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Alors seulement, je remarque la présence d’un humain derrière le roi-démon.
– Maître ! crie l’homme qui accompagne Khalk’ru. Vous ne pouvez pas faire ça ! Ce monde est à moi, vous me l’avez promis !
Je reconnais cette voix.
Je reconnais l’homme qui se tord de fureur devant nous, dans le vent déformant de l’Entremonde.
C’est Siyah ! Le magicien noir !
– Silence, Sharkû ! tonne Khalk’ru. Comment oses-tu me parler sur ce ton ?
Siyah lutte pour reprendre le contrôle de sa voix.
– Je suis désolé, Maître. Mais lorsque je me suis engagé à vos côtés, il était convenu que…
– Les promesses faites à un humain n’engagent que sa crédulité, le coupe Khalk’ru. Ce que je dois à mon fils vaut mille fois plus que les petits services que tu m’as rendus.
– Petits services ? s’étrangle Siyah, perdant à nouveau toute prudence. Pour vous j’ai renoncé à ma carrière de magicien qui s’annonçait brillante ! J’ai supporté les prétentions d’une clique d’Anormaux qui valaient moins que rien ! J’ai violé la loi et contrevenu aux décrets de l’Association ! Tout ça pour quoi ? Pour que votre fils, non content d’avoir détruit mon palais et de m’avoir crevé un œil, me vole ce qui me revient de droit !
Ainsi, le mage noir était l’homme de main de mon père dans le monde des Normaux et des Anormaux.
Chargé d’affaiblir la Barrière par tous les moyens : en transformant les vampires en drogués, en dressant les unes contre les autres les meutes de lycans, en essayant d’anéantir les dernières Créatures, en incitant les gobelins à la rébellion, en envoûtant Walter pour désorganiser l’Association !
Enfin, comble de l’ironie, Siyah a eu deux fois l’occasion de me tuer et il ne les a pas saisies. La première, parce qu’il s’est rendu compte que j’étais le fils de Khalk’ru. La seconde, parce qu’il savait que j’étais le fils de Khalk’ru !
Je parie qu’il s’en mord les doigts à présent.
Il y a des moments, dans l’existence, de pure jubilation.
Justice est fête !
La réaction du roi-démon ne tarde pas et ses tentacules fondent sur le mage. J’ai déjà eu un aperçu de ce dont ils sont capables et je ne le souhaite à personne. Sauf peut-être à Siyah.
Mais Siyah n’attend pas d’être châtié. Il bondit en avant, bouscule Omb’r encore mal à l’aise dans sa nouvelle enveloppe et se jette sur moi.
J’ai le temps de voir mon père empêcher Omb’r de se précipiter à mon secours.
Puis Siyah et moi basculons de l’autre côté de la Frontière, vers le monde des hommes, interdit aux démons.