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« Je croyais que tu voulais quitter l’immeuble.

– C’est bien mon intention, Ombe.

– Pourquoi tu ne sors pas par la porte de l’appartement ?

– Je dois d’abord apporter son bâton à mademoiselle Rose, elle en a besoin.

– Tu es fou.

– Je sais. »

L’ascenseur n’a pas bougé. Je me glisse à l’intérieur et compose le code (morse) sur le bouton de l’armurerie : point-trait-point, trait-trait-trait, point-point-point-point. Ce qui donne « Rose ».

Évidemment.

La cabine s’ébranle et descend jusqu’à l’étage des bureaux.

J’ouvre la porte et lance le bâton-foudre de secours loin dans le couloir. Ils ne tarderont pas à le trouver. Je ne peux pas faire plus, ce serait trop risqué.

Je referme la porte, prêt à actionner le bouton pour remonter.

– Maître ?

La voix du démon surgit de ma sacoche, étouffée.

– Nous sommes dans l’ascenseur, Maître ?

– Oui, Ralk’. Pourquoi ?

– Si vous voulez vous enfuir, il existe un passage secret, dans l’armurerie, qui conduit à l’air libre.

« Comment il sait ça, lui ? »

– Oui, comment tu sais ça, toi ?

– C’est par là que je suis entré. La sorcière m’a intercepté alors que je m’apprêtais à gagner les étages.

Je ne perds pas de temps à réfléchir. J’appuie sur le bouton -2, sans composer de code. La cabine oscille à nouveau et s’enfonce dans les profondeurs du bâtiment.

« Tu n’as pas peur que Ralk’ te conduise à un piège ?

– Il est aussi pressé que nous de quitter cet endroit. Ne t’inquiète pas, il est de notre côté. Pour l’instant en tout cas. »

Je dis pour l’instant parce que en matière d’avenir, j’ai compris que rien, mais alors rien n’était acquis, sinon la certitude de voir ses certitudes bouleversées.

La cabine stoppe sa course dans un bruit inquiétant. Mais si tout va bien (ou si tout va mal), je n’aurai plus à l’utiliser.

Je bataille pour ouvrir la porte et me retrouve dans un des lieux les plus bizarres au monde (je ne compte pas le château virtuel de Siyah qui, de toute manière, est parti en poussière) : l’armurerie de l’Association.

Une faible lumière éclaire de vastes caves voûtées, des rangées d’étagères surchargées et des placards pleins à craquer, le long d’allées biscornues. On dirait que les grimoires, les potions, les ingrédients dégoûtants s’entassent là depuis des siècles. Si j’avais du temps devant moi (et une grande brouette au lieu de cette sacoche déjà remplie), je pillerais allégrement les rayonnages.

Je repère un peu plus loin le bureau du Sphinx, encombré de vieux papiers et d’alambics.

Romu…

Pourquoi as-tu fait ça ? Et qui es-tu vraiment ?

Dire que j’ai passé tant de bons moments avec un imposteur, un mage dangereux caché sous les traits d’un paisible lycéen, capable d’assassiner un homme de sang-froid et de faire porter le chapeau à son meilleur ami…

– L’entrée du passage se trouve au fond de l’allée qui sent le millepertuis, dit Ralk’ en m’arrachant à mes sombres pensées. Ça serait plus facile pour moi de vous aider si vous me sortiez de ce miroir, Maître !

« Je te l’avais bien dit !

– Ça ne prouve rien, Ombe. De toute façon, je vais le laisser où il est. »

Les plantes, c’est l’allée B.

Je me rends d’un pas alerte de l’autre côté de la salle.

– Derrière le coffre, Maître, continue Ralk’.

Je m’arc-boute et déplace en ahanant le gigantesque coffre métallique bourré de flacons vides. Caché derrière, en effet, commence un tunnel dans lequel on ne peut progresser qu’à quatre pattes.

– Difficile à bouger, ce truc, je grogne. C’est grippé.

– Il existe un mécanisme, Maître… Un bouton sur lequel il suffit d’appuyer.

Un bouton. Pas le temps de chercher. Je m’engouffre dans l’issue de secours creusée dans la roche.

– C’est plein de toiles d’araignées, je proteste. On ne doit pas l’utiliser souvent !

– Personne ne connaît ce passage, Maître.

– Personne ? Même pas le Sphinx ?

– Avant d’abriter l’Association, Maître, cet immeuble était utilisé pour la contrebande d’absinthe.

– Tu as réponse à tout, Ralk’ !

– J’avais préparé sérieusement mon infiltration, Maître.

Tiens, même un démon se vexe. Je change de sujet :

– Où va-t-on déboucher, Ralk’ ? Je n’aimerais pas tomber nez à nez avec un gros bras de la MAD !

– La MAD ! Beurk ! Maudite ! Ne craignez rien, Maître. Le passage nous conduira loin d’ici.

Rassuré, je jette un dernier regard en arrière puis m’enfonce résolument dans la galerie.

« La lumière que tu aperçois au bout d’un tunnel, petit, signifie dans tous les cas la fin de ton calvaire. »

Merci, Gaston Saint-Langers, de me remonter le moral.

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