La plus grande croix du monde se trouvait en Espagne.
Érigée au sommet d’une montagne, au nord du monastère de l’Escurial, la croix gigantesque — cent cinquante mètres de haut — se voyait à des dizaines de kilomètres à la ronde.
Le vallon aride en contrebas abritait les sépultures de plus de quarante mille âmes, victimes des deux camps de la Guerre civile espagnole.
Qu’est-ce qu’on fait ici ? se demanda Julián en suivant les agents de la Guardia sur l’esplanade du mémorial. C’est là que mon père veut me parler ?
À côté de lui, Valdespino semblait tout aussi décontenancé.
— Ça n’a aucun sens, murmura-t-il. Votre père a toujours détesté cet endroit.
Comme des millions de gens, ajouta le prince pour lui-même.
Conçue en 1940 par Franco en personne, la nécropole se voulait être un « acte d’expiation national », une tentative de réconcilier vainqueurs et vaincus. En dépit de sa noble aspiration, le monument avait toujours suscité de vives polémiques — une partie des ouvriers étaient des prisonniers politiques opposés à Franco, et beaucoup étaient morts de faim ou de froid pendant les travaux.
Par le passé, certains parlementaires étaient même allés jusqu’à comparer ce lieu à un camp de concentration nazi. Julián soupçonnait son père d’éprouver un sentiment analogue, même si le monarque n’avait jamais osé le reconnaître. La plupart des Espagnols considéraient le site comme un monument à la gloire de Franco — et le fait que le dictateur soit inhumé à l’intérieur attisait le feu des critiques.
Julián se souvenait très bien de cet endroit. Quand il était enfant, le roi lui avait fait visiter le mausolée et lui avait dit : « Regarde bien, mon fils. Un jour, tu réduiras ce lieu en poussière. »
Alors qu’il grimpait les marches en direction de l’austère façade taillée dans la roche, Julián comprit où la Guardia les conduisait. L’élégante porte en bronze qui se profilait devant eux s’ouvrait littéralement dans la montagne. Le prince se rappelait sa stupéfaction lorsqu’il avait découvert ce qui se trouvait derrière.
En définitive, le miracle de cette colline n’était pas la croix monumentale à son sommet, mais le secret qu’elle renfermait en son cœur.
À l’intérieur, on avait creusé une caverne gigantesque. Un tunnel de plus de deux cent cinquante mètres dans la roche, qui débouchait sur une salle immense. Julián avait été émerveillé par la splendeur des matériaux, le lustre des sols, les fresques de la vaste coupole.
Je suis dans une montagne ! avait-il pensé alors.
Aujourd’hui, bien des années plus tard, le prince était de retour.
À la demande de son père mourant.
Alors que la petite troupe approchait de l’entrée, Julián observa la Pietà de marbre au-dessus de la porte. L’archevêque se signa, un geste qui tenait davantage de l’appréhension que de la foi.