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Je secoue la tête pour chasser ces pensées défaitistes. Aucun combat n’est perdu – ni gagné – d’avance ! Je dois trouver le moyen de m’en sortir.
Le problème, c’est que mon adversaire est plus fort que moi, que ce soit au pugilat (mes côtes douloureuses me le rappellent à chaque instant) ou en magie.
Si j’arrivais à me rendre de nouveau invisible, je disposerais d’un avantage appréciable. Mais comment réaliser le sortilège des roses… sans rose ?
Une idée me traverse l’esprit.
Je plonge la main dans ma sacoche et cherche une améthyste parmi les pierres qui tapissent le fond. Il s’agit d’ouvrir une porte, non ?
Avant ça, je dois faire le ménage et me débarrasser des crabes fantômes.
Je fouille à nouveau dans la besace.
Est-ce que j’ai pensé à renouveler mon stock ? Je tombe sur plusieurs feuilles de laurier attachées par une ficelle. Je les prends toutes.
Je sors ensuite un sachet en plastique.
Malachite, zut.
Tourmaline. Rezut.
Enfin, je trouve la poudre de calcite.
Je réduis les feuilles en morceaux dans le creux de mes mains.
L’avantage de ne pas avoir dessiné de pentacle, c’est que je n’ai pas besoin de le briser pour en sortir. Le millepertuis répandu autour de moi restera actif si je prends soin de ne pas le disperser.
Je bondis donc hors de mon cercle, jette le laurier sur les crabes de Fulgence, puis regagne ensuite l’abri du millepertuis.
– Aa tapppe ulunnnndor, orrrnë mahttttarwaaa ! Bloque les créatures hideuses, arbuste du guerrier !
Une mélasse suintant du sol emprisonne aussitôt les pattes des crabes fantômes qui, d’affolement, font crisser leurs pinces de manière atroce.
J’ai le plaisir de voir Fulgence-Lokr’ blêmir.
Avant qu’il comprenne que mes intentions ne s’arrêtent pas là, je sors une nouvelle fois de mon cercle et saupoudre la masse ténébreuse avec la calcite broyée, dévoreuse d’énergie.
– Aaa uuurta ulunnnndor, sarrr calimmma ! Brûle les immondes créatures, pierre brillante !
Les grains de calcite deviennent aussitôt incandescents. Les crabes grésillent et sifflent de colère.
C’est maintenant que ça se corse.
Parce que si je suis libre de quitter mon cercle, Fulgence l’est tout autant.
– Tu es fou, gronde Fulgence-Lokr’. Maintenant, tu vas mourir.
Je serre très fort dans ma main le morceau de quartz violet et ferme les yeux, en essayant de ne pas penser aux menaces du démon.
Puis je cherche une voie d’accès au Multivers.
Les mots de haut-elfique emplissent naturellement ma bouche (je prends garde de ne pas utiliser le Parler Noir) :
– Helin imirin ! Equen anyë tulya i ettelenna tingala landassë ho Ambar ! Helin imirin ! Equen, anyë tulya i ettelenna tingala landassë ho Ambar ! Violette de cristal ! Je dis : conduis-moi vers des terres étrangères vibrant sur la frontière des mondes !
Sous l’impact du quenya, Fulgence recule d’un pas, m’accordant les précieuses secondes nécessaires pour que la magie se mette en route.
Un bourdonnement grave indique que le sort a pleinement réussi. La lumière pâlit et se voile. Les contours du cratère se nimbent d’un flou laiteux.
Je suis là et ailleurs, en équilibre.
Loin des ruines.
– Impressionnant, lance une voix trouble, déformée par les courants d’air. Je n’étais pas venu ici depuis une éternité !
Vibrant devant moi, les cheveux sombres et le costume blanc, Fulgence-Lokr’ m’a rejoint sur la Frontière des mondes.
Et le sourire qu’il me décoche vaut tous les ricanements du monde.