21.

Edmond Kirsch avait connu bien des succès, et il ne boudait pas ses moments de gloire, mais jamais il n’avait ressenti une telle satisfaction. Debout sur le podium, il laissait la joie l’envahir. Il était sur le point de changer le monde.

Asseyez-vous, mes amis. Le meilleur est à venir.

Alors que le brouillard se dissipait, Edmond se retint de regarder son visage qui s’affichait en gros plan sur le dôme comme sur des millions d’ordinateurs aux quatre coins de la planète.

C’est un événement mondial, songea-t-il avec fierté. Qui transcende les frontières, les classes et les croyances.

Il jeta un coup d’œil sur sa gauche pour lancer un petit signe de gratitude à Ambra Vidal qui depuis des mois avait travaillé sans relâche à l’organisation de cette soirée. Toutefois, à sa surprise, la jeune femme ne le regardait pas. Elle observait d’un air inquiet quelque chose dans la foule.

*

Que se passe-t-il ? se demandait la jeune femme.

Au milieu de la salle, un homme en smoking fendait la foule en agitant les bras. Il semblait paniqué et avançait dans leur direction.

C’était Robert Langdon, le professeur de la vidéo !

Les deux agents de la Guardia l’avaient eux aussi repéré et s’apprêtaient à l’arrêter.

Qu’est-ce qui lui prenait ?

Ambra se tourna vers le podium en se demandant si Kirsch avait remarqué cette agitation. Mais il ne regardait pas le public. Il la regardait elle.

Edmond ! Attention !

Une détonation retentit sous le dôme. La tête d’Edmond se renversa en arrière. Ambra vit avec horreur un cratère rouge grossir au milieu de son front, ses yeux rouler dans leur orbite, tandis que ses mains se cramponnaient toujours au pupitre, tétanisées. Le futurologue chancela un instant, avec une expression de profonde confusion, puis, tel un arbre, bascula sur le sol, sa tête heurtant violemment le gazon artificiel.

Avant que Ambra ait eu le temps de reprendre ses esprits, l’un des agents de la Guardia Real l’avait plaquée au sol.

*

Le temps sembla s’arrêter.

Un grand silence tomba sur la salle, puis ce fut la panique.

Sous le dôme où était projetée l’image du corps ensanglanté de Kirsch, la foule se précipitait vers la sortie, craignant une fusillade.

Au milieu de ce pandémonium, Robert Langdon était comme pétrifié. Non loin de lui, il regardait son ami qui gisait sur le flanc, face à son public, une plaie béante au front. Par une ironie du sort, son visage était toujours éclairé par le projecteur de la caméra, fixée sur son pied, et ce spectacle macabre était diffusé sur toute la planète.

Avec l’impression de se déplacer au ralenti, Langdon se dirigea vers la caméra pour l’orienter vers le haut, afin qu’elle cesse de filmer Edmond. Puis, bousculé par les gens qui fuyaient la salle, il contempla son ami. Il était mort. C’était certain.

Seigneur, Edmond, j’ai essayé de te prévenir, mais Winston m’a averti trop tard !

Sur le côté, un agent de la Guardia protégeait Ambra Vidal de son corps. Quand Langdon voulut s’approcher d’elle, l’agent réagit aussitôt en fonçant sur lui. L’homme le heurta de plein fouet, et son épaule le percuta au sternum. Sous le choc, Langdon fut projeté en arrière et se retrouva affalé sur l’herbe synthétique, le souffle coupé. Des mains le retournèrent aussitôt, lui tordirent le bras dans le dos, et le plaquèrent au sol. Il ne pouvait plus bouger.

— Vous saviez ce qui allait se passer ! hurla l’agent. C’était quoi votre rôle ? Faire diversion ?

*

À vingt mètres de là, l’agent Rafa Díaz, gêné par la foule, tentait de repérer d’où était parti le coup de feu.

Ambra Vidal est en sécurité, se dit-il après avoir vu son collègue la couvrir de son corps.

Quant à la victime, on ne pouvait plus rien pour elle. Kirsch était mort avant même d’avoir touché le sol.

Bizarrement, l’un des invités semblait être au courant de l’attaque et s’était précipité vers l’estrade juste avant.

Mais cela aussi, ça pouvait attendre.

Pour le moment, il y avait une urgence.

Arrêter le tireur.

Quand Díaz atteignit l’endroit où il avait repéré l’éclair provoqué par le tir, il découvrit une fente dans la tenture. Il plongea la main dans l’ouverture, déchira le tissu jusqu’en bas et se retrouva devant un entrelacs d’échafaudages.

Sur sa gauche, il avisa une silhouette — un grand type dans un uniforme blanc qui courait vers une sortie de secours à l’autre bout de la salle. Il ouvrait déjà la porte pour s’échapper.

Díaz s’élança à sa poursuite, se faufilant entre les étais métalliques et le fouillis d’appareils. Il ouvrit à son tour la porte qui donnait sur une cage d’escalier. Il se pencha à la balustrade et aperçut le fugitif deux étages au-dessous. Díaz dévala l’escalier en spirale. Tout en bas, une autre porte claqua.

L’homme allait quitter le bâtiment !

Quand Díaz arriva au rez-de-chaussée, il piqua un sprint vers la sortie de secours — une double porte munie de barres horizontales. Il s’y appuya de tout son poids. Mais, à l’inverse des précédentes, les portes refusèrent de s’ouvrir. Díaz s’élança contre les battants d’acier ; le choc le projeta au sol.

Malgré sa douleur à l’épaule, il se releva.

Passé quelques centimètres, les vantaux étaient bloqués. Juste assez entrouverts pour que Díaz comprenne d’où venait le problème.

Les poignées, de l’autre côté, étaient retenues par une sorte de chaîne constituée de grosses perles.

Un rosaire ?

Díaz s’arc-bouta contre les battants mais l’attache tenait bon. Comment ce rosaire pouvait-il être aussi solide ?

¿ Hola ? appela-t-il dans l’écartement. ¿ Hay alguien ?

Silence.

Derrière les portes, il distinguait un haut mur de ciment. Une allée de service. Il y avait peu de chance que quelqu’un traîne dans les parages. N’ayant pas d’autres options, Díaz sortit son pistolet caché sous sa veste et glissa le canon dans l’ouverture. En bon catholique, il n’était pas très à l’aise.

Tirer sur un rosaire ! Que Dios me perdone.

Les restes du crucifix se balançaient devant la gueule noire de l’arme.

Il pressa la détente.

La déflagration retentit et les portes cédèrent. Díaz s’élança dans l’allée déserte tandis qu’une pluie de perles tintinnabulaient sur le sol.

L’assassin en blanc avait disparu.

*

À cent mètres de là, assis à l’arrière d’une Renault noire, l’amiral Luis Ávila s’éloignait du musée.

Le fil de Vectran de son rosaire avait fait son office, et retardé ses poursuivants.

Et maintenant, je disparais !

La voiture filait au nord-ouest le long des méandres du Nervion et se fondait dans la circulation de l’Abandoibarra. Ávila pouvait enfin se détendre.

Sa mission du soir était accomplie. Une réussite.

Dans sa tête, il entendait les notes glorieuses de la marche d’Oriamendi, qui avait résonné autrefois sur le champ sanglant d’une bataille ici même à Bilbao. ¡ Por Dios, por la Patria y el Rey !

Ce chant de ralliement était oublié depuis longtemps… mais la guerre ne faisait que commencer.

Загрузка...