de ne pas comprendre. Est-ce qu’il s’agit d’un dérapage, d’un gigantesque malentendu ? D’un plan secret qui ne nous a pas été confié ? Fulgence refuse pour l’instant de s’expliquer. Il manifeste devant nos questions, comment dire… une certaine arrogance.

– Tu m’étonnes !

– Ce n’est pas simple, Jasper…

Elle a ramené sa mantille sur ses épaules, à la manière d’un châle. Ses cheveux gris sont attachés en chignon. Ses traits sont tirés. Rien d’étonnant : avant-hier, elle portait une armure et brandissait la foudre contre une horde de lycans…

Walter nous rattrape. Il a marché trop vite. Il extirpe son mouchoir d’une poche et s’éponge le front.

– La diplomatie est-elle au programme de la formation des stagiaires, Rose ? Si oui, des exercices pratiques s’imposent ! Si non, il faut l’inclure d’urgence…

– Je viens justement d’en parler avec Jasper et…

– Enfin, ça ne s’est pas si mal passé, continue Walter, à ma grande surprise, sans laisser à Rose le temps de finir. Sachant la MAD impliquée dans le meurtre d’Ombe, Jasper aurait pu avoir une réaction plus violente !

– Vous prenez sa défense ? constate Rose, ébahie.

– À une autre époque, nous aurions eu la même attitude que Jasper.

– Le passé est le passé, Walter, le reprend sèchement Rose. Notre jeunesse est derrière nous.

– Tant de choses sont derrière nous, soupire-t-il.

– Rien ne les fera revenir, assène Rose sur un ton lugubre.

Manifestement, ils m’ont oublié ! Je suis gêné de les entendre parler d’eux-mêmes. Mes parents font souvent pareil. Quand ils sont là, bien sûr ! J’ai l’impression alors d’être un juré désigné d’office dans le procès d’actes dont j’ignore tout, lointains mais toujours vivaces. Le témoin d’une sourde et inusable dispute.

Par bonheur, nous sommes arrivés devant la bouche du métro.

Je toussote.

– J’y vais.

– Je compte sur toi tout à l’heure ? me demande mademoiselle Rose alors que je m’engouffre dans les escaliers.

Je fais oui de la tête, soulagé d’en avoir terminé avec l’enterrement, la présence des assassins de la MAD et cette conversation avec Walter et mademoiselle Rose.

Je regrette juste de ne pas m’être battu avec Fulgence !

Ça m’aurait défoulé.

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