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Le bruit d’une fusillade éclate dans les haut-parleurs. Je me précipite vers l’écran de contrôle.

– Ils tirent contre quoi ? je m’étonne en voyant les hommes de la MAD vider des chargeurs contre un conteneur à déchets, de l’autre côté de la rue.

– Les Agents auxiliaires, répond mademoiselle Rose. Je les ai déployés autour de l’immeuble.

– La police va débarquer dans la minute, avec ce vacarme ! je m’exclame.

– Non, Jasper. Il y a vraiment des mages dans la Milice. L’un d’eux a pris soin d’isoler le périmètre. Regarde : le rideau d’illusion n’est pas encore très stable ; on distingue des zones floues en arrière-plan.

– Jules est dehors ! annonce Walter en réapparaissant.

Mademoiselle Rose pianote sur l’ordinateur relié à la caméra.

– Il émet déjà, annonce-t-elle.

À travers les yeux de notre camarade, l’échange de tirs devient plus réel, plus violent. Jules bouge, s’aplatit au sol, se redresse. C’est un véritable film d’action auquel il nous convie.

– Mademoiselle Rose ?

Sa voix sort des haut-parleurs, rauque et étouffée. Il a oublié que personne ne peut lui répondre.

– Ça barde, ici ! Nos Agents se font amocher !

– Évidemment, gronde Walter. Ils sont neuf contre plusieurs dizaines en face !

Jules, qui n’entend rien, continue son rapport :

– Je vois Fulgence ! Il se tient au milieu de la rue. Il y a cinq types avec lui, habillés bizarrement.

La caméra du stagiaire zoome sur les personnages en question.

– C’est bien Fulgence, confirme mademoiselle Rose. En compagnie de cinq mages.

« Qu’est-ce qu’ils font, Jasp ?

– Ils rassemblent des énergies.

– Et ?

– Ça risque de chauffer ! »

L’aura qui les entoure se transforme en brume épaisse. Les sorciers psalmodient une incantation, cachés sous leur cape. Cette magie-là n’est pas bonne.

Ah ! c’est vrai. J’ai dit que la magie n’était ni bonne ni mauvaise et qu’il n’existait que des bonnes ou des mauvaises intentions…

Alors, dans ce cas, leurs intentions à tous les cinq sont abjectes !

Sous l’œil tremblotant de la caméra de Jules, d’épaisses vrilles noires jaillissent de la brume et fondent sur l’immeuble.

– Une attaque mystique ! hurle mademoiselle Rose en se précipitant vers la porte, après avoir récupéré son bâton de pouvoir posé contre le mur.

Un coup de boutoir fait trembler l’immeuble.

La secrétaire colle le bâton-foudre contre le chambranle et murmure les premiers mots d’un contre-sortilège. Lorsque les quatre autres vrilles frappent à leur tour, la porte a retrouvé sa solidité.

– Ils sont beaucoup plus forts que je ne le pensais, murmure mademoiselle Rose avec un soupçon d’admiration dans la voix. Comment ai-je pu sous-estimer Fulgence à ce point ? Walter, venez m’aider !

Notre chef-très-chef s’exécute sans discuter. Il la rejoint et agrippe le bâton. Son quenya, parfait (moi qui l’écorche à chaque phrase…), s’enchevêtre à celui de mademoiselle Rose.

– Jasper ! commande l’ancienne secrétaire sans même tourner la tête. Nous avons besoin d’un second bâton de pouvoir ! Il y en a un autre à l’étage ! Il est moins puissant mais il fera l’affaire !

J’en reste comme deux ronds de flan.

– À l’étage ? je hasarde. Chez les gens du Club philatéliste ?

– Il n’y a pas de philatélistes dans l’immeuble, c’est une couverture… Bon, tu vas le chercher ou on attend que la Milice y aille ?

– Comment… Comment on fait ? je demande.

– L’ascenseur. Tu donnes sur le bouton de l’armurerie un coup bref, un coup long, un coup bref, trois coups longs, quatre coups brefs. Idem pour revenir. Le bâton de rechange est posé sur la table du salon. Ne traîne pas en route !

– Compris ! je réponds en me précipitant au bout du couloir.

Le troisième étage est à nous ? J’ai de la peine à le croire ! Les secrets de l’Association se dévoilent les uns après les autres.

J’ouvre un placard contenant un balai couvert de poussière et un seau métallique. Je tire sur l’anse jusqu’à entendre le clic déclenchant le mécanisme. Un instant plus tard, accompagnée de nombreux grincements, une minuscule cabine d’ascenseur apparaît, poussant vers le haut le balai et le seau.

Je prends place dans la cabine étroite et je fixe intensément le bouton orné d’un -2 qui conduit à l’armurerie.

Le souvenir du Sphinx se fraye un chemin à travers ma mémoire, en train de caresser un papillon et de me proposer du matériel improbable pour l’une de mes missions…

Mais mademoiselle Rose est pressée.

Je compose le code.

L’ascenseur hésite, grince méchamment puis décide de s’ébranler, empruntant un passage dans l’épaisseur du mur.

La cabine achève sa course quelques mètres plus haut. La porte coulisse et je débouche dans le hall d’un appartement meublé avec goût.

« C’est une femme qui habite là.

– Une femme ? Tu en es sûre, Ombe ?

– Certaine. Je penche même pour mademoiselle Rose.

– Mademoiselle Rose ?! Tu es folle !

– Réfléchis : tu ne t’es jamais dit qu’elle vivait sûrement dans son bureau ? Toujours là, à n’importe quelle heure du jour et de la nuit.

– Bon sang, c’est vrai ! Tu as raison !

– J’ai toujours raison, Jasper. »

Pas le temps de m’étonner. Ni de faire du tourisme : je n’ai pas la moindre intention de m’immiscer dans son intimité ! Découvrir que mademoiselle Rose possède une vie privée est très déstabilisant…

Sur un meuble laqué, dans le couloir menant au salon, j’aperçois le petit tambour de métal rouge d’Otchi. Ainsi, mademoiselle Rose l’a récupéré dans la grotte, après que le chamane a été emporté par les griffes ténébreuses.

Pauvre petit homme, si fort et si courageux…

Sans réfléchir, j’attrape l’instrument qui servait à invoquer les esprits et je le fourre dans la poche de mon manteau, à côté des Rouleaux de Sang du chamane.

« Arsène Lupin n’a qu’à bien se tenir !

– Il va prendre la poussière si on le laisse ici…

– D’abord ma gourmette, ensuite le tam-tam d’Otchi, sans compter les bijoux de ta mère : tu tournes mal, petit frère. »

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