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« J’arrive trop tard, Ombe. Trop tard.

– Tu arrives seulement à la fin de la bataille, Jasper.

– C’est pareil, non ?

– On est vivant tant qu’on n’est pas mort. »

Le ton d’Ombe est détaché, presque froid. Mais elle dit vrai. Mademoiselle Rose, Nina et Walter ne sont pas forcément morts ! Ils peuvent être en fuite, ou bien prisonniers, ou encore bloqués sous les gravats.

Rompant avec un immobilisme qui (c’est le cas de le dire) ne m’avance à rien, je me précipite en direction de ce qui fut le 13 de la rue du Horla.

À l’origine un immeuble vétuste mais debout.

Désormais un tas de ruines.

Je ralentis à quelque distance de mon objectif. Des éclairs de lumière jaillissent de façon intermittente des décombres, trahissant une présence ennemie. Fulgence et ses hommes, sans aucun doute. La bataille ne serait pas finie ?

Pourtant, aucune clameur ne parvient à mes oreilles.

– Prudence, Maître ! me souffle Ralk’ d’une voix inquiète. Je sens la proximité de démons. Cinq démons mineurs et un démon Majeur.

– Pourquoi je ne sens rien, moi ?

– Le manque d’entraînement, Maître. Je serai ravi de vous instruire dès que…

– Tais-toi ! j’ordonne en me précipitant.

Un corps est allongé sur le trottoir, recouvert d’une armure brillante.

« Mme Deglu ! »

J’ai cru, l’espace d’un instant… Mais non, ce n’est pas mademoiselle Rose. C’est bien Deglu, anciennement présidente de l’Amicale des joueuses de Bingo, concierge du 13 rue du Horla et Agent à la retraite.

Ayant repris du service à la faveur des circonstances.

Je me penche et vérifie son pouls. À la froideur de la peau, je comprends tout de suite qu’elle est morte.

La masse d’armes, qu’elle tient encore serré dans son poing, est maculée de sang, et les cadavres d’une dizaine de miliciens, à côté, le crâne défoncé, montrent qu’elle s’est battue avec acharnement.

Je la soulève et l’adosse contre un reste du bâtiment qu’elle a âprement défendu.

Les paroles et l’air d’une chanson que je n’ai jamais chantée me viennent en tête. Elle est sombre et sauvage, et je la murmure pour l’Agent Deglu :

– Ghaash agh akûl Nazgûl skoiz

Mirdautas vras !

Karn ghaamp agh nût

Shaut Manwe quiinubat gukh…

« Feu et glace, les dragons volent,

C’est un bon jour pour tuer !

Rouge sont la terre et le ciel

Le roi lui-même s’inclinera avec respect… »

« Waouh ! C’est super beau, Jasper. »

– Vous avez fait un grand honneur à cette guerrière en entonnant le Chant ancien, Maître.

– Elle le méritait, Ralk’.

– Vous êtes l’unique juge, Maître.

Je reprends ma progression en me disant que j’aurais aimé chanter ainsi pour le Sphinx, l’autre jour, au cimetière.

Sans bruit, je gagne un pan de mur encore intact. Dissimulé, respirant à peine, je plonge mon regard de l’autre côté.

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