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Je n’arrive pas à détacher mes pensées de Fafnir et de sa fuite.

Ce sortilège atypique n’a jamais eu un comportement normal. Né dans une cave, il a passé son enfance dans une clé USB, son adolescence dans un bijou en forme de scarabée et a prématurément vieilli dans une gourmette.

C’est sur le terrain qu’il a gagné ses galons d’acolyte attitré. Espion et bagarreur, rien ne lui a jamais fait peur : ordinateurs infestés de mauvais sorts, manoirs remplis de vampires, appartements dévastés par la magie noire, souterrains hantés par les lycans… Il m’a sauvé la mise plusieurs fois.

Il me manque affreusement.

« I’m a poor lonesome crow-boy », chantonnais-je tristement il n’y a pas longtemps, avant de me rendre dans cette ruelle-tribunal où Nina avait appelé des fantômes à la barre pour me disculper.

Je me surprends à fredonner le même air…

De fil en aiguille, au rythme de mes pas sur le bitume, mes pensées s’envolent, survolent les événements de ces derniers jours.

Ils ont été plutôt rudes : bagarre contre un loup-garou monstrueux, poursuite d’un chamane qui poursuivait le démon qui possédait Walter, jeu des menottes avec un mage noir de colère et un vampire brûlant de se venger, tout ça pour me retrouver suspect numéro un dans le meurtre du Sphinx et découvrir que mon meilleur pote de lycée, Romuald, est un sorcier qui en veut à mort à l’Association !

En plus de ces broutilles, il m’a fallu digérer deux informations capitales et complémentaires qui pèsent lourdement sur mon estomac :

1. Ombe est ma sœur, ma vraie sœur, et je ne sais pas comment.

2. Je ne suis pas celui que je crois être – que tout le monde croit que je suis…

C’est très embrouillé pour moi, mais un faisceau d’éléments convergents m’amène à penser que certaines coïncidences n’en sont pas.

Je vais essayer d’être clair :

Élément numéro un : je suis plus fort et plus résistant qu’avant (je laisse volontairement de côté ma passion soudaine pour Fear Factory…) ; il peut s’agir, c’est vrai, d’un effet secondaire de ma fusion avec Ombe. Elle aurait ainsi investi mon essence avec ses propres pouvoirs. Mais quid de la vague de chaleur et de l’étonnante énergie qui m’a débarrassé de mes menottes et de mes agresseurs anormaux ? Nina n’était pas près de moi à ce moment-là, elle n’a donc pu me communiquer sa force. Quant à Ombe, c’est pire : elle ne s’est rendu compte de rien.

Élément numéro deux : les cauchemars qui remontent à la surface et qui ressemblent affreusement à des souvenirs, les souvenirs de moments que je n’ai pourtant jamais vécus ! Dedans, un autre moi danse avec les loups et croque des gladiateurs dans une arène.

Élément numéro trois : Ernest Dryden était membre de la MAD, la Milice antidémon, chargée d’éradiquer les formes démoniaques passées dans notre monde et de terrasser leurs serviteurs. Il a foudroyé Ombe avec un Taser mystique et il a essayé de me tuer, après m’avoir traité de « monstre » et de « mensonge ».

Trois éléments à charge qui offrent au final trois possibilités…

La première : ma mère met dans son thé une substance illicite et je vis depuis quelques mois dans une réalité alternative !

La deuxième : Ombe et moi sommes manipulés par le monde démoniaque, à notre insu et je ne sais pas comment – ni pourquoi ! C’est cette empreinte démoniaque qui affole les compteurs…

Hypothèse un peu tirée par les cheveux, je le reconnais. En effet, les recherches que j’ai (frénétiquement) effectuées – dans le In occulto de Vito Cornélius – confirment l’impossibilité pour un démon d’agir de cette manière : quand il passe dans notre monde, il perd la plupart de ses pouvoirs ; il est condamné soit à garder une forme nébuleuse fort peu discrète (comme celui que j’ai affronté dans le hangar), soit à posséder un homme (comme celui qui a transformé Walter en marionnette). De plus, l’Association dispose pour détecter les démons et leurs artifices de tests poussés, qu’Ombe et moi avons réussis haut la main.

Alors quoi ?

Il reste la troisième possibilité : la vérité est ailleurs.

Le tout est de savoir où.

En attendant, au fond de moi, affleurant parfois la surface, sommeille quelqu’un d’autre. Ou quelque chose d’autre. De terrifiant.

Comme d’habitude, je reprendrai mes réflexions plus tard.

Dans « procrastination » (qui signifie, mot important quand on est au lycée, remettre au lendemain), il y a « pro » et j’en suis un dans le genre.

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