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La douleur qui envahit mon crâne m’empêche de crier de surprise. À la place, je murmure quelques mots en haut-elfique :

– ’afnir… Ma tyë na ? Fafnir… Ma tyë na ? Fafnir… C’est toi ?

Kraaa ! kraaa !

J’imagine que ça veut dire oui.

Le filtre de l’œil de Fafnir n’est plus jaunâtre mais purpurin. Mon ami a perdu son regard d’ambre au profit de pupilles rouges. L’image reste cependant déformée (j’imagine que c’est à cause de sa nature d’oiseau).

Mon fidèle Fafnir – espion un jour, espion toujours – ne m’a pas abandonné !

Ce qui est étonnant, c’est qu’il soit entré en contact avec moi. Je ne lui ai assigné aucune mission. Le retour qu’il est en train d’effectuer résulte de sa seule initiative…

Fafnir décrit des arcs de cercle au-dessus d’un bâtiment que je ne tarde pas à identifier. Les Abattoirs. Un immeuble cubique aux murs épais, flanqué d’improbables tourelles. La zone est sous le contrôle des vampires. Qu’est-ce que Fafnir fabrique là-bas ?

Le corbeau descend en piqué vers la terrasse qui occupe le sommet de l’imposant édifice, où quelqu’un semble l’attendre.

Je sursaute.

C’est Ombe.

La Ombe de la rue Muad’Dib. La voleuse de tee-shirt. La fille déguisée en vampire.

Mon cœur s’emballe.

Elle lève la main et Fafnir se pose dessus dans un grand froissement d’ailes. Il frotte son bec dans le cou de cette Ombe improbable, frémissant de joie.

Il se passe alors un phénomène très étonnant (enfin, encore plus étonnant que ceux qui me tombent dessus depuis dix minutes !).

La fille plonge son regard dans celui du corbeau et articule distinctement :

– Jasper… Viens… J’ai besoin de toi…

Et l’image s’éteint d’un coup, comme un écran qu’on débranche.

« Tout va bien, Jasp ?

– Ça va. C’est juste que… »

Qu’est-ce que je peux dire à Ombe ?

Que Fafnir est devenu l’animal de compagnie d’une fille qui lui ressemble comme deux gouttes d’eau ? Que cette fille m’a contacté par l’intermédiaire de mon sortilège-espion ? Qu’elle veut que je la rejoigne dans le quartier général des vampires ?

Certains mensonges sont nécessaires. Et ils passent d’autant mieux quand ils se cachent derrière des vérités.

« Si Ralk’ dit vrai, Ombe, et si je suis un démon, je ne veux pas mettre Nina, Walter ou mademoiselle Rose en danger. Je dois à tout prix quitter l’immeuble.

– Partir ? Alors que nous sommes en guerre contre la MAD ? C’est de la désertion !

– Appelle ça comme tu veux.

– Et tu comptes aller où… déserteur ?

– Chercher d’autres réponses, Ombe.

– Tu emmènes Ralk’ ?

– Oui. Tu viens avec nous ?

– Ah ah, très drôle. »

Oui, très drôle.

La situation est même hilarante : trois démons (un de chair, un de vent, un de verre) sont en ce moment même sous la protection d’une Association qui a voué son existence à les pourchasser.

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