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Manifestement, Fulgence-Lokr’ a décidé de passer à la vitesse supérieure. Il incante à toute vitesse. Le Parler Noir coule de sa bouche, fluide et naturel. Et moi je le regarde comme un idiot, admiratif, au lieu de construire un pentacle pour me mettre à l’abri !

Pareilles à des champignons vénéneux, des volutes noirâtres naissent bientôt du sol. Après quelques hésitations, elles adoptent la forme approximative de crabes, de la taille d’une assiette. Une vingtaine d’abominations surgies de nulle part frétillent bientôt au pied de leur maître.

La voix de Fulgence tonne à mes oreilles :

– Mon fils adore mes crabes fantômes. Il en a même fait une chanson, je crois ! Pour le venger, je t’offre de les rencontrer en vrai !

Les Crabes fantômes, en effet, c’est une chanson que Romu a composée pour Alamanyar. L’autre Romu, celui que j’appréciais, le garçon doux et attentionné, celui qui écrivait : « Les libellules s’aiment dans les nénuphars languides ». Et non le psychopathe que j’ai dû affronter, celui de : « Les crabes fantômes déambulent au milieu des barbares translucides. »

– Allez mes jolis, susurre Fulgence. Taillez-le en pièces !

La meute des crabes se rue sur moi, dans un grand bruit de pinces qui claquent.

« Beurk ! Répugnant. »

Heureusement, je n’ai pas oublié ce que Ralk’ m’a dit au sujet des démons et de leurs peurs.

Je plonge la main à l’intérieur de ma sacoche et fouille jusqu’à tomber sur un flacon moucheté contenant mon huile de millepertuis.

Je la débouche et répands l’huile autour de moi dans un cercle parfait, en prononçant quelques mots elfiques :

– ’a araucor etementëa, a tapa ulundor ! Ya araucor etementëa, a tapa ulundor ! Millepertuis, bloque les créatures hideuses !

La marée ténébreuse et cliquetante se brise contre ma protection.

Fulgence n’apprécie pas du tout ma réaction.

D’autant qu’il doit très vite tracer un pentacle démonique autour de lui pour se protéger des crabes fantômes surexcités.

Nous voilà à quelques mètres l’un de l’autre, séparés par un grouillement ténébreux.

Je ne ressens aucune envie de plaisanter et Fulgence-Lokr’ retient ses insultes. Les mots sont devenus inutiles. Le silence qui nous environne, perturbé çà et là par des cliquetis furieux, acquiert une densité extraordinaire.

Mon ennemi me jette des regards de pure haine que je soutiens sans broncher. Je sens chez lui un grand pouvoir, attisé par une colère brûlante. Je préfère ne pas imaginer sa puissance avant qu’il franchisse la Barrière !

Au-dessus de ma tête, le ciel reste vide de tout Fafnir. Mon sortilège préféré ne réitérera pas l’exploit des sous-sols de l’hôtel contre le monstrueux lycan.

Celui qui a pris sa place à mes côtés est un démon mineur, qui tremble au fond de ma sacoche.

Je suis (encore et toujours) seul.

Je me tourne vers le champ de force, vers mes amis.

Nina pleure et tambourine contre la paroi. Walter me regarde d’un air désolé et mademoiselle Rose a du mal à contenir sa fureur.

Ma seule consolation, c’est qu’ils n’ont rien entendu des confidences de Fulgence. À leurs yeux, je ne serai jamais un démon, mais ce que j’ai toujours voulu devenir : un Agent de l’Association, bientôt mort en faisant son devoir.

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