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Jean-Lu, qui peine à retrouver son souffle et sa contenance, rejoint Arglaë en chancelant. Il découvre alors la présence de Romu et en reste ébahi.
– Romu ?!
Romu plisse les yeux en découvrant son ancien camarade.
– C’est tout ce que tu as trouvé pour sauver ta peau, Jasper ? lâche-t-il en ricanant. Un chanteur raté et deux trolls qui n’effrayeraient pas ma grand-mère ?
Je me tourne vers Erglug, le prenant à témoin en levant les yeux au ciel.
– La politesse, c’est pas son truc.
Jean-Lu transpire à grosses gouttes.
« Il est complètement largué, ton pote. Fais gaffe, Jasp, il va te claquer dans les doigts. »
– Jasper… Tu es là aussi ! Qu’est-ce qui se passe, bon sang ? Comment on est arrivés ici ? Et on est où, d’abord ? Et Romu, pourquoi il ne me reconnaît pas ? Eh, Romu ! C’est moi, Jean-Lu !
Ombe a raison, mon camarade perd pied.
Il faut dire, pour sa défense, que ça fait beaucoup pour lui. En trois jours, il a découvert l’existence des lycans, des trolls et de l’amour. Je doute qu’il soit prêt à accepter que je sois un sorcier et Romu un démon !
Je fais un signe discret à Erglug qui acquiesce en retrouvant le sourire. Deux secondes plus tard, un coup à la tête (affectueux) renvoie Jean-Lu au pays des rêves.
– Tu es fou ? crie Arglaë en martelant le poitrail de son frère avec ses poings (deux fois la taille des miens). Qu’est-ce qui te prend ?
L’amour est un sortilège bourré d’effets secondaires.
– C’est moi qui le lui ai demandé, je dis avant que la scène de famille ne dégénère. Pour sa propre santé mentale.
– Bon, les rigolos, dit Arglaë en marchant droit sur les démons, je n’ai pas que ça à faire. J’ai un amoureux à réanimer. Ensuite, une île nous attend quelque part. Vous allez dégager et plus vite que ça !
Joignant le geste à la parole, la trolle attrape Lucile par l’épaule et… rien du tout. Elle aurait aussi bien pu tenter de déraciner un arbre.
– Tu te crois forte ? lui lance méchamment Lucile en saisissant son poignet. Je vais te montrer !
Dans une prise savante, elle projette sans effort Arglaë au-dessus de sa tête.
La trolle retombe sur un tas de gravats et pousse un cri de douleur.
Il n’en faut pas plus pour déclencher la réaction que j’espérais.
Erglug pousse un hurlement primaire, arrache un poteau métallique planté dans le sol et se précipite sur Lucile.
Vlan !
Il abat sa massue improvisée sur la vilaine fille qui a osé s’en prendre à sa sœur.
– Ce coup-là, Maître, je n’aurais pas aimé le recevoir.
– Elle non plus, Ralk’. Ça lui apprendra à prendre un poids lourd à la légère.
Lucile a mordu la poussière. Erglug la ramasse par les cheveux, lui écrase le visage avec son genou, la jette au sol et la piétine sans cesser de hurler.
– Dis-moi, Ralk’, c’est costaud un démon Majeur ?
– Très.
– C’est ce que je pensais.
Mon ami troll peut passer sa colère sur eux, ça ne sera pas suffisant pour les stopper. Seule la magie, encore et toujours, me rendra ce service. D’ailleurs, Lucile se redresse déjà.
J’avise une lourde chaîne, attachée à l’origine au poteau délicatement cueilli dans le béton par Erglug.
Je me rappelle un sort, lu dans le Livre des Ombres de Julie Yeux de braise. Je pense qu’en l’adaptant aux circonstances, il pourrait nous tirer d’affaire.
Je déroule la chaîne sur le sol, sort de ma sacoche ce qui reste de millepertuis et de lignite broyé, ainsi qu’un sachet contenant de l’antimoine.
Je saupoudre la chaîne avec mes ingrédients et prononce une formule familière :
– Eqqquen : annnga arr engggwë faaanë arr sarrr morëëë arr yya arrraucooor etemmmentëa aa nutilllldë ! Je dis : mélangez-vous, fer, chose blanche, pierre noire et chasse-démon !
Les maillons brillent d’un éclair bref mais terriblement intense.
Mon arme est chargée.