Impressionnant…, songea Langdon.
En quelques mots, Ambra avait contraint l’hélicoptère à faire demi-tour.
Quand l’appareil retrouva son assiette et mit le cap vers la Sagrada Família, Ambra demanda à Díaz son téléphone. L’agent le lui donna de mauvaise grâce. Aussitôt, elle alla sur Internet voir les nouvelles.
Elle secoua la tête d’agacement.
— J’ai essayé de leur dire que vous ne m’aviez pas kidnappée. Mais ils n’ont rien entendu.
— Peut-être n’ont-ils pas eu le temps de publier l’info ?
Cela datait de dix minutes. C’était tout frais.
— Ils ont eu largement le temps. Ils ont posté des vidéos de l’hélico s’éloignant de la Casa Milà.
Déjà ?
Parfois le monde allait trop vite pour Langdon. Il se souvenait des « scoops » de la nuit qu’on pouvait lire « dès » le lendemain matin dans le journal.
— Au fait, plaisanta Ambra, il semble que notre aventure soit dans le top dix des infos.
— Je savais que je n’aurais pas dû vous kidnapper !
— Au moins, on n’est pas numéro un. (Elle lui tendit le téléphone.) Regardez ça !
L’écran présentait la rubrique « tendances du jour » de Yahoo. En première position, il y avait :
« D’où venons-nous ? » / Edmond Kirsch
Visiblement, la cérémonie du Guggenheim avait incité les réseaux sociaux à s’intéresser au sujet. Edmond serait si content, se dit Langdon. Mais sa joie s’évanouit dès qu’il cliqua sur le lien et découvrit les titres associés. Les dix premières réponses à la question « D’où venons-nous » avaient toutes trait au créationnisme et aux extraterrestres.
Edmond serait horrifié !
Lors d’un débat intitulé « Science & Spiritualité », Edmond avait fait un esclandre qui était resté tristement célèbre. Exaspéré par les questions du public, il s’était levé furieux : « Pourquoi des êtres humains intelligents ne peuvent-ils discuter de leur origine sans impliquer systématiquement Dieu ou des putains d’Aliens ! » Et il avait quitté la scène.
Langdon balaya l’écran jusqu’à trouver un lien moins polémique. Il émanait de CNN Live : « Quelle est la découverte de Kirsch ? »
Il pivota l’écran vers Ambra pour qu’elle puisse regarder la vidéo et monta le son.
Une présentatrice bien connue de CNN apparut à l’image.
— Nous recevons aujourd’hui Griffin Bennett, exobiologiste à la NASA, qui va nous expliquer ce que pourrait être la découverte d’Edmond Kirsch. Bonjour, monsieur Bennett, et bienvenue.
L’invité — un barbu à lunettes — hocha la tête avec gravité.
— Je vous remercie. Tout d’abord, je tiens à rappeler que je connaissais personnellement Edmond Kirsch. J’ai un grand respect pour son intelligence, son inventivité, et son apport dans le domaine des innovations technologiques. Son assassinat est un terrible choc pour nous. Et nous espérons que cet acte de lâcheté verra la communauté scientifique serrer les rangs face aux dangers du fanatisme religieux, de l’obscurantisme, à tous ces gens qui ont recours à la violence pour imposer leurs croyances. J’espère que la rumeur est vraie, qu’il y a effectivement des personnes courageuses qui s’emploient cette nuit à rendre la découverte de Kirsch publique.
Langdon jeta un coup d’œil complice à Ambra.
— Beaucoup de gens le souhaitent, monsieur Bennett, répondit la présentatrice. Quelle peut être, selon vous, la teneur de cette découverte ?
— En tant que spécialiste de l’espace, j’aimerais en préambule faire une déclaration qu’aurait appréciée je crois Edmond Kirsch. (L’homme se tourna vers la caméra.) Dès qu’on parle de vie extraterrestre, on a droit à toutes sortes d’élucubrations — pseudo-sciences, complots interplanétaires et j’en passe. Je tiens ici à être bien clair : les cercles dans les cultures sont des canulars. Les vidéos où l’on voit des autopsies d’Aliens sont des trucages. Aucune vache n’a été mutilée par un extraterrestre. La soucoupe de Roswell était un ballon-sonde de l’armée appelé le projet Mogul. Les grandes pyramides ont été construites par les Égyptiens sans recours à une quelconque technologie extérieure. Et, plus important encore, tous les enlèvements de personnes par des Aliens ne sont que purs mensonges.
— Comment peut-on en être aussi sûr ?
— Question de logique élémentaire. Une forme de vie suffisamment avancée pour voyager dans l’espace intersidéral n’a rien à apprendre en explorant le rectum d’un fermier du Kansas. Ni aucune raison de se transformer en reptile pour espionner les gouvernements dans l’espoir de conquérir la Terre. Toute civilisation capable de faire le trajet jusqu’à notre planète peut nous assujettir instantanément sans avoir besoin du moindre subterfuge.
— Cela fait froid dans le dos ! s’esclaffa la présentatrice avec un rire qui sonnait faux. Et selon vous, quelle serait la découverte d’Edmond Kirsch ?
L’homme poussa un long soupir.
— Il y a de fortes chances que Kirsch ait voulu annoncer qu’il avait la preuve que la vie sur Terre est venue de l’espace.
Langdon fut aussitôt sceptique, connaissant les positions d’Edmond au sujet d’une origine extraterrestre de la vie.
— Passionnant. Qu’est-ce qui vous fait dire ça ?
— C’est la seule explication rationnelle. Nous savons déjà que de la matière est échangée entre les planètes. Nous avons sur Terre des fragments de Mars, de Vénus, et de bien d’autres sources non identifiées. Ce qui étaye l’hypothèse que la vie est arrivée sur Terre par des météorites sous forme de microbes.
La femme hocha la tête d’un air pénétré.
— Mais cette théorie — des microbes provenant de l’espace — existe depuis des décennies, et elle n’a toujours pas été validée. Comment un expert en nouvelles technologies comme Edmond Kirsch pourrait-il en apporter la preuve définitive ? C’est plus le domaine de l’astrobiologie que de l’informatique, non ?
— Il y a une bonne raison à ça. La crème des astronomes, depuis des années, disent que si l’humanité veut survivre, il lui faudra quitter cette planète. La Terre a déjà entamé la seconde moitié de son cycle. Le soleil va grossir, se transformer en géant rouge et nous carboniser au passage — si la Terre n’a pas déjà disparu suite à une collision avec un astéroïde géant ou à un jet de rayons gamma ! Pour parer à cette éventualité, nous réfléchissons d’ores et déjà à la construction de bases sur Mars, afin de lancer l’exploration des confins de l’espace à la recherche d’une autre planète. Inutile de préciser qu’il s’agit d’un projet très lourd et que si nous trouvons un moyen plus simple d’assurer notre survie, nous serions preneurs dans l’instant.
Le chercheur marqua une pause avant de poursuivre :
— En fait, il y a un moyen plus simple… Enfermer du génome humain dans des petites capsules et les envoyer par millions dans l’espace avec l’espoir que l’une d’entre elles puisse prendre racine quelque part, et semer la vie humaine sur une lointaine planète. Nous n’avons pas encore cette technologie, mais cela n’en demeure pas moins sur le papier une très bonne option pour la survie humaine. Et si nous, nous imaginons envoyer des germes de vie dans l’espace, pourquoi d’autres êtres vivants plus avancés n’auraient-ils pas déjà fait la même chose ?
Il était facile de deviner où voulait en venir Bennett.
— Partant de cette évidence, reprit le scientifique, je pense qu’Edmond Kirsch a pu découvrir une signature extraterrestre — une trace physique, chimique, numérique… que sais-je — prouvant que la vie a été apportée sur Terre depuis l’espace. Nous avons débattu de ce sujet tous les deux il y a plusieurs années. Il n’aimait pas cette idée de germe venant de l’espace. Il pensait, comme beaucoup de gens, que le matériel génétique ne pouvait survivre au rayonnement et aux températures extrêmes auxquels il serait soumis durant son long voyage jusqu’à la Terre. Personnellement, je crois que l’on pourrait enfermer ces germes dans des enveloppes protectrices et les essaimer dans l’espace, avec l’espoir de coloniser le cosmos, une sorte de panspermie assistée par la technologie.
— D’accord, insista la présentatrice, mais si quelqu’un découvre que les humains proviennent de capsules envoyées dans l’espace, cela signifie non seulement que nous ne sommes pas seuls dans l’univers, mais aussi… et ça, ce serait beaucoup plus surprenant…
— Qu’est-ce qui serait si surprenant ? répéta Bennett en souriant pour la première fois.
— Eh bien, cela signifierait que ceux qui ont envoyé ces capsules sont comme nous… Que ce sont des humains !
— Cela a été aussi ma première conclusion. Mais Kirsch m’a corrigé. Il a vu aussitôt la faille dans ce raisonnement.
La présentatrice était perdue.
— Edmond Kirsch pensait qu’il ne s’agit pas d’humains ? Je ne comprends pas… ces germes sont censés perpétuer l’espèce humaine, non ?
— Il s’agit, pour reprendre l’expression de Kirsch, d’humains « pré-cuisinés », précisa le scientifique.
— Pré-cuisinés ?
— Selon lui, si cette histoire de capsules est vraie, alors le plat génétique qui se trouve à l’intérieur est juste pré-cuisiné, pas finalisé si vous voulez. Cela signifie que les humains ne sont pas le produit final, mais juste une étape dans l’évolution… vers quelque chose d’autre… quelque chose d’inconnu.
La présentatrice de CNN ouvrit de grands yeux.
— Aucune forme de vie avancée, disait Kirsch, n’enverrait une recette pour des humains, pas plus qu’une pour des chimpanzés. (Bennett eut un petit rire.) Kirsch m’a accusé d’être un chrétien refoulé ! Seul un croyant peut penser que l’être humain est le centre de l’univers. Ou que des Aliens enverraient par navette spatiale l’ADN complet d’Adam et Ève !
Visiblement, la femme n’appréciait guère la tournure que prenait la conversation.
— Je vous remercie du temps que vous nous avez accordé et de vos explications, monsieur Bennett.
C’était la fin de l’extrait.
Aussitôt, Ambra se tourna vers Langdon.
— Mais si Edmond a découvert la preuve que les humains sont une étape, une espèce inconnue en devenir, cela soulève une grande question. Vers quoi évoluons-nous exactement ?
— Oui. Et d’un coup « Où allons-nous ? » revêt un autre sens.
— C’est ça que laissait entendre Edmond ?
— D’où venons-nous ? Où allons-nous ? Ce type de la NASA pense que Kirsch a regardé vers le ciel pour trouver la réponse à ces deux questions…
— Vous pensez que c’est le cas, Robert ?
Langdon fronça les sourcils. La théorie de Bennett, toute passionnante qu’elle fût, restait bien trop générale, bien trop « exotique » pour un esprit aussi affûté qu’Edmond. Son ami aimait les choses simples, limpides, et techniques. C’était un informaticien dans l’âme.
Et, plus important, comment prouver une telle théorie ?
En trouvant l’une de ces capsules ? En interceptant une communication extraterrestre ? L’une ou l’autre de ces découvertes aurait fait l’objet d’une annonce immédiate. Or le projet d’Edmond avait pris du temps.
Il y travaillait depuis des mois.
— Je n’en sais rien, avoua-t-il à Ambra. Mais quelque chose me dit que la découverte d’Edmond n’a rien à voir avec une vie extraterrestre. Ce n’est pas par là qu’il faut chercher.
Ambra le regarda un long moment.
— On va bientôt le savoir, dit-elle en désignant derrière le hublot les flèches de la Sagrada Família qui brillaient dans la nuit.