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Mademoiselle Rose nous attend dans l’encadrement de la porte.

Est-ce la tenue de Walkyrie qu’elle arbore de nouveau ou son expression contrariée ? J’ai l’impression d’être de retour dans les sous-sols de l’hôtel Héliott.

– On a fait… aussi vite… qu’on a pu, halète Walter au bord de l’apoplexie.

Jules, réapparu miraculeusement quelques secondes avant notre départ de l’île, marque un temps de stupeur en découvrant l’armure étincelante et l’énorme flingue de la secrétaire de l’Association.

Moi, je joue les blasés.

J’ai vu mademoiselle Rose se battre, cribler de balles des lycans, trancher des bras avec un sabre de ninja, fracasser des crânes à l’aide d’un bâton de pouvoir et jouer les juges Dredd, euh, raides.

Nina (qui n’ignore rien, depuis un certain soir, de la vie en Rose) tente de réguler son souffle. C’est vrai que Walter nous a un peu bousculés, pressé qu’il était de nous mettre à l’abri !

La première partie du trajet s’est déroulée sans anicroche. Pendant qu’une partie des trolls faisait diversion en attaquant les Miliciens, l’autre partie nous a conduits au lieu de rendez-vous par des chemins de traverse. Mon seul regret, c’est d’avoir manqué Jean-Lu et Arglaë, partis sous je ne sais quel arbre à la fin du concert…

Mon ami sera en sécurité chez les trolls. Je ne crois pas une seconde que la MAD s’intéresse à lui ; j’ai bluffé auprès de mademoiselle Rose. Les seuls soucis qui l’attendent sont liés à Arglaë... et Erglug !

Walter nous attendait, cravate au vent, avec neuf mercenaires en tenue discrète. Au lieu de prendre des taxis et de foncer jusqu’ici, il nous a obligés à prendre le métro. Il paraît qu’il est plus facile d’attaquer des véhicules isolés que des voitures de transport en commun ! Nous avons ensuite marché à vive allure le long d’avenues très fréquentées. Bref, l’essentiel, c’est que nous soyons arrivés à bon port.

Contrairement aux autres, je ne ressens pas les affres de la course. Quoi que je sois désormais, envoûté, cloné, possédé, cyborgué, fils d’extraterrestres (oui, j’ai échafaudé toutes les hypothèses depuis ce jour où j’ai compris que je n’étais pas celui que je croyais), la fatigue semble m’avoir définitivement oublié.

Mademoiselle Rose nous fait entrer et ferme la porte à double sort.

– C’est une… vraie ? s’exclame Jules en touchant la cotte de mailles.

Je comprends qu’il soit fasciné. Mademoiselle Rose est sublime avec son élégant haubert et ses gantelets étincelants.

– Vous ne croyez pas, Rose, qu’il faudrait les équiper eux aussi ? propose Walter en lui adressant un clin d’œil discret.

Une armure ? Merci bien ! Je n’ai pas l’âme d’une sardine !

Par contre, j’accepterais volontiers les armes qui vont avec : sabre en alliage rare, pistolet à balles d’argent, bâton-foudre…

– Je ne suis pas sûre qu’un tel… équipement soit utile à notre niveau de compétence, conteste diplomatiquement Jules.

– Rassurez-vous, nous dit mademoiselle Rose. Il n’est pas question que vous vous battiez. Vous êtes ici à l’abri.

– Vous êtes sûre ? demande encore le jeune stagiaire, mal remis, semble-t-il, de son séjour chez les trolls.

– L’immeuble est protégé par une solide toile mystique, rappelle mademoiselle Rose.

– Nous avons encore beaucoup de travail, Rose et moi, pour sécuriser la zone. Ne restez pas dans nos pattes, grommelle Walter.

Je lève un doigt timide.

– Rose, si c’était possible…

Le sourcil relevé de mademoiselle Rose m’invite à poursuivre.

– Est-ce que je peux récupérer ma sacoche ? Vous l’avez mise à l’abri après… l’accident.

Un voile de tristesse assombrit son visage.

– Elle est dans mon bureau, contre l’armoire. Avec tes autres affaires.

– Merci, je réponds en quittant la pièce.

Mes affaires sont bien là, posées contre le meuble.

Ma veste noire en toile huilée a morflé. Les dégâts causés par la chute à moto sont plus grands que le coup de griffe du lycan sur mon manteau ! Je décide de ne prendre que la sacoche, simplement râpée par la longue glissade sur le bitume.

Mon herbier est intact, en compagnie de quelques Livres des Ombres, de mes boîtes de poudres et mes sachets, de mon petit chaudron et mon brasero, de mes bougies, de mon athamé ; sans oublier deux trois bricoles sans importance.

Je suis ému, tandis que je procède à l’inventaire. C’est ma fidèle sacoche, bon sang ! L’autre, la besace militaire détruite par le loup-garou, n’était qu’un ersatz, une remplaçante. Et puis, sentir le poids d’une musette à l’épaule, son balancement contre ma hanche, me manquait terriblement.

– Jasper ?

Je me tourne vers la porte du bureau.

Nina est là, hésitante.

Je lis dans ses yeux une détresse qui me renverse le cœur.

– Je voudrais te parler, continue-t-elle, la voix tremblante.

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