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Depuis les Abattoirs jusqu’à la rue du Horla, il faut presque une heure en marchant et pas loin de quarante minutes en métro.
C’est pourquoi, une fois quittée la frontière semi-brumeuse pour un monde plus stable, je décide de courir.
Ma besace battant contre la hanche, mon manteau flottant derrière moi dans le vent de la course, je m’abandonne au plaisir des foulées que je déroule sur le trottoir.
J’aspire goulûment l’air froid de la nuit.
Mon cœur s’est mis en mode métronome et ma respiration reste régulière.
Fulgence.
Comment un démon a-t-il pu devenir le grand patron de l’Association, dont la raison d’être est de lutter contre les démons ?
Et pourquoi veut-il m’éliminer si je suis comme lui ?
Cette histoire me dépasse. Elle nous dépasse tous. Elle abrite un secret. Une conspiration dont je ne saisis ni les tenants ni les aboutissants.
Mais l’essentiel, c’est que ma nature démoniaque ne m’interdise pas de choisir mon camp. C’est l’Association que je sers. Je sais qui je dois combattre – et protéger.
Ma course se nimbe de rouge.
Loin de m’épuiser, l’effort m’électrise.
Des images naissent sous mon crâne. Des lambeaux de rêves.
Non, pas de rêves, de souvenirs.
Les souvenirs d’une existence que je n’ai jamais vécue.
Je laisse derrière moi des empreintes profondes.
Ces images ne m’effrayent plus.
Peut-on être entier en refusant une part de soi ?
« Accepte-toi toi-même et deviens celui que tu veux », écrivait ce cher Saint-Langers.
Les rares passants que je croise se meuvent au ralenti.
Mes sens sont exacerbés.
Je devine avant de voir, j’entends sans avoir à écouter ; mille odeurs se bousculent dans mes narines.
Nacelnik va-t-il s’en sortir contre les vampires ? Je l’espère. Pourtant, je ressens une sorte d’indifférence.
Chacun doit accomplir son destin.
Le mien n’est plus derrière, il est devant.