60.

L’hélicoptère EC145 survolait la ville à basse altitude. L’agent Díaz observait les lumières en contrebas. Malgré l’heure tardive, il distinguait la lueur bleutée des téléviseurs et des ordinateurs derrière les fenêtres.

Le monde entier suivait les événements.

Cette nuit tout devenait hors de contrôle. Il voyait les problèmes arriver et ce ne serait pas un happy end.

Fonseca montra du doigt un bâtiment, droit devant eux. Díaz hocha la tête.

Difficile de le rater !

Même de loin, l’essaim de gyrophares était immanquable.

Comme il le craignait, la Casa Milà était cernée par des véhicules de police. Les autorités de Barcelone avaient reçu un appel anonyme juste après la déclaration de Mónica Martín.

Robert Langdon avait kidnappé la future reine d’Espagne…

Pur mensonge.

Le piège avait fonctionné. Mais ce n’était pas sans danger. Lancer une chasse à l’homme en impliquant la police locale était périlleux, pas seulement pour Robert Langdon, mais pour la future reine qui risquait de se trouver sous le feu croisé de ces guignols. Si le Palais voulait récupérer sa future reine saine et sauve, ce n’était pas la meilleure méthode. Loin s’en fallait.

Garza n’aurait jamais laissé cette affaire prendre une telle ampleur.

L’arrestation du commandant restait un mystère pour Díaz. À l’évidence, les accusations contre lui étaient aussi fallacieuses que celles proférées contre Langdon.

Mais Fonseca avait reçu ses instructions et obéissait.

Des ordres venus de plus haut…

L’agent observa les lieux. Aucune place pour atterrir. Le carrefour devant la Casa Milà était noir de monde, avec partout des voitures de patrouille et des cars de télévision.

Il y avait aussi ce fameux toit — un grand huit tout gondolé, avec ses escaliers et ses allées pour que les visiteurs puissent admirer la vue — et ces deux puits de lumière, profonds de huit étages.

Impossible.

Non content d’être tout distordu, le toit était défendu par une batterie de cheminées, comme autant de gigantesques pièces d’échecs. Des sentinelles casquées dessinées par Gaudí. On disait que George Lucas s’en était inspiré pour créer les stormtroopers de Star Wars.

Díaz était sur le point de partir à la recherche d’un endroit où se poser sur les bâtiments voisins, quand son regard fut attiré par un détail incongru.

Il y avait quelqu’un parmi les cheminées statues.

Appuyée à la rambarde au bord du toit, la silhouette était vêtue de blanc, éclairée par les projecteurs des chaînes de télévision en contrebas. On aurait dit le pape, s’adressant à la foule de son balcon sur la place Saint-Pierre.

Mais ce n’était pas le pape.

C’était une femme.

*

Tous les projecteurs étaient braqués sur Ambra, mais ce bruit d’hélicoptère était de mauvais augure. Sans perdre de temps, elle se pencha à la rambarde et s’efforça de se faire entendre.

Malheureusement, ses paroles étaient emportées par le vacarme des pales.

Winston avait prédit que les équipes de télé la filmeraient sitôt qu’elle apparaîtrait sur le toit. C’était exactement ce qui s’était produit. Mais la suite du plan avait échoué.

Ils ne pouvaient entendre ce qu’elle leur disait !

Le toit de la Casa Milà était trop haut, et la rue en contrebas trop bruyante. Et, à présent, avec le bruit de l’hélicoptère, c’était peine perdue.

— Je n’ai jamais été kidnappée ! hurla-t-elle à nouveau. C’est un mensonge ! Je ne suis pas l’otage de Robert Langdon !

« Vous êtes la future reine d’Espagne, lui avait rappelé Winston quelques minutes plus tôt. Si vous demandez qu’on arrête cette chasse à l’homme, la police vous écoutera. Votre déclaration va créer de la confusion. Personne ne saura plus quel ordre suivre. »

Winston avait raison. Mais personne n’avait entendu Ambra.

Brusquement, dans un fracas assourdissant, l’hélicoptère descendit à sa hauteur. Les portes étaient ouvertes. Elle reconnut immédiatement les deux hommes qui la regardaient. Díaz et Fonseca.

Fonseca avait quelque chose à la main, et il visait la tête de la jeune femme. Elle frémit d’épouvante.

Julián veut me tuer ! songea-t-elle. Je suis stérile. Je ne peux lui donner de descendance. Me tuer est la seule manière de se désengager.

Ambra recula pour mettre le plus de distance possible entre elle et cette chose dans les mains de l’agent. Mais son pied derrière elle ne rencontra que du vide. Elle battit des bras pour garder l’équilibre. En vain. Elle tomba à la renverse dans un escalier.

Son coude gauche heurta violemment le ciment. Puis le reste de son corps. Mais Ambra n’eut pas le temps de sentir la douleur. Elle ne pensait qu’à l’objet qui venait de s’échapper de ses mains :

Le téléphone d’Edmond.

Elle vit avec horreur l’appareil rebondir sur les marches et dévaler la pente vers le bord du toit. Elle plongea pour le rattraper, mais celui-ci glissa sous la barrière et disparut dans l’abîme.

Non !

Quand Ambra atteignit le garde-fou, le téléphone terminait sa chute et se brisait dans la cour.

Winston !

*

Langdon déboucha sur le toit de la Casa Milà. Il se retrouva en plein chaos. Un hélicoptère survolait les terrasses et Ambra n’était nulle part.

Affolé, il jeta un regard circulaire. Il avait oublié la configuration étrange de ce toit — des parapets de travers… des marches partout… des soldats de ciment… des gouffres…

— Ambra !

Quand il la repéra, elle était prostrée au sol, au bas d’un escalier, au bord d’un des deux puits.

Alors que Langdon se précipitait vers elle, une balle siffla près de son oreille arrachant un bout de mur derrière lui.

Seigneur !

Langdon se baissa et rampa pour se mettre à couvert tandis que deux autres balles filaient au-dessus de sa tête. Il crut d’abord que les tirs provenaient de l’hélicoptère, mais une nuée de policiers armés jaillit d’une tourelle de l’autre côté du toit.

Ils croient toujours que j’ai kidnappé la future reine !

En s’approchant, il constata avec horreur que le bras de la jeune femme saignait.

Elle est touchée ! songea-t-il. Alors qu’il rejoignait Ambra qui tentait de se relever, une autre balle le frôla.

— Restez couchée ! lui ordonna-t-il en la protégeant de son corps.

Il releva les yeux vers les silhouettes de ciment qui se dressaient tout autour d’eux, telles des sentinelles.

En soulevant une mini-tornade, l’hélicoptère descendit à leur hauteur, à l’aplomb du puits, se plaçant entre eux et les policiers.

¡ Dejen de disparar ! lança une voix, amplifiée par un mégaphone, sortant de l’hélicoptère. ¡ Enfunden las armas ! Arrêtez de tirer ! Rangez vos armes !

Díaz était accroupi devant les portes ouvertes, un pied sur un patin, et leur tendait la main.

— Montez ! cria-t-il.

Langdon perçut la frayeur d’Ambra.

— Vite ! insista l’agent.

Il désignait le garde-fou au bord du puits. Il voulait qu’ils montent dessus, attrapent sa main et sautent à bord.

Comme Langdon hésitait trop longtemps, Díaz prit le porte-voix des mains de Fonseca et le dirigea droit sur les oreilles de Langdon.

— PROFESSEUR, MONTEZ DANS L’HÉLICO ! La police a l’ordre de vous abattre ! On sait que vous n’avez pas kidnappé Mlle Vidal ! Montez à bord tout de suite ! Avant que quelqu’un ne se fasse tuer !

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