47.

Alors que le Gulfstream amorçait sa descente vers Barcelone, Langdon terminait sa deuxième tasse de café et contemplait les restes du pique-nique improvisé qu’il avait partagé avec Ambra. Au menu : noisettes, galettes de riz et « barres vegan », toutes insipides.

En face de lui, Ambra venait de finir son second verre de vin et semblait plus détendue.

— Merci de m’avoir écoutée. Il n’y a qu’avec vous que je me sens libre de parler de Julián.

Elle venait de lui raconter la demande en mariage sur le plateau de télévision.

Elle n’avait pas eu le choix, bien sûr.

— Si j’avais su, je lui aurais dit plus tôt que je ne pouvais pas avoir d’enfant. Mais c’est arrivé si vite. (Elle secoua la tête avec regret et regarda par le hublot.) Je pensais l’aimer. Je ne sais plus, c’était peut-être juste…

— Juste le fait qu’il soit un beau prince ? suggéra Langdon avec un sourire.

— C’est vrai qu’il avait ça pour lui. N’empêche qu’il me paraissait être un homme bien. Un peu secret, peut-être, mais romantique. Pas du genre à commanditer un meurtre.

Langdon était du même avis. Il ne voyait pas ce que le prince avait à gagner en faisant assassiner Edmond. Et il n’y avait aucune preuve de son implication à quelque niveau que ce soit. Juste un appel de quelqu’un, dans l’enceinte du Palais, pour demander à Ambra d’ajouter Ávila sur la liste des invités. Pour le moment, l’archevêque Valdespino était le premier suspect. Étant au courant du projet d’Edmond, il avait eu le temps de mettre au point une action pour saborder la présentation. Et il était bien placé pour mesurer les dégâts que causerait la découverte de Kirsch sur le plan spirituel.

— Je ne peux pas épouser Julián. Je pense qu’il va rompre les fiançailles maintenant qu’il sait que je ne peux pas être enceinte. Sa lignée remonte à quatre siècles. Il ne va pas mettre un terme à sa dynastie pour une roturière comme moi.

Le haut-parleur grésilla. Le pilote annonça qu’ils allaient bientôt atterrir.

Perdue dans ses pensées, Ambra se leva pour débarrasser la table. Elle alla rincer les verres et ranger la nourriture.

— Professeur…

C’était Winston.

— Il est peut-être bon que je vous prévienne… De nouvelles informations se propagent sur le web. Il semblerait qu’il existe la preuve d’un lien entre Valdespino et Ávila.

Tout cela était de mauvais augure.

— Ce n’est pas tout. Comme vous le savez, lors de cette réunion secrète il y avait deux autres personnes avec l’archevêque Valdespino — un rabbin et un imam, tous deux très respectés. Il y a quelques heures ce soir, l’imam a été retrouvé mort dans le désert, aux alentours de Dubaï. Et une nouvelle de Budapest vient de tomber : apparemment, le rabbin a été victime d’une crise cardiaque.

Un frisson parcourut Langdon.

— Et la blogosphère, poursuivit Winston, s’étonne déjà de la simultanéité de ces deux décès.

Désormais, Valdespino était la seule personne vivante à savoir ce que Kirsch avait découvert !

*

Quand le Gulfstream atterrit sur la piste unique de l’aéroport de Sabadell, Ambra constata, soulagée, qu’il n’y avait ni journaliste ni paparazzi.

Pour éviter les fans qui se pressaient à Barcelone-El-Prat, Edmond préférait se poser sur ce petit aéroport.

Ambra savait toutefois que ce n’était pas la seule raison.

En réalité, Edmond adorait être la vedette. S’il atterrissait à Sabadell, c’était pour pouvoir faire le reste du voyage en voiture sur les routes sinueuses de montagne, à bord de sa Tesla modèle X, un cadeau d’Elon Musk, semblait-il, qu’il lui avait apporté en personne. Un jour, Edmond avait fait un pari avec ses pilotes. Une course d’un kilomètre départ arrêté, Gulfstream contre Tesla. Mais ses pilotes, sachant qu’ils perdraient, avaient déclaré forfait.

Edmond va tellement me manquer ! songea Ambra. Certes, il était flambeur, arrogant, mais si brillant. Il méritait de vivre bien plus longtemps.

Pour honorer sa mémoire, nous devons révéler au monde sa découverte !

Les pilotes firent entrer l’avion dans le hangar et coupèrent les moteurs. Tout était tranquille. Ils étaient passés sous les radars.

La jeune femme descendit la petite passerelle et prit une longue inspiration pour recouvrer ses esprits. Le second verre était de trop. Quand elle posa le pied sur le sol de ciment, elle chancela légèrement. Elle sentit la main de Langdon la soutenir.

— Merci, souffla-t-elle.

Avec ses deux tasses de café, le professeur était parfaitement alerte.

— Il faut qu’on sorte d’ici le plus vite possible, dit-il en regardant l’automobile noire garée dans un coin. Je suppose que c’est la merveille dont vous m’avez parlé.

— L’amour secret d’Edmond.

— Drôle de plaque d’immatriculation.

Ambra lâcha un petit rire.

E-WAVE

— Edmond m’a dit que Google et la NASA avaient acheté récemment un super-ordinateur appelé D-WAVE, l’un des premiers ordinateurs quantiques. Il a essayé de m’expliquer comment ça marchait. C’était assez complexe. Cela fait intervenir l’intrication et la superposition quantiques. C’est une génération toute nouvelle de machine. Bref, Edmond m’a dit qu’il voulait en construire un qui reléguerait le D-WAVE aux oubliettes. Il comptait l’appeler E-WAVE.

— E pour Edmond ? supposa Langdon.

Et parce que le « E » est juste après le « D » ! pensa Ambra en se remémorant ce que racontait Edmond sur l’ordinateur dans 2001 L’Odyssée de l’espace. HAL était un clin d’œil à IBM, par un simple décalage de lettres.

— Et les clés ? s’inquiéta Langdon. Vous savez où il les cache ?

— Il n’y a pas besoin de clés. (Ambra brandit le téléphone d’Edmond.) Il m’a montré ça, le mois dernier.

Elle toucha l’écran, lança l’appli « Tesla » et sélectionna une commande.

Dans l’instant, les phares de la voiture s’allumèrent et la Tesla, sans un bruit, s’approcha pour s’arrêter devant eux.

Langdon n’appréciait guère l’idée de monter dans une voiture qui roulait toute seule.

— Ne vous inquiétez pas ! s’exclama Ambra. Vous allez prendre le volant.

Guère convaincu, il fit le tour de la voiture. En passant devant le capot, il ne put s’empêcher de rire.

Ambra savait ce qui l’amusait ainsi. Le petit texte sous la plaque minéralogique :

LES GEEKS HÉRITERONT DE LA TERRE
.

— La modestie n’a jamais été le fort d’Edmond, concéda Langdon en s’installant au volant.

— Il adorait cet engin. Tout électrique et plus rapide qu’une Ferrari.

Langdon regarda le tableau de bord high-tech d’un air soupçonneux.

— Je ne suis pas très voiture.

— Celle-ci va vous convertir.

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