90.

Ambra Vidal entendit le vieil ordinateur émettre un ping — Langdon avait correctement tapé le vers de William Blake !

MOT DE PASSE CORRECT.

La jeune femme se jeta au cou de Langdon et l’étreignit joyeusement.

Edmond serait tellement heureux, se dit-elle.

— Deux minutes et trente-trois secondes ! claironna Winston.

Ambra s’écarta de Langdon, et tous deux se tournèrent vers les écrans. Le moniteur central affichait un compte à rebours semblable à celui au Guggenheim.

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Plus de deux cents millions de personnes ?

Ambra était médusée. Apparemment, pendant leur course-poursuite à travers Barcelone, le monde entier avait retenu son souffle.

Edmond allait bénéficier d’une audience sans précédent.

Les images des caméras de vidéosurveillance étaient toujours affichées à côté du compte à rebours. Ambra remarqua un curieux changement dans l’activité de la police. Un à un, les agents sortaient leurs smartphones. Bientôt, le parvis devant l’église se transforma en une marée de visages éclairés par les portables.

Edmond avait arrêté le cours du temps ! Partout à travers le globe, les gens se préparaient à regarder la vidéo.

Je me demande si Julián est connecté…, songea Ambra.

— Paré au lancement ! annonça Winston. Si vous voulez bien passer au salon, vous serez plus à l’aise.

— Merci, Winston.

Langdon et Ambra longèrent le cube bleuté pour gagner l’espace lounge aménagé par Edmond.

Quand Ambra posa ses pieds nus sur le tapis persan, elle sentit son corps se détendre instantanément. Elle s’installa dans le canapé, les jambes repliées sous elle, puis regarda autour d’elle, perplexe.

— Où est l’écran ?

Langdon, qui s’était éloigné pour examiner un objet dans une vitrine, n’entendit pas sa question. Mais Ambra eut sa réponse quand elle vit l’une des parois de verre s’éclairer.

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La jeune femme contempla l’image de trois mètres de haut tandis que les lumières de l’église se tamisaient.

Winston avait l’art de créer l’ambiance !

Langdon était toujours absorbé par sa trouvaille — un petit cylindre, posé sur un élégant piédestal, comme une pièce de musée. Un tube à essai fermé d’un bouchon contenant un liquide épais et brunâtre. Un instant, Langdon se demanda si cela pouvait être un traitement expérimental pour la maladie d’Edmond.

Puis il lut l’étiquette.

Qu’est-ce que ça fichait ici ?

Il existait très peu de tubes à essai « célèbres » dans le monde, mais celui-ci, indubitablement, en était un.

Incroyable qu’Edmond en possède un !

Encore une acquisition discrète. Et sans doute pour une somme astronomique. Comme le tableau de Gauguin à la Casa Milà.

Langdon se pencha pour étudier la fiole vieille de soixante-dix ans. Les noms sur le papier défraîchi étaient encore lisibles.

MILLER-UREY.

Il n’en revenait toujours pas.

Mon Dieu…, songea-t-il. D’où venons-nous ?

Dans les années cinquante, les chimistes Stanley Miller et Harold Urey avaient mené une expérience scientifique dont le but était de répondre à cette question. Bien que la tentative stricto sensu ait échoué, leurs travaux avaient été salués par le monde entier, et les deux chimistes étaient passés à la postérité.

Langdon se rappelait son émerveillement quand il avait appris en cours de biologie que les deux scientifiques avaient tenté de recréer les conditions de l’origine de la vie sur Terre — une planète recouverte de mers bouillantes et sans vie, grouillant de substances chimiques.

La soupe primordiale.

Après avoir répliqué les éléments qui se trouvaient dans l’océan et l’atmosphère originels — l’eau, le méthane, l’ammoniac et l’hydrogène —, Miller et Urey avaient fait chauffer la préparation pour simuler le bouillonnement des eaux. Puis ils l’avaient bombardée de décharges électriques pour imiter la foudre. Enfin, ils avaient laissé reposer la mixture, comme les océans de la planète s’étaient progressivement refroidis.

Leur but était simple et audacieux — créer l’étincelle de vie dans la mer primitive.

Simuler la Création, par le seul biais de la science.

Miller et Urey espéraient que des micro-organismes se formeraient dans leur décoction riche en éléments chimiques — un procédé inédit appelé « abiogenèse ». Malheureusement, leur tentative de créer la « vie » à partir de la matière inanimée avait échoué. Au lieu d’organismes vivants, ils s’étaient retrouvés avec une série d’éprouvettes contenant un liquide abritant des composés organiques inertes et des acides aminés, aujourd’hui oubliées dans un placard de l’université de San Diego.

De nos jours, les créationnistes citent encore « l’Expérience Miller-Urey » comme preuve que la vie n’avait pas pu apparaître sur Terre sans l’intervention de Dieu.

— Trente secondes, résonna la voix de synthèse.

Langdon observa la pénombre autour de lui. Winston disait que les grandes découvertes scientifiques engendraient de nouveaux « modèles » de l’univers. Il leur avait aussi expliqué que MareNostrum était un puissant « simulateur » — capable de reproduire des systèmes complexes et de les étudier.

L’Expérience Miller-Urey, songea Langdon, est en réalité l’une des toutes premières modélisations… Elle simulait les interactions chimiques complexes sur la planète originelle.

— Robert ! appela Ambra. Ça commence !

— J’arrive !

En s’asseyant à côté de sa partenaire, il était encore troublé par la présence de cette éprouvette dans la vitrine.

Les paroles d’Edmond au Guggenheim lui revenaient en mémoire : « Ce soir, soyons comme ces anciens explorateurs d’antan, ces gens qui ont tout laissé derrière eux pour traverser les vastes océans… » « Le temps de la religion est terminé. L’humanité va entrer de plain-pied dans une nouvelle ère : celle de la science !… » « Imaginez ce qui se passerait si nous avions enfin la réponse à ces questions. »

Les dernières secondes du compte à rebours s’égrenaient.

— Ça va, Robert ? s’inquiéta Ambra.

Comme Langdon acquiesçait, une musique dramatique emplit la pièce, et le visage d’Edmond apparut en gros plan sur le mur. Le célèbre futurologue paraissait amaigri et les traits tirés, mais il souriait à la caméra.

— D’où venons-nous ? demanda-t-il avec une excitation manifeste, tandis que la musique diminuait. Et où allons-nous ?

Ambra agrippa la main de Langdon.

— Ces deux questions font partie de la même histoire, continua-t-il. Alors reprenons depuis le début — le tout début…

Edmond plongea la main dans sa poche et en ressortit un tube contenant un liquide brunâtre. Sur l’étiquette, figuraient les deux noms :

MILLER-UREY.

Langdon sentit son cœur s’emballer.

— Notre voyage commence il y a très très longtemps… quatre milliards d’années avant Jésus-Christ… quelque part dans la soupe primordiale…

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