83.

Langdon et Ambra firent le tour de la chapelle et découvrirent l’entrée côté sud. Avec son vestibule de plexiglas ultramoderne le bâtiment semblait piégé entre deux époques.

Sur le parvis trônait le buste d’un guerrier primitif de trois mètres de haut. La présence de cette œuvre devant une église catholique pouvait paraître incongrue, mais connaissant Edmond ils n’étaient pas au bout de leurs surprises.

Ambra pressa la sonnette de l’entrée. La caméra de surveillance pivota vers eux et les fixa de son œil noir.

Au bout d’un moment, la porte s’ouvrit dans un bourdonnement.

Langdon et Ambra pénétrèrent dans un hall aménagé dans le prolongement du narthex de l’église. La salle était faiblement éclairée. Langdon s’était attendu à un comité d’accueil — un employé d’Edmond ? Mais l’endroit était désert.

— Il y a quelqu’un ? appela Ambra.

Tendant l’oreille, ils perçurent la mélodie d’un chant médiéval, un chœur de voix masculines.

Langdon ne parvint pas à l’identifier. La présence de cette musique religieuse dans ce lieu ultramoderne était typique de l’humour d’Edmond.

Un grand écran plasma fixé au mur, seul éclairage de la pièce, diffusait une sorte de jeu vidéo archaïque — une grappe de points noirs évoluant sur une surface blanche, tel un essaim de moucherons aux déplacements aléatoires.

Pas si aléatoires, songea Langdon en reconnaissant le motif.

Cette modélisation informatique — connue sous le nom de « Jeu de la vie » — avait été inventée dans les années soixante-dix par le mathématicien britannique John Horton Conway. Les points noirs — appelés « cellules » — se déplaçaient, interagissaient et se reproduisaient selon une série de « règles élémentaires ». Invariablement, les points finissaient par créer des ensembles, des séquences, et des motifs récurrents — motifs qui évoluaient en structures complexes, très proches de celles que l’on trouvait dans la nature.

— C’est l’automate cellulaire de Conway, souffla Ambra. J’ai vu une installation artistique qui s’en inspirait, il y a quelques années.

Langdon était impressionné. Lui-même n’avait eu connaissance de ces travaux uniquement parce que son inventeur avait enseigné à Princeton.

Les chœurs attirèrent de nouveau son attention.

J’ai déjà entendu cette pièce, songea-t-il. Une messe de la Renaissance, peut-être ?

Sur l’écran, les points avaient changé de direction et accéléraient, comme si la séquence se rembobinait, de plus en plus vite. Leur nombre diminuait… les cellules, au lieu de se multiplier, se recombinaient… les assemblages se simplifiaient, jusqu’à ce qu’il ne reste plus qu’une poignée de cellules… qui continuaient de fusionner… pour revenir aux huit initiales… puis quatre… puis deux… et enfin…

Une seule.

Une cellule unique.

L’origine de la vie.

Le point disparut. Puis des mots se matérialisèrent un à un. Langdon déchiffra peu à peu une phrase entière :

Si l’on admet une cause première

l’esprit cherche toujours à savoir

d’où elle est venue et comment elle est apparue.

— C’est de Darwin, murmura Langdon, reconnaissant la citation du botaniste, qui évoquait la même question qu’Edmond Kirsch.

Ambra lui lança un coup d’œil complice.

— Et si nous allions la chercher, cette réponse ?

Elle se dirigea vers un passage flanqué de deux colonnes qui semblait donner accès à l’église.

Langdon s’apprêtait à lui emboîter le pas, quand des mots anglais apparurent sur l’écran, sans relation apparente. Ils allaient et venaient à l’image, s’associaient, se combinaient pour former des bribes de phrases.

… growth… fresh buds… beautiful ramifications…

Progressivement, les mots donnaient naissance à un arbre.

— Qu’est-ce que c’est que ça ? s’exclama Langdon.

Ambra revint sur ses pas et tous deux observèrent, fascinés, la composition, tandis que le chœur des voix s’intensifiait. Le chant n’était pas en latin, comme Langdon le croyait au début, mais en anglais.

— Les mots sur l’écran, murmura Ambra. Ce sont les paroles du chant.

— Vous avez raison, dit Langdon tandis que de nouvelles phrases apparaissaient au rythme de la musique.

« … by slowly acting causes… not by miraculous acts… »

Il était déconcerté par l’étrange mélodie qui les accompagnait. La musique était manifestement religieuse, alors que le texte ne l’était pas.

« … organic beings… strongest live… weakest die… »

Tout à coup, Langdon se figea.

« Les plus forts survivent… les plus faibles meurent… » Je connais ce texte !

Quelques années auparavant, Edmond avait emmené Langdon à un concert intitulé Missa Charles Darwin. Un cantabile aux sonorités typiquement chrétiennes dont le texte latin avait été remplacé par des extraits de L’Origine des espèces de Darwin. Le contraste entre la piété des voix et la brutalité des paroles, qui évoquaient la sélection naturelle, était saisissant.

— C’est curieux, commenta Langdon. Edmond et moi avons écouté cette œuvre ensemble il y a bien longtemps… Je me rappelle qu’il l’avait adorée.

— Ce n’est pas une coïncidence, dit une voix familière au-dessus de leurs têtes. C’est un conseil d’Edmond : toujours accueillir ses visiteurs avec de la belle musique et de quoi éveiller leur curiosité !

Langdon et Ambra levèrent les yeux vers les haut-parleurs.

— Bienvenue chez moi ! Je n’avais plus aucun moyen de vous joindre.

— Winston !

Langdon n’aurait jamais imaginé être si heureux de parler à un programme informatique.

Ambra lui résuma les derniers événements de la soirée.

— C’est bon d’entendre vos voix ! Alors ça y est ? Vous l’avez ?

Загрузка...