Des borniols étaient tendus entre les arches. Le tunnel mesurait cinq ou six mètres de large et bifurquait légèrement sur la gauche. Le sol était tapissé d’une épaisse moquette noire. Une ligne de leds au bas des parois constituait le seul éclairage.
— Ôtez vos chaussures, s’il vous plaît, annonçait un gardien à chaque nouvel arrivant. Et gardez-les avec vous.
Langdon retira ses souliers vernis. Sitôt en chaussettes, il sentit ses pieds s’enfoncer dans les fibres généreuses et un bien-être l’envahit immédiatement. Autour de lui, ce n’était qu’un récital de soupirs d’aise.
Il progressa dans le boyau et en vit bientôt la fin : un rideau noir devant lequel un bataillon d’employés tendaient à chacun une sorte d’épaisse serviette de bain avant de leur permettre de se glisser sous la tenture.
Le silence régnait dans le tunnel. On n’entendait plus un rire. Quand Langdon arriva à son tour devant le rideau, il s’aperçut qu’en fait de drap de bain il s’agissait plutôt d’une couverture avec un oreiller intégré. Il remercia l’homme et passa à son tour dans le sas.
Une fois de plus, il se figea de surprise. Il s’était attendu à tout sauf à ça.
On est… dehors ?
Langdon se tenait au bord d’un grand pré. Au-dessus de lui s’ouvrait un ciel étoilé, et au loin un croissant de lune s’élevait derrière un érable solitaire. Les grillons chantaient, une brise légère caressait ses joues, il flottait dans l’air des senteurs d’herbes fraîchement coupées.
— Allez-y, monsieur, je vous en prie, murmura un guide en lui prenant le bras. Trouvez-vous un endroit. Étalez votre couverture sur l’herbe et profitez du spectacle.
Langdon s’avança, en compagnie d’autres invités aussi sidérés que lui. La pelouse avait la taille d’un terrain de hockey, ceint d’arbres, de buissons et de plantes qui bruissaient sous le vent.
Une illusion. Une œuvre d’art !
Je suis dans un planétarium du futur ! se dit-il en admirant la précision des détails.
Le ciel empli d’étoiles était une projection, comme la lune, les nuages, les collines ondulant au loin. En revanche, les arbres et les plantes étaient réels — soit de superbes imitations en plastique ou une petite forêt en pot. Cette ceinture de végétation masquait astucieusement les limites de la salle.
Langdon s’accroupit et toucha le gazon. C’était doux, presque vivant, mais totalement sec. Les nouvelles pelouses synthétiques trompaient même les sportifs professionnels, mais Edmond était parvenu à pousser l’illusion plus loin encore en créant un sol inégal avec des bosses et des creux comme un véritable pré.
Langdon se souvenait de la première fois qu’il avait été abusé par ses sens. Il était enfant, à bord d’un petit canot longeant un port éclairé par la lune et devant lui un bateau pirate, en pleine bataille, donnait du canon. Il se trouvait en réalité dans une salle souterraine emplie d’eau mais son jeune esprit refusait d’admettre qu’il était à Disney World et qu’il assistait simplement à l’attraction Pirates des Caraïbes.
Ce soir, l’effet était d’un réalisme saisissant. Et tout le monde paraissait aussi émerveillé que lui. Il remercia Edmond en pensée, moins pour avoir créé cette illusion parfaite, que pour avoir persuadé des centaines d’adultes de retirer leurs chaussures hors de prix et de s’allonger dans l’herbe pour regarder le ciel.
On faisait ça, enfants, et puis, allez savoir pourquoi, on a fini par se l’interdire.
Langdon cala sa tête sur l’oreiller, savourant la douceur du gazon sous lui.
Au-dessus de sa tête, les étoiles scintillaient. Pendant un instant, il se retrouva adolescent, étendu sur les fairways du golf de Bald Peak avec son meilleur ami, à méditer sur les mystères de la vie.
Avec un peu de chance, Edmond va dévoiler cette nuit l’un de ces mystères.
Au fond de la salle, l’amiral Luis Ávila surveillait les lieux. Puis il passa la main sur les tentures jusqu’à trouver une jonction entre deux lés. Discrètement, il ouvrit la fermeture de velcro et se faufila dans l’interstice.
Dans l’instant, l’illusion disparut.
Ávila n’était plus dans un pré. Mais dans un immense espace rectangulaire où trônait un grand dôme.
Une pièce dans une pièce, pensa l’amiral.
Devant lui, la construction hémisphérique était maintenue par un exosquelette d’échafaudages, festonnés de câbles, de lampes, et de haut-parleurs. Un réseau de vidéoprojecteurs diffusait une mosaïque d’images sur le dôme translucide, pour donner naissance au ciel étoilé, aux collines à l’horizon.
Ávila apprécia la dramaturgie créée par Kirsch, même s’il n’imaginait pas que son spectacle allait virer à la tragédie.
Tu es le soldat d’une noble cause. L’instrument d’un grand dessein.
Ávila avait répété sa mission tant de fois. Il plongea la main dans sa poche et sortit son rosaire. À cet instant, dans des enceintes placées au-dessus de lui, une voix résonna, aussi puissante que celle de Dieu :
— Bonsoir, les amis. Ici, Edmond Kirsch.