3
– Jeune homme ! Un instant !
Je me retourne. Fulgence me toise de toute sa hauteur.
J’ai beau être grand pour mon âge, j’ai le sentiment d’être un nain. Ses sbires le serrent de près, comme si j’allais l’attaquer. En réalité, je n’ai qu’une seule envie : mettre de la distance entre lui et moi.
« Fais gaffe, Jasp. Je le sens pas, ce type.
– Moi non plus, rassure-toi. »
– Vos cerbères, je dis en désignant du menton Dryden 2 et Dryden 3, ils vont essayer de me griller ?
– Personne ne va griller personne, répond Fulgence d’une voix étrangement douce. Enfin, c’est une façon de parler.
Il se met à rire et son rire fait froid dans le dos.
– Qu’est-ce que vous voulez, alors ?
Il me décoche un regard acéré.
– Je suis le responsable de l’Association. J’exige un peu de respect. Tu es… Agent stagiaire, c’est ça ? Le degré zéro sur l’échelle de Walter !
De nouveau, ce rire insupportable.
Ce type est taré, ma parole ! En plus, ses jeux de mots (je suis un connaisseur) sont franchement nases.
En comparaison – abstraction faite de leur paternalisme exacerbé – mademoiselle Rose et Walter semblent soudain adorables et attentionnés…
– Le respect, ça se mérite, monsieur, je réponds en conservant mon calme.
« Bravo, Jasper ! Ça c’est envoyé ! Tu es un bon petit frère. »
Blêmissant sous l’insulte, Fulgence avance vers moi.
Refrénant mon envie instinctive de reculer, j’avance moi aussi d’un pas. Nous sommes presque nez à nez. Yeux charbonneux contre yeux gris délavés.
– Je pourrais te réduire en bouillie, te jeter hors de l’Association, réduire ta mère à la misère, gronde-t-il entre ses dents.
– Et moi, je pourrais vous atomiser comme j’ai atomisé votre salopard d’assassin ! je réponds en criant presque, sans baisser le regard.
« C’est vrai, ça ?
– Non, Ombe. Je bluffe.
– Tu bluffes drôlement bien. »
Je sens chez cet homme, en effet, une magie puissante et ancienne. Fulgence est un mage. Pourquoi cela ne me surprend-il pas ?
Si je devais l’affronter, je morflerais. Mais la colère me donne la force de rester immobile. Walter nous sépare avec des « Messieurs, voyons ! » scandalisés.
C’est dommage, parce que j’aime bien l’histoire de David et Goliath.
Elle correspond à mon tempérament frondeur.