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« Qu’est-ce qu’il a dit ?

– Je ne comprends pas, Ombe.

– J’ai bien entendu démon ?

– …

– Jasper ? »

Je n’ai pas envie d’en discuter pour l’instant. Tout se bouscule en moi. Tourbillonne. M’emporte.

Un démon. Dans le miroir. Non, deux démons si on compte mon reflet qui se superpose aux traits de ce Ralk’.

Deux visages maléfiques.

Mais alors… si Ombe est ma sœur ?

L’odeur de soufre.

Attachée à nos natures.

Je tente de remonter à la surface, de réfléchir calmement.

Depuis les révélations de Nacelnik et de Walter, je me doute bien que je cache en moi une part d’ombre (j’ai dit ombre…). Mais entre le doute et la certitude, il y a un fossé que mon esprit a du mal à franchir.

Ce n’est pourtant pas le moment de faiblir. Je cherche depuis longtemps celui qui pourra enfin me révéler qui je suis, celui qui pourra remonter à l’origine de mes cauchemars et de mes transformations !

La vérité.

Est-ce que j’ai peur de ce que le miroir va m’apprendre ?

« Jasper ? Ça va ? Réponds ! »

Pour elle. Pour Ombe. Je lui dois au moins ça.

Elle a le droit de savoir qui je suis.

Qui elle est.

Je retrouve mon souffle, cligne des yeux plusieurs fois.

– Ralk’… C’est bien ton nom ?

Je cause à un miroir…

– Oui, Maître ! Qu’il est doux de l’entendre de votre bouche !

– Pourquoi dis-tu que je suis un démon ?

– Mais… (il semble sincèrement surpris) parce que vous en êtes un, Maître.

– Comment peux-tu en être sûr ?

– Vous me mettez à l’épreuve !

– Réponds.

– Les yeux des démons voient mieux que ceux des humains, qu’ils soient Normaux ou Paranormaux. Les démons savent reconnaître leurs frères et sœurs, quelle que soit leur apparence.

– Je ne ressemble pas du tout à un démon !

– Est-ce que votre malheureux serviteur ressemble à un démon ?

– Maintenant que tu le dis… J’ai déjà vu des démons. Le premier avait une forme humaine, des yeux rouges et des cornes de taureau. Le deuxième avait la consistance d’une brume noire, épaisse et malsaine, qui dévorait la lumière. Les autres n’étaient que des silhouettes ténébreuses et vociférantes. Oui, Ralk’, quoique différent, tu ressembles bel et bien à un démon. Mais moi ? Je ne suis pas fait de fumée, je n’ai pas les yeux rouges et j’aime la lumière !

Tandis que j’énumère ces rencontres, plusieurs détails incongrus me reviennent à la mémoire et éclatent comme des bombes.

Le démon de l’entrepôt, par exemple. Au moment de mourir, il m’a jeté un regard de reproche et de peur.

Le démon de la grotte, lui, a été vaincu par un chamane qui me terrifiait inexplicablement.

Quant à ceux de l’arène, ils m’acclamaient…

– Tous les démons sont semblables quand ils arpentent le sol rougeoyant du Nûr-Burzum, Maître, répond Ralk’. Dans le monde des humains, notre apparence diffère. C’est si difficile de passer la Barrière ! Nous laissons derrière nous beaucoup de notre être, et cette part n’est pas la même pour tous…

– Tu penses donc que je viens du… du Nûr-Burzum ?

– Je ne pense rien, Maître. Comment me le permettrais-je ? Cela dit… D’où viendriez-vous ?

Le démon du miroir me manifeste un respect évident. Je peux entendre de la crainte dans sa voix, même si je devine chez lui une propension à l’ironie Le temps passé au milieu des humains, peut-être ? Je garde l’information dans un coin de mon crâne : Ralk’ est un esprit indépendant.

« Jasper ? Tu m’expliques ce qui se passe ? »

Je soupire. En parlant d’esprit indépendant…

« Tu l’entends comme moi, Ombe : le démon prisonnier du miroir est en train de me dire que je suis également un démon.

– Il essaye de t’embobiner pour que tu le libères.

– Mais tout concorde ! L’odeur de soufre décelée par l’odorat subtil de ton cher Nacelnik, les efforts de la Milice antidémons pour nous éliminer, nos pouvoirs et nos capacités supérieurs à ceux des autres stagiaires, ma faiblesse à proximité d’Otchi le chasseur de démons, notre inexplicable lien de parenté… Tu ne trouves pas que ça fait beaucoup de coïncidences ?

– Et les tests auxquels mademoiselle Rose nous a soumis ? Elle l’aurait vu, si nous étions des démons.

– C’est la seule faille de mon raisonnement. »

Indifférent aux sarcasmes d’Ombe, je reprends l’interrogatoire.

– Ralk’. Je peux t’appeler Ralk’, n’est-ce pas ?

– C’est un honneur, Maître, un honneur !

– Quand tu dis que je suis un démon, c’est parce qu’un démon se cache en moi ou que je suis vraiment un démon ?

– Maître ! Un Ghâsh-Durbûl tel que vous ne s’abaisserait jamais à utiliser un gebbet ! Vous êtes… vous-même.

– Un gebbet ?

– Un possédé, Maître. Une marionnette humaine, soumise à un démon.

– Une dernière question, Ralk’ : c’est quoi, un Ghâsh-Durbûl ?

– Dernière avant quoi ? demande le démon, à nouveau inquiet.

– Réponds !

– Oui, Maître, pardonnez mon insolence. Un Ghâsh-Durbûl est un prince du monde obscur. Vous êtes un membre de la famille royale, mon Seigneur, aussi sûr que le pauvre Ralk’ est prisonnier de ce miroir.

Famille royale ? Qu’est-ce qu’il raconte, ce crétin ?

– Je te remercie, Ralk’, pour les réponses que tu m’as apportées. Je ne saisis pas encore toutes leurs implications, mais je te suis reconnaissant.

– Maître ? Vous partez ?

– J’ai beaucoup à faire.

À commencer par mettre la plus grande distance possible entre le Horla et moi ! Car si je suis un démon, alors mes amis sont en danger par ma seule présence. J’ai lu Homère, je sais ce qu’est un cheval de Troie…

– Ne me laissez pas ! Si vous ne voulez pas me libérer, emmenez-moi avec vous, Maître ! Par la noirceur de Khalk’ru, ayez pitié !

Je suis sur le point de quitter la cuisine en abandonnant le démon à son sort.

– Tu n’es pas bien ici ? je demande.

– La sorcière qui m’a capturé ne cesse de me torturer ! Et puis la liberté me manque. Je ne survivrai plus très longtemps.

J’ai beau savoir qu’il exagère pour m’attendrir, je perçois en lui une vraie détresse. Je décroche le miroir.

– Merci, merci Maître, sanglote le démon. Ralk’ sera votre serviteur le plus dévoué…

À vrai dire, je pense surtout que moins il y aura de démons dans le périmètre et moins mes amis seront menacés…

Alors que je m’apprête à ranger l’objet dans ma sacoche, j’entends un bourdonnement familier.

Un flash de lumière m’oblige à fermer les yeux. Je vacille.

Je heurte une chaise et m’y accroche de toutes mes forces.

– Maître ? Ça ne va pas ?

Le démon est anxieux. Je ne lui réponds pas, trop occupé par les visions qui explosent dans ma tête.

Fafnir m’envoie des images, comme au bon vieux temps.

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