8

À sa place se tient une créature d’ombre et de feu, de nuit et de flammes rouges. Une forme vaguement humaine, à la fois réelle et floue. Une large bouche. Des braises à la place des yeux. Et une paire de cornes de taureau.

– Siyah ?! je lâche sous le coup de la surprise.

Le démon qui me fait face éclate d’un rire énorme.

– Non, Maître. C’est Ralk’, votre dévoué serviteur ! Ralk’ est libre, enfin ! Après toutes ces années !

J’ai du mal à imaginer que je me trouve en présence d’un démon mineur. À quoi ressemblent les démons Majeurs sous leur forme d’origine ? Sans parler des Maîtres démons…

Oubliant ma propre nature semi-démoniaque, je sens monter en moi des bouffées de tendresse pour les Anormaux. Par la barbe de Gimli, vive la Barrière qui empêche des créatures aussi terrifiantes d’envahir notre monde !

– Ralk’ ? je finis par dire. Mais… Comment ? Où est passé Siyah ?

– Passé est le mot juste, Maître. Siyah a pris ma place dans le miroir ! Les énergies qu’il a déchaînées ont créé un couloir que je suis parvenu à emprunter. Ensuite, je n’avais pas d’autre choix, pour interrompre le processus, que renvoyer la source à la source !

Je me penche au-dessus du miroir intact. Les runes sont brûlantes. À l’intérieur, j’aperçois une silhouette prostrée. Ça pourrait être un homme ou un démon, impossible de faire la différence. Pauvre Siyah…

« Pauvre Siyah ? m’aurait engueulé Ombe. Ce salaud était prêt à te tuer sans aucun remords ! Il a de la chance d’être toujours vivant ! Il n’a que ce qu’il mérite. »

Ce qu’il mérite, je veux bien. Quant à la chance d’être en vie et prisonnier d’un miroir, on pourrait en discuter.

Je le range dans ma sacoche et fixe la monstrueuse silhouette de Ralk’.

Celui-ci se tortille, gêné.

– Il y a un problème, Maître ?

– Tu es beaucoup plus encombrant que quand tu étais dans le miroir.

– Vous n’allez quand même pas…

– Non, Ralk’, rassure-toi. Mais je ne peux pas te garder avec moi.

– Maître !

Je réfléchis.

Personne ne connaît mon secret. Comme l’a fort bien exposé Siyah, je dois garder le silence sur ma part démoniaque si je veux reprendre le cours normal de mon existence. À moi de m’arranger avec elle(s) !

Ralk’ serait un auxiliaire précieux ; ses connaissances semblent infinies. Mais il me grillerait très vite. Avant de griller tout court sous les coups de l’Association !

Ralk’ est suspendu à mes lèvres. Il attend ma décision. Le démon, deux fois plus grand que moi, me regarde avec des yeux implorants !

– Tu connais le moyen de retourner au Nûr-Burzum ? je demande.

– Oui, Maître. Dans ce sens-là, c’est assez facile.

Le soulagement est perceptible dans sa voix. Il croyait vraiment que j’allais le renvoyer dans le miroir ? La vie dans le Nûr-Burzum ne doit pas être de tout repos.

Je prends un carnet au hasard dans ma besace et en arrache trois pages vierges. Sous le regard curieux de Ralk’, je griffonne quelques mots sur l’une et quelques phrases sur les deux autres. Je plie les lettres, les numérote et les tends au démon qui les attrape délicatement entre ses doigts griffus.

– Je te charge de porter ces messages à ma sœur, Omb’r, fille de Khalk’ru, princesse du Nûr-Burzum.

Ralk’ incline légèrement le buste en signe d’obéissance.

– Le premier te concerne, Ralk’. Je lui vante ton dévouement et lui demande de te prendre à son service personnel.

Si les démons sont capables d’émotions, Ralk’ en donne un parfait exemple. Il s’incline plus largement, avant de reprendre la parole.

– Maître… Mille fois merci, mon Seigneur. Ça a été un honneur et un plaisir de vous servir.

Puis il incante et disparaît très vite dans une atroce odeur de soufre.

Загрузка...