Juste derrière la paroi de tissu qui fermait le dôme, l’amiral Ávila s’était mis en position, caché par l’enchevêtrement des poutrelles métalliques. Profitant de l’obscurité, il avait atteint le fond de la salle.
Sans bruit, il sortit de sa poche son rosaire.
Il n’y aura pas de deuxième chance.
Il suivit du bout des doigts la succession de perles jusqu’à trouver le gros crucifix en métal. Au portique de sécurité, les gardes ne s’étaient doutés de rien.
Grâce à la lame de rasoir cachée dans la tige de la croix, Ávila découpa une fente verticale de vingt centimètres dans le tissu. Il écarta doucement les pans. Derrière, c’était l’autre monde : des centaines de personnes allongées dans l’herbe, le nez vers les étoiles.
Ils ne savaient pas ce qui allait se passer !
Ávila nota avec satisfaction que les deux agents de la Guardia Real étaient postés à l’angle opposé de la salle. Ils se tenaient au garde-à-vous, dans l’ombre d’un bouquet d’arbres. Avec cette pénombre, ils ne pouvaient le voir.
À côté d’eux, une seule personne : Ambra Vidal, la directrice du musée. Elle semblait tendue.
Certain d’avoir trouvé le bon affût, Ávila referma la fente et reporta son attention sur le crucifix. Sur la plupart des croix, les bras transversaux étaient solidement fixés sur la tige, mais sur son modèle ils étaient tenus par un simple aimant.
Il tira sur l’un des bras pour le désolidariser et un petit objet cylindrique tomba dans sa paume. Il fit de même avec l’autre bras. Le crucifix n’était plus qu’un bout de métal suspendu au bout de sa chaîne.
Il rangea le rosaire dans sa poche.
J’en aurai besoin sous peu.
Il observa les deux objets au creux de sa main.
Des balles à courte portée.
Dans son dos, dissimulé sous sa ceinture, il récupéra un autre objet.
Il s’était passé des années depuis qu’un gamin nommé Cody Wilson avait conçu le « Liberator », le premier pistolet fabriqué avec une imprimante 3D. La technologie avait bien progressé depuis. Le nouveau pistolet, mi-plastique mi-céramique, n’avait pas beaucoup de puissance, mais ce qu’il n’avait pas en portée, il le gagnait en furtivité.
Il me suffit d’être tout près.
Si tout se passait comme prévu, sa position de tir serait parfaite.
Le Régent avait eu connaissance du déroulé exact de la cérémonie. Et il avait expliqué à Ávila comment accomplir sa mission. Ce serait brutal mais, après avoir entendu le préambule de Kirsch, Ávila était convaincu que son péché lui serait pardonné.
« Nos ennemis nous déclarent la guerre, avait dit le Régent. C’est nous ou eux. »
Debout dans l’angle de la salle, Ambra Vidal espérait que son inquiétude ne se verrait pas trop.
Edmond lui avait dit qu’il s’agissait d’une simple communication scientifique !
Le futurologue américain n’avait jamais caché son aversion pour les religions, mais la jeune femme n’imaginait pas que la diatribe irait aussi loin.
Il n’avait rien voulu lui montrer avant.
Il y aurait sûrement des conséquences. Le conseil d’administration du musée n’allait pas apprécier. Mais, pour l’heure, ses inquiétudes étaient d’ordre beaucoup plus personnel.
Deux semaines plus tôt, Ambra avait annoncé à un homme très important qu’elle allait participer à cette soirée. L’homme l’avait sommée de déclarer forfait. Il était trop dangereux d’accueillir cette présentation sans en connaître le contenu — en particulier quand l’auteur était un électron libre comme Edmond Kirsch.
Il m’a quasiment ordonné d’annuler ! se souvenait-elle. D’un ton condescendant qui l’avait agacée.
À présent, Ambra, seule sous ce ciel étoilé, se demandait si cet homme suivait l’événement en direct, en se tenant la tête dans les mains.
Bien sûr qu’il regardait ! La seule vraie question était : qu’allait-il faire ?
Au tréfonds de la cathédrale de l’Almudena, l’archevêque Valdespino était assis à son bureau, livide, les yeux rivés à l’écran de son ordinateur. Tout le monde au Palais royal devait suivre la retransmission, cela ne faisait aucun doute. En particulier Julián, le prince héritier.
Il devait voir rouge.
Ce soir, l’un des plus prestigieux musées d’Espagne permettait à un athée notoire d’organiser « un grand coup médiatique contre l’Église », comme le disaient les commentateurs. Et pour couronner le tout, la directrice du musée en question était l’une des personnes les plus en vue du pays — la magnifique Ambra Vidal —, une femme qui faisait la une des journaux depuis deux mois et suscitait une vague de ferveur dans tout le pays. Comment avait-elle pu tout mettre en péril en accueillant dans ses murs cette abomination ?
Le prince n’avait pas d’autre choix que de monter au créneau et de faire une déclaration.
Après les événements de ce soir, sa position de futur roi d’Espagne allait se trouver fragilisée, d’autant plus qu’il avait lui-même placé Ambra Vidal sous les feux des projecteurs.
En annonçant au pays tout entier qu’il allait l’épouser.