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Analyse rapide de la situation : deux trolls – un mâle bedonnant et une femme aux seins tombants couverts de longs poils – viennent de nous surprendre en train de pénétrer sur leur territoire. Ils sont monstrueux. Et je ne les connais pas. Enfin si, de vue. Je crois.

Pour être franc, rien ne ressemble davantage à un troll qu’un autre troll !

Ils n’ont pas l’air en colère. J’ai du mal, cependant, à déchiffrer le sourire qui s’étale sur leur visage réjoui… Gourmand ? Taquin ?

Je m’avance vers eux tandis que, dans un mouvement inverse parfait, Nina, Jules et Jean-Lu battent en retraite.

Quand j’ai appelé Jean-Lu, hier soir, pour lui proposer cette escapade, il était dubitatif au sujet des trolls. Je crois qu’il imaginait plutôt un truc du genre communauté hippie vivant à la sauvage. Au début, il n’était pas très partant – c’est le moins qu’on puisse dire – pour troquer le confort de sa chambre contre la rudesse d’un séjour hivernal en pleine nature. Il a fallu que je lui mente (un peu) en lui racontant que celui qui l’avait démoli (beaucoup) le recherchait (passionnément), et qu’il valait mieux se mettre au vert un moment (Au verre ? Non, Jean-Lu : au vert…).

Je lui ai promis que Nina serait de l’aventure et il a été rassuré en la voyant ce matin, place Daniel – il n’a émis aucun commentaire sur Jules.

Donc, contrairement à mes camarades stagiaires qui, même s’ils n’en ont jamais croisé, n’ignorent rien des trolls, c’est un vrai choc pour Jean-Lu d’en découvrir deux pour de vrai !

– Bonjour ! je commence en levant les mains en signe de paix. Une grande joie illumine mon cœur, frère et sœur trolls ! Tandis que, partis à l’aurore, nous nous dirigions d’un pas alerte vers le splendide sanctuaire qui…

– Stop ! proteste le troll en levant les yeux au ciel. On sait pourquoi vous êtes ici. L’Association nous a contactés. Inutile de te lancer dans un soliloque interminable !

« Effectivement, ils te connaissent !

– Ferme-la, Ombe. »

– Il y en a une qui t’attend avec impatience, Jasper, poursuit la trolle avec un clin d’œil.

– Ah oui ? je réponds en me raclant la gorge, devinant parfaitement de qui il s’agit (ou elle s’agite, en l’occurrence).

– En route, annonce le troll ventru à mon grand – et lâche – soulagement. On ne va pas prendre racine ici alors que de la viande est en train de griller dans la clairière !

– De la viande ? s’inquiète Jules tandis que nos hôtes nous invitent à les suivre.

– Des intrus qui n’ont pas eu la chance d’être recommandés par l’Association, je précise avec un soupir appuyé (la frousse récurrente de mon camarade stagiaire me donne envie d’en rajouter).

– C’est qui, cette personne qui t’attend impatiemment ? me demande Nina en écartant les feuillages chargés de rosée.

– C’est sûrement Arglaë, je fais, en essayant de prendre l’air dégagé. La sœur d’Erglug. Une fille plutôt sympa…

J’écope d’un regard noir.

– Je ne t’en ai jamais parlé ?

– Jamais.

Voix glaciale.

Ça va être chaud !

– Jasp ?

C’est au tour de Jean-Lu.

– Ce sont… des trolls, ces… ces gens énormes et poilus ?

– Assurément, ce ne sont pas des danseuses de ballet, je m’énerve devant tant d’évidence.

– Alors… ils existent en vrai ?

– Je te l’ai dit !

– Je croyais que…

– Je t’ai dit aussi – mettant ainsi les points sur les i une bonne fois pour toutes – que le monstre qui t’a démonté à l’hôtel Héliott est un loup-garou. Est-ce qu’il faut que je t’en montre un autre pour que tu te décides à me croire ?

– Non, je… Ça ira, termine-t-il, vaincu.

Je suis dur, peut-être, mais certaines révélations sont mieux acceptées quand elles sont brutales.

De plus, il faut que je garde ma diplomatie – et ma patience – pour gérer la rencontre de Nina avec Arglaë.

Enfin, le point positif, c’est que nous sommes à présent en sécurité. J’ai eu, pendant le trajet jusqu’au bois, le sentiment désagréable d’être suivi. Paranoïa ? Peut-être. Mais je plains le Milicien inconscient qui déciderait de poser, sans y être invité, le pied sur cette île !

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