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Ma nature démoniaque supporte très bien la proximité de la magie chamanique. Ce qui confirme que je ne suis pas un démon ordinaire. Ralk’ a dit que j’étais un Maître démon et même un… comment déjà ? Ah oui, Ghâsh-Durbûl. Membre de la famille royale. Les Ghâsh-Durbûl ont peut-être des pouvoirs que les autres démons n’ont pas ?

Je mesure tout à coup l’étendue de mon ignorance sur les sujets démoniaques.

Je prends dans ma poche le petit tambour d’Otchi, récupéré (pas de commentaire, merci !) dans l’appartement de mademoiselle Rose. Le fameux tambour de métal rouge, tendu de peau humaine (là, c’est moi qui en rajoute), qui a assommé trois Agents auxiliaires, repoussé les assauts d’une entité démoniaque et permis la libération de Walter.

Des runes sont finement ciselées sur le pourtour, presque invisibles à l’œil nu.

– Maître…, gémit Ralk’. Il ne faut pas ! Vous allez attirer sur nous la colère des esprits ! Les démons ne jouent pas avec ce genre d’objets !

– Je joue avec ce qui m’amuse, Ralk’. Surtout ce qui peut tirer mes amis d’un mauvais pas.

Ralk’ n’ajoute rien mais il se retire à l’autre bout du miroir. Trouillard !

J’empoigne l’instrument, m’assois en tailleur et tapote dessus timidement (d’abord parce que je n’ai aucune idée de la façon dont on en joue, ensuite pour ne pas attirer l’attention des démons dans le cratère).

Puis mes doigts s’affermissent sur la peau du tambour.

Je ferme les yeux, essaye de me rappeler la façon dont Otchi jouait, me pénètre du rythme régulier. Le chamane accompagnait les percussions d’une mélopée inaudible. Je décide de l’imiter, avec mes propres mots :

– Fairi herulya lira len… Fairi, herulya lira len… Esprits errants, votre maître chante pour vous… A tu lal curuvarnna man tyala lindalë… A tulal curuvarnna man tyala lindalë… Venez vers le musicien qui joue la musique…

J’ai pris soin, cette fois-ci, de m’exprimer en quenya. J’imagine que cette langue effraye moins les esprits chamaniques que le parler démoniaque.

Je ne tarde pas à en avoir confirmation.

Je sens bientôt autour de moi des présences curieuses et fébriles.

– Maître, oh, maître ! Les esprits-serpents ont répondu à votre appel ! Maintenant, ils vont nous attaquer !

J’ouvre les yeux.

Une dizaine de filaments brumeux se tordent dans les airs et sur le sol, dardant sur moi des regards inexpressifs, d’un noir de jais.

Contrairement à Ralk’, je ne crois pas que ces esprits aient de mauvaises intentions. Ils ont simplement reconnu le son d’un tambour de chamane, et mes paroles elfiques les ont intrigués. Maintenant, ils sont désemparés parce que ce n’est pas un oyun qui se tient devant eux.

Je dois agir avant qu’ils décident de s’évaporer. Obéissant tant bien que mal aux instructions du parchemin, je commence à danser au milieu des esprits-serpents.

Les rares fois où j’ai réussi à intéresser des filles, je les ai définitivement perdues lorsqu’il a fallu se déhancher sur de la musique…

« La classe, Jasp.

– Moque-toi ! En attendant, ils aiment ça ! »

Tant pis si Ombe ironise. Je me sens bien dans mes gesticulations.

En virevoltant, j’entonne à voix basse les paroles d’une chanson :

« Je suis le chevaucheur, le voleur de nuage, je danse sur la lande comme le faucon en voyage… »

Les esprits dansent autour de moi, s’enroulent autour de ma taille, glissent le long de mes bras, caressent mes mains. C’est génial !

Je suis prêt pour la troisième phase : lancer les esprits contre mes ennemis.

« Bonne chance, le danseur fou.

– Ah, ah ! Merci quand même. »

Quand Ombe est d’humeur taquine et que Ralk’ fait le mort dans ma sacoche, ça signifie que ça va chauffer… Je quitte l’abri du mur, me dévoilant aux yeux de mes amis – et de mes ennemis.

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