41.

Le commandant Diego Garza revint d’un pas vif vers les appartements du prince, serrant dans ses mains la tablette de Mónica Martín.

Il avait écouté l’enregistrement de la conversation téléphonique — un échange entre un rabbin hongrois, un certain Yehouda Köves, et une personne qui prétendait être « une sentinelle ». Et maintenant, Garza n’avait guère d’options.

Que Valdespino soit ou non impliqué dans cette conspiration, si cette conversation était mise en ligne, la réputation de l’archevêque serait salie à jamais.

Je dois prévenir le prince et le protéger.

Valdespino devait être exfiltré du Palais avant que la nouvelle éclate.

En politique, les rumeurs étaient assassines. Que celles-ci soient vraies ou pas, les médias allaient mettre le prélat en pièces. Aucun membre de la famille royale ne devait être vu en compagnie de l’archevêque cette nuit.

La chargée de communication avait bien insisté : il fallait que le prince fasse une déclaration, sinon il allait paraître complice.

Mónica avait raison.

Garza arriva à l’étage et fonça dans le couloir. Il scrutait avec angoisse l’écran de la tablette.

En plus du tatouage franquiste et de l’enregistrement téléphonique, ConspiracyNet.com, ce site immonde, s’apprêtait à lâcher une troisième bombe, la plus dévastatrice de toutes, selon Mónica.

Elle appelait ça une présentation « en constellation » : des faits en apparence disparates et isolés qu’on connectait pour former un ensemble ordonné et signifiant, un système de modélisation très prisé par les spécialistes des théories du complot.

Nous voilà revenus au temps des astrologues ! Relier des étoiles entre elles pour tracer des silhouettes d’animaux !

Malheureusement, la constellation de données compilées par ConspiracyNet.com formait un animal tout à fait convaincant, une hydre terrifiante pour le Palais royal.

ConspiracyNet.com


L’ASSASSINAT DE KIRSCH

CE QUE NOUS SAVONS :

• Edmond Kirsch a fait part de sa découverte à trois dignitaires religieux — l’archevêque Antonio Valdespino, l’ouléma Syed al-Fadl et le rabbin Yehouda Köves.

• Kirsch et al-Fadl sont morts tous les deux, et le rabbin Yehouda Köves ne répond plus au téléphone et semble avoir disparu.

• L’archevêque Valdespino est vivant et en pleine forme. La dernière fois qu’il a été vu, il traversait la Plaza de l’Armería pour se rendre au Palais royal.

• L’assassin de Kirsch — l’ex-amiral Luis Ávila — présente un tatouage dans la main montrant son appartenance à une faction franquiste (l’archevêque Valdespino, ultra-conservateur convaincu, est-il lui aussi un nostalgique de Franco ?).

• Et enfin, d’après des sources à l’intérieur du musée Guggenheim de Bilbao, un nom a été ajouté à la liste des invités lors de cette soirée privée, à la demande expresse de quelqu’un du Palais royal. (Et la personne qui a fait cet ajout n’est autre que la future reine d’Espagne, Ambra Vidal.)


ConspiracyNet.com voudrait remercier le lanceur d’alerte monte@iglesia.org pour sa précieuse contribution à cet article.

Monte@iglesia.org ?

De toute évidence, cette adresse e-mail était fausse.

Garza connaissait

Iglesia.org
, un site évangélique très important en Espagne, une communauté de prêtres, de fidèles, d’étudiants en théologie qui diffusaient les préceptes de Jésus. Visiblement, l’informateur avait repris ce nom de domaine pour que ses allégations paraissent émaner de ce site.

Futé, songea Garza, surtout quand on savait que Valdespino tenait en grande estime les fervents catholiques qui géraient ce site. Était-ce ce « lanceur d’alerte » qui avait appelé le rabbin ?

En arrivant devant les appartements du prince, le chef de la Guardia Real se demandait comment lui annoncer la nouvelle. La journée avait commencé normalement, et voilà que le Palais se retrouvait impliqué dans une guerre contre des fantômes.

Un espion sans visage qui se faisait appeler Monte ?

Un ensemble de données pointant toutes dans la même direction ?

Et, pour couronner le tout, Garza ignorait où se cachaient Ambra Vidal et Robert Langdon.

Si la presse apprend ce que la future reine a fait ce soir, nous sommes perdus ! se dit-il.

Le commandant entra sans frapper.

— Prince Julián ? appela-t-il en se rendant droit au salon. Il faut que je vous parle.

En arrivant sur le seuil, il se figea.

Personne.

— Don Julián ? Monseigneur Valdespino ?

Il alla dans la cuisine. Personne, là non plus.

Garza inspecta tout l’appartement. En vain.

Il chercha aussitôt à joindre le prince sur son portable et entendit une sonnerie, faible et étouffée, qui provenait néanmoins de l’appartement. Garza appela encore, pour repérer l’origine de la sonnerie. Derrière un tableau. Là où se trouvait le coffre-fort.

Julián avait enfermé son téléphone ?

Jamais il n’aurait laissé son appareil un jour aussi important.

Garza tenta de joindre Valdespino. À son grand étonnement, il entendit une sonnerie. Elle provenait également du coffre.

Valdespino avait donc lui aussi laissé son téléphone ?

Sentant la panique le gagner, Garza sortit de l’appartement. Pendant plusieurs minutes, il fouilla tout le palais.

Les deux hommes ne pouvaient pas s’être volatilisés !

Hors d’haleine, le commandant s’arrêta au pied du grand escalier d’honneur de Sabatini. Il les avait perdus. Il baissa la tête vers la tablette en veille et, sur l’écran noir, aperçut le reflet de la fresque du plafond, juste au-dessus de lui.

Quelle ironie ! Le chef-d’œuvre de Giaquinto : l’Espagne rendant hommage à la religion et à L’Église.

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