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– Maman ? Tu es là ?

Pas de réponse. Je ferme derrière moi la porte de l’appartement sur laquelle j’ai renouvelé le sort de protection qui a récemment prouvé son efficacité. Trois Agents auxiliaires au tapis, ce n’est pas rien (et ça explique, maintenant que j’y pense, la tronche qu’ils me tiraient à l’enterrement du Sphinx…).

Je parcours en trombe les quelques mètres qui me séparent de la cuisine.

J’ouvre le réfrigérateur, prends le premier truc qui me tombe sous la main et le grignote du bout des dents. Est-ce que ma mère m’a dit où elle partait aujourd’hui ? Peut-être. Le problème, c’est que je ne l’ai pas écoutée.

Pas de lettre sur la table, j’en déduis qu’elle ne s’est absentée que momentanément. Comme moi (là-dessus, comme sur beaucoup d’autres points, Ombe a raison) lorsque je suis parti, pendant deux jours, dans la vastitude – pour employer un terme royal – de mon crâne, afin de mettre un peu d’ordre dans le champ de ruines d’un moi sans toit ; un moi qui se ramasse de plein fouet l’ouragan de questions sans réponses…

Dans ma chambre, l’odeur de Nina a disparu, remplacée par des relents de vieille chaussette. A-t-elle seulement dormi dans mon lit, sur mon épaule ? Mes souvenirs eux-mêmes ne sont plus fiables… Pourtant oui, elle était là, la veille de mon incursion dans les tréfonds de l’hôtel Héliott. Elle m’a murmuré, avant de m’embrasser, que j’étais un héros et j’ai été à deux doigts de la croire.

Je défais mon manteau et l’abandonne sur le dossier d’une chaise.

« Ombe ?

– Oui.

– Je t’ai déjà emmenée dans mon labo ?

– Jamais. »

Je sors une clé de ma poche, déverrouille la porte du laboratoire. La pièce baigne dans une pénombre qui m’apaise aussitôt. D’épais rideaux cachent la lumière du jour.

J’allume une bougie sur un chandelier en fer forgé.

« Ça fout les jetons, cet endroit.

– Ce n’est qu’un labo de sorcier. Si tu savais, Ombe, combien d’heures j’ai passées dans cet endroit, à manipuler les éléments, à buter sur la grammaire elfique, à tenter d’hasardeuses combinaisons runiques, à râler devant mes échecs, à m’émerveiller de mes réussites… »

Seul (encore et toujours).

« Je comprends, Jasp. C’est l’équivalent de la salle d’armes pour moi.

– C’est là que j’ai inventé le charme du soleil en boîte qui m’a permis d’échapper la première fois à Séverin. Que j’ai transformé mon téléphone portable en GPS pour te retrouver – avant de tomber sur Erglug dans l’entrepôt ! »

Me voilà en pleine nostalgie.

Je secoue la tête. Il est grand temps de s’occuper de ce pauvre Fafnir, qui agonise silencieusement, prisonnier de la gourmette d’Ombe. Je ne comprends pas pourquoi il réagit de cette façon. Est-ce que c’est à cause de l’argent ? Peu importe : pour le sauver, je dois lui offrir un nouveau support. Et je l’ai trouvé !

« Jasp ?

– Ouais ?

– Merci de partager tout ça avec moi.

– Pas de quoi. »

On partage des trucs intimes avec sa sœur, non ?

Je n’en ai pas l’habitude, mais je crois que ça se fait.

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