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C’est l’aube et personne ne manque à l’appel.
Nina dans un manteau trop grand pour elle,
mais bien chaud.
Jules sac sur le dos,
le visage blême.
Jean-Lu égal à lui-même,
un étrange bonnet à pompon sur les tifs.
Il charrie sa guitare et un ampli portatif,
en plus de ses affaires.
Moi, j’ai ma besace militaire
(j’ai oublié de récupérer l’autre rue du Horla),
mon manteau de gala
et ma cornemuse
(c’est toujours moins lourd qu’une arquebuse…).
Les instruments,
À cordes et à vent,
c’était la condition de Jean-Lu pour venir :
je me suis laissé fléchir.
Dans les temps de malheur,
la musique n’adoucit-elle pas les mœurs ?
– Vous êtes prêts à me suivre ?
je demande à l’assemblée.
– Il faut bien survivre…,
répond Jules accablé.
Je donne le signal du départ
à notre bande de fuyards.
Nina se serre contre moi,
provoquant mon émoi.
Comment les trolls réagiront
face à cette intrusion ?
J’ai beau être leur frère,
je sais ce qu’ils préfèrent : être seuls entre eux.
Et ils peuvent être teigneux !
Qu’est-ce que Hiéronymus a dit ?
Ah oui :
« Un troll veau meuh que deux tue-l’aura »…
Comprenne qui pourra.
– C’est loin ?
– Une heure au moins,
je réponds pour abréger
à Jean-Lu qui regrette déjà de s’être chargé.
Jean-Lu me fait la tête.
Je lui ai pourtant fait la fête !
M’en veut-il de ne pas avoir pris de ses nouvelles
ou bien est-ce une colère naturelle,
au souvenir du garou brutal
qui l’a envoyé à l’hôpital ?
J’espère qu’il va s’adoucir,
sinon ce ne sera pas une partie de plaisir !
Je regrette déjà de l’avoir emmené avec nous.
Je ne suis pas sa nounou !
– Ça va, Jasper ?
Nina et ses yeux verts…
– On va à l’aveuglette.
– Ça t’inquiète ?
Les trolls ne sont-ils pas tes amis ?
– C’est un fait admis…
– Et puis mademoiselle Rose a l’air de penser
qu’on sera là-bas en sécurité.
Nina a raison,
je me fais trop de mouron.
Métro puis RER
dedans et sur la terre.
La gare de Vincennes :
bienvenue dans l’arène !
– Et maintenant ?
– En avant !
Je sais à présent ce qu’éprouvait Gandalf le Gris
menant par des chemins rabougris
dans le petit matin
la communauté de l’Anneau vers son destin…
Jules s’arrête net devant le lac glacé
et demande d’une voix angoissée :
– On traverse comment ?
– Par un embarquement !
je déclame péremptoire.
Au-delà des eaux noires
c’est l’Île-aux-Oiseaux.
Je m’avance et fouille les roseaux.
Bingo ! aurait pu dire la mère Deglu
à une époque révolue…
L’embarcation et la paire de rames
sont l’acte premier du mélodrame.
– Jean-Lu et Jules avec moi !
Nina dans le prochain convoi,
j’annonce à ma mie.
Ainsi fut fait comme il fut dit
et l’eau montant à ras des planches,
ramant sans heurt dans l’aube blanche,
je dépose mes compagnons sur l’autre rive.
– J’arrive !
je rassure Nina en rebroussant chemin.
Tiens, donne-moi la main !
Un tour en barque avec une fille
vaut bien quelques coups de godille !
Malheureusement l’heure n’est pas romantique,
elle serait plutôt apocalyptique…
Obligés pour une erreur de protocole
de chercher refuge auprès des trolls…
Contraints par un homme nommé Fulgence
à venir tenter sa chance
parmi les Anormaux…
Je cherche mes mots,
tandis que nous touchons terre.
À en croire Walter,
c’était partir
ou bien mourir.
Ombe et le Sphinx
– s’ils avaient encore un larynx –
pourraient en témoigner :
les hommes de Fulgence ne nous auraient pas épargnés…
– Jasper ?
Bonne mère…
Je reconnais cette voix terrifiée.
Pas besoin de vérifier,
c’est Jules le délicat !
– Salut les gars !
Ça c’est pas Jules.
Ni une libellule.
Devant nous surgissant des fourrés,
deux trolls gigantesques semblent se marrer…
« Jasper…
– Oui ma chère ?
– Mademoiselle Rose a dit « se mettre au vert », pas « se mettre aux vers » !
– Ah bon, tu es sûre ?
– Jasper…
– D’accord, d’accord, j’arrête ! »